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« Le silence est d'or, la parole est d'argent » ?

Extrait du document

« Appréhender l'énoncé. Proverbe bien connu qu'en général nous approuvons vivement en pensant à tel ou tel sens bien précis qui en fait pour nous une évidence.

Néanmoins, au lieu d'en rester à d'immédiates impressions, explorons froidement le propos. • D'emblée, par la structure même de la phrase, on perçoit la symétrie à partir de laquelle s'élabore la signification du proverbe : le silence et la parole, l'or et l'argent.

Les deux premiers termes semblent s'opposer: la parole produit des sons, le silence en est l'absence.

Toutefois, en toute rigueur, on dira plutôt que ne pas prononcer de parole, c'est rester muet. Or, s'il y a un certain silence du muet, peut-on vraiment dire que tout silence est «muet»? Car s'il ne profère pas de sons, le muet, néanmoins, par d'autres types de signes, peut s'exprimer.

De ce fait, il peut donc y voir des silences «qui en disent long» c'est-à-dire qui expriment du sens.

Ainsi, ce que nous aurions pu prendre pour une opposition est plutôt une différenciation au sein même de l'acte de signifier. • De ce fait, l'or et l'argent peuvent s'appréhender selon le même principe.

Tous deux sont des métaux, leur différence est dans leur valeur ; non pas à l'opposé l'une de l'autre, mais simplement l'une supérieure à l'autre : l'or est considéré comme plus précieux que l'argent, qui, lui, reste encore bien plus précieux que le bronze, le fer ou autres métaux.

Ainsi, pour user du même modèle de caractérisation, nous dirions que le silence et la parole sont à comprendre l'un par rapport à l'autre comme différenciation au sein même de la valeur d'expression. Le proverbe signifie alors que parler, c'est bien, se taire est encore mieux ; mais en toute rigueur, il ne constitue pas une totale condamnation du langage. Esquisses d'un mouvement de réflexion. • En un premier temps, il conviendra de mettre en évidence ce qui justifie cette appréciation.

Plusieurs raisons sont repérables.

Ainsi, face au chapelet de paroles – de surcroît creuses parfois ! – on valorisera le silence de la réflexion (« Tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler »).

Face au caractère distancié du langage, indirect et même abstrait (dire qu'on a mal aux dents n'a rien à voir avec ce qu'on sent !) on soulignerait ce que le silence semble révéler de contact direct, de communion intime et intense (« les mots étaient devenus inutiles...

»).

Face à la multiplicité des mots, des phrases, des discours, on mettrait en valeur la forme unique du silence et l'idée de concentration intérieure, sinon même de relation au divin (prière contemplative) qu'il évoque.

C'est probablement dans cette perspective que pourrait être évoquée la symbolique de la pureté inaltérable de l'or que les alchimistes s'acharneront à vouloir créer dans leur célèbre quête de la «pierre philosophale».

Ainsi le silence exprimerait la sagesse dans toute sa pureté, en tant que réflexion intérieure portée à son plus haut niveau, face à une parole débordante et sans retenue, lieu de toutes les passions, de toutes les ambiguïtés et de tous les pièges. Pour rester dans la symbolique de la sagesse que procurerait la «pierre philosophale», on signalerait que le sage, certes, est d'abord celui qui pense ; mais quand il parle, ses paroles sont conformes à ses pensées, et ses actes conformes à ses paroles.

La parole prend corps dans le silence de l'esprit et de l'acte.

Elle est donc bien d'argent quand le silence est d'or. Dès lors, c'est bien sur fond de silence que la parole advient.

Il constitue alors «l'espace» de liberté dont elle a besoin pour exister. Or l'idée même de liberté, dans les rapports humains, prend concrètement forme quand, par délicatesse et respect de l'autonomie de chacun, notre silence garantit la liberté d'expression d'autrui (au lieu de parler en même temps que lui, lui «couper la parole », finir les phrases à sa place...).

Le laisser s'exprimer, c'est bien, l'écouter, c'est mieux.

Le silence de l'écoute est alors gage de communication entre les hommes et l'expression de leur mutuelle liberté. • En un second temps, demandons-nous toutefois si le silence a vraiment toutes les vertus que le proverbe laisse supposer.

Témoigne-t-il par exemple de cette pureté sans mélange de l'or auquel on le compare, face à une parole, lieu de tous les troubles ? Certes, en tant que signifiant, il est uniformément un et identique à lui-même.

Mais les signifiés auxquels il peut renvoyer sont légion et parfois totalement contradictoires : approbateur ou réprobateur, chute tranchante du couperet ou flottement de l'indécision, « silence de mort» ou silence feutré de chaleureuses présences, sans compter toutes les ambiguïtés qui, grâce à cette imprécision la plus absolue du signe, peuvent proliférer.

Le silencieux peut toujours désavouer tout ce qu'on lui impute : il «n'a rien dit!».

En même temps, c'est lui qui mène le jeu par de savantes suggestions.

Il peut faire croire à peu près tout ce qu'il veut, et éviter la moindre explication en laissant l'autre devant le fait accompli.

En fait de pureté, le silence est le lieu, alors, de manipulations et dérobades de la plus belle espèce ! • Mais, dira-t-on, le silence est «d'or» dans la vie sociale, pour éviter querelles et difficultés gênantes.

Certes, ne sont-ce pas là toutefois des ententes trompeuses, des paix obtenues à bon compte grâce au silence qui permet de faire croire que les problèmes n'existent pas? En effet, l'apparence du silence, c'est bien le «rien », quand celle de la parole est une réalité précise, écrite ou parlée, prononcée, entendue, lue par beaucoup peut-être qui peuvent en attester.

Sonore ou visuelle, la parole laisse des traces précises là où le silence n'est que vide, lacune, que n'importe quel «plein» peut remplir.

On touche là à l'extériorisation de la parole évoquée plus haut, qui, par là, donne une existence qui s'exhibe à ce dont on parle.

Dès lors en effet, taire certaines réalités, c'est comme les soustraire à l'existence.

Comment accéder en effet à la connaissance minimale de quoi que ce soit, si rien de manifeste, ne fût-ce qu'un signe, ne permet d'en prendre simplement conscience? De même, alors que c'est le silence qui «étouffe» la connaissance de certains faits, de même, c'est la parole qui «fait éclater la vérité ».

On voit ici le prolongement psychanalytique qu'on pourrait donner à cette réflexion : la parole dévoile et libère, quand le silence de l'inconscient étouffe et refoule.

La parole déploie le sens, l'offrant à l'activité exploratrice de l'esprit qui l'exhibe et le fouille dans le débat, quand le silence au contraire, le maintient dans l'existence informe de l'ineffable, permettant à la plénitude compacte d'un vécu sourd et obscur d'exercer toute son emprise aliénante. Ainsi, si on a pu comprendre en quels sens le silence pouvait être «d'or» et la parole «d'argent », une réflexion critique a permis de nuancer quelque peu le propos.

Il conviendra néanmoins de noter que le proverbe, en se dotant d'une forte charge symbolique – l'or –, censée exprimer ce que serait l'art parfait de signifier, se prête à de nombreuses autres analyses possibles.. »

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