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Le travail est-il servitude ?

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« [Introduction] Pour l'opinion, le travail est aisément perçu comme simple servitude : il est évident que, aussi longtemps qu'il dure, il oblige à certains gestes, certaines postures, il suppose l'obéissance, implique une attention soutenue.

Mais n'est-il que cela ? En analysant sérieusement sa portée, peut-être y décèle-t-on des aspects autrement positifs ? [I — Le travail est servitude] On peut d'abord rappeler qu'à certains moments de l'Histoire (dans l'Antiquité), le travail a été lié à une authentique servitude : seul l'esclave travaille alors (cf.

Aristote : il est un « outil animé », en-deçà de l'humanité réelle). De même, la condamnation, par Dieu, d'Adam et Ève à travailler après le péché originel peut être interprétée comme chute dans la servitude par rapport à la matière. On souligne ensuite que cet aspect dure, plus ou moins métaphoriquement, à travers l'histoire occidentale : le « serf » du Moyen Âge, l'ouvrier de l'usine qui se considère lui-même comme esclave du capitalisme.

Dans cette optique, l'être humain ne se sentirait libre qu'en dehors du travail (c'est le citoyen grec, ou l'homme du loisir, c'est aussi bien l'ouvrier en dehors de l'usine — tel que l'évoque Marx lui-même, il ne retrouve son humanité qu'en abandonnant la déshumanisation produite par ses conditions de travail). On peut enfin évoquer la situation du lycéen lui-même : l'emploi du temps, les devoirs, la discipline sont bien des contraintes, sinon des preuves de « servitude ». [II — Travail et besoins] On rappelle que la critique marxiste du travail moderne culmine, non dans l'espoir de libérer l'homme de tout travail, mais dans le projet de le réorganiser en fonction des besoins réels de l'humanité.

Cela peut suffire pour indiquer que l'aspect « servile » appartient peut-être moins au travail en lui-même qu'à ses différents modes d'organisation historique. On doit donc distinguer le concept de travail de son organisation sociohistorique : celle-ci peut être défectueuse, et critiquable, sans que la signification (philosophique) du concept soit modifiée. Si l'homme doit travailler, cela est affirmé dès Platon, et confirmé aussi par Rousseau, Hegel ou Marx, c'est parce qu'il existe un déséquilibre entre ses besoins et ce que lui fournit la nature.

Travailler, c'est donc modifier le milieu naturel pour satisfaire les besoins.

Or le besoin humain est tel que, à peine satisfait d'un premier point de vue, il renaît sur un objet différent et n'en finit pas de se complexifier. Rousseau souligne déjà (cf.

le second Discours) qu'en modifiant ainsi le milieu, l'homme se modifie lui-même.

Le travail apparaît alors comme autoproduction de l'homme, ou humanisation.

C'est bien pourquoi on admet qu'au sens strict, l'animal ne travaille pas (il satisfait bien ses besoins primaires, mais il ne produit pas de besoins autres, et il ne se modifie pas par une activité dépendant entièrement de son organisation physiologique). [III — Travail et humanisation] Marx a analysé le projet inhérent à l'activité laborieuse : l'objet désiré préexiste « idéalement » dans l'esprit du travailleur, et cela détermine une évolution intellectuelle de l'homme, en éveillant en lui « des facultés qui y sommeillent ».

D'où la formule de L'Idéologie allemande : « On peut définir l'homme par la conscience, par les sentiments et par tout ce que l'on voudra, lui-même se définit dans la pratique à partir du moment où il produit ses propres moyens d'existence » : il n'y ainsi d'humanité authentique (au moins au sens générique) que par le travail et grâce au travail. De façon plus abstraite, Hegel avait antérieurement montré que le stade final de la liberté (la liberté en-soi-pour-soi) ne se réalise que dans le travailleur. Cf.

la dialectique du maître et de l'esclave : l'esclave, en se retrouvant dans ce qu'il a produit, se définit finalement comme conscience ayant sa réalité dans le monde et sans devoir passer par le maître — tandis que ce dernier a toujours besoin de son esclave pour se repérer (pour trouver la satisfaction de son désir et se définir comme maître). On peut ainsi considérer, soit que le travail apporte directement la liberté qui est la réalisation de l'essence humaine (version hégélienne), soit qu'il participe à l'humanisation et participera à la libération finale de l'homme (version de Marx, pour lequel ce que Hegel nomme liberté est encore trop abstrait, ou insuffisamment inscrit dans la totalité de l'humanité puisque réservé à une classe).. »

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