Le sage peut-il être un révolutionnaire ?
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Termes du sujet:
SAGE - SAGESSE: 1) Attitude traditionnelle du philosophe ancien qui, dans l'ordre du savoir se met à distance des
préjugés et dans l'ordre de l'action à distance ses passions.
2) Synonyme de prudence d'où, par extension, aptitude à bien
mener sa vie.
Introduction
A première vue, l'idée de sagesse paraît incompatible avec l'idée de révolution.
Si le sage, comme on l'entend souvent, est
l'homme raisonnable, prudent et avisé, on ne voit pas ce qu'il peut avoir de commun avec le révolutionnaire passionné,
pressé de renverser l'ordre établi.
Pour parler comme Descartes, le premier change ses désirs plutôt que l'ordre du monde,
le second change l'ordre du monde plutôt que ses désirs.
Mais cette incompatibilité n'est peut-être qu'apparente : Socrate,
« le plus sage des hommes », n'a-t-il pas été condamné pour avoir répandu des idées subversives ? Il faudrait alors
renverser les apparences : si l'idée de sagesse est l'idée d'une existence vraiment humaine dans un monde enfin
raisonnable, alors elle est révolutionnaire à l'égard de ce monde qui n'est pas raisonnable.
Dans ce cas, le sage n'est-il
pas l'authentique révolutionnaire ? Et le révolutionnaire ne participe-t-il pas de la déraison qu'il prétend combattre ?
I - La séparation de la sagesse et de la révolution
a) Ce qui est ainsi d'abord évident est la séparation de la sagesse et de l'idée révolutionnaire.
En effet, la sagesse se
définit comme la vie du sage qui atteint la satisfaction dans la contemplation des essences : le sage, en effet, vit selon ce
qu'il y a de divin en lui : l'intellect, et selon Aristote, la vie contemplative est une vie à l'imitation de la vie divine, qui est
acte pur, sans mouvement.
De fait, elle est à l'opposé de la vie active, qui est transformation de la nature et de la société.
b) La vie active est marquée par l'insatisfaction : que l'homme transforme la réalité montre assez que la réalité le laisse
insatisfait.
Aussi l'impatience peut même le gagner : il devient alors révolutionnaire, et force la marche des choses.
De ce
point de vue, la sagesse apparaît non pas tant comme de la prudence mais bien plutôt comme de la frilosité : le sage de ce
point de vue est celui qui se tient à l'écart de la vie et qui passe pour un incapable, comme le montre Platon dans le
célèbre portrait du philosophe dressé par le Théétète.
II - Le refus de la sagesse au nom de l'action
a) Pour l'homme d'action, le sage est donc condamnable.
Mais il y a pis : le sage ne se propose pas d'autre but que
connaître et contempler.
Or la contemplation suppose que son objet soit stable et permanent : le sage est donc
essentiellement un conservateur, et c'est pourquoi Platon dit que le naturel du philosophe est celui d'un chien de garde
(République, II).
Allons même plus loin : le sage est en fait un réactionnaire.
La contemplation
étant postérieure à son objet, elle est une vision rétrospective d'un objet qui peut avoir
disparu de la réalité : c'est ainsi par exemple que Platon fait la théorie de la Cité idéale au
moment où la cité comme forme politique est dépassée par l'histoire.
b) A l'inverse, le sage voit dans l'homme action une incapacité à considérer les problèmes dans
toute leur généralité et à penser les conséquences de ses actes à long terme.
La séparation
de l'action et de la contemplation est alors complète, chacun s'enfermant alors dans la
condamnation de l'autre, l'un au nom du savoir en tant qu'il est une libération de l'homme à
l'égard des nécessités, l'autre au nom des besoins les plus urgents de la vie.
Mais chacun
devrait reconnaître que le point de vue de l'autre est justifié : tous deux ne visent-ils pas
finalement la même chose ?
III - La sagesse comme révolution
a) En effet, l'homme d'action transforme le monde, parfois brutalement, pour une vie meilleure :
personne ne veut aggraver son propre sort, et dans le cas de l'action politique et historique, elle vise toujours à la
prospérité des gouvernés.
Aristote rappelle ainsi que la fin de la politique, qui est la plus haute activité humaine, est le
bonheur de la communauté : l'homme d'action veut un monde raisonnable.
Or, c'est le sage qui définit ce qu'est un monde
raisonnable : parce que, par la pensée, il s'est élevé à l'universel, il peut penser les conditions de la réalisation de
l'universel dans la réalité.
Cela signifie donc que seul le savoir théorique est capable d'éclairer l'action, de lui donner sa profondeur et sa plus grande
efficacité : mais la mise en oeuvre de l'universel ne peut être accomplie que par l'homme d'action.
b) Seulement, le sage a un avantage sur l'homme d'action : c'est que, en disant ce qui est, le sage prescrit à l'homme
d'action ce qu'il doit faire.
En ce sens, c'est une vision trop unilatérale du rapport de la théorie et de la pratique qui fait dire
à Marx que les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde, et qu'il s'agit maintenant de le changer (L'Idéologie
allemande) : en Marx, c'est plus le révolutionnaire qui parle que le philosophe.
Bien sûr, ce n'est pas la sagesse qui
transforme le monde, c'est l'action.
Mais on peut affirmer que la sagesse transforme le monde indirectement, et avec une
efficacité à long terme.
Les théories demeurent, et continuent longtemps d'influencer les hommes d'action.
Conclusion
Pour forcer le paradoxe, on pourrait dire que le révolutionnaire est le sage gagné par l'impatience : mais alors il n'est plus
un sage.
C'est qu'en effet il ne comprend alors plus que la sagesse est véritablement révolutionnaire, et que par
conséquent il ne se comprend plus lui-même..
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