Le sadisme est-il une doctrine morale ?
Extrait du document
«
Par Sadisme nous entendons une appellation postérieure à l'écriture de l'œuvre de Donatien Alphonse François de
Sade, écrivain et dramaturge français du XVIIIe siècle.
Cette dimension rétrospective du terme pour désigner la
pensée de Sade est importante, car elle nous permet de comprendre les enjeux et le sens complexe de cette
appellation.
Il faut en effet avoir bien conscience que les premiers lecteurs autorisés de Sade au XIXe siècle sont
des médecins : dans son introduction aux Œuvres de Sade dans la Bibliothèque de la Pléiade, Michel Delon montre
bien que l'évolution de la réception sadienne est passée par trois types d'approches, qui sont l'approche textuelle,
l'approche poético surréaliste, et l'approche proprement littéraire.
Par conséquent, nous pouvons voir que le terme
sadisme désigne en définitive deux choses, acceptions distinctes qui dépendent de cette évolution de la réception.
En effet, le sadisme est d'abord un terme médical, qui désigne un type de perversion sexuelle dont Sade n'était pas
lui-même le théoricien ou l'exemple, mais l'auteur d'une œuvre donnant sens à cette notion.
Mais d'autre part, le
sadisme est un équivalent de « pensée sadienne », c'est-à-dire de précipité intellectuel et philosophique de la
pluralité des thèses que l'on trouve développées dans les écrits de Sade (rappelons à ce propos que Sade est
l'auteur d'un ouvrage qu'il a baptisé Aline et Valcour, ou le roman Philosophique).
Le mot « sadisme » désigne en ce
sens la philosophie sadienne, puisque Sade était bel et bien philosophe comme Jean Deprun l'a montré.
Une doctrine morale est une pensée structurée et cohérente qui présente un mode de compréhension des questions
morales, c'est-à-dire, des questions qui s'interrogent sur les fins et la légitimité des actions humaines, notamment
en ce qui concerne les rapports intersubjectifs.
Se demander si le sadisme est une doctrine morale est doublement paradoxal, car la pensée sadienne affronte
frontalement, en menaçant de les faire éclater, aussi bien le concept de doctrine que le concept de morale.
En
effet, l'œuvre de Sade se veut critique et destructrice, nous le verrons, aussi bien d'une pensée doctrinaire qui
formule des hypothèses et s'efforce de les vérifier, que d'une pensée morale, puisqu'on la prétend volontiers
immorale, sinon amorale et scandaleuse.
Nous nous demanderons en quel sens du mot sadisme nous pouvons dire qu'il est une doctrine morale, et si le
sadisme philosophique n'est pas précisément fondateur d'une nouvelle manière de penser la doctrine et la morale.
I.
Le sadisme médical n'est en aucun cas une doctrine morale
a.
Qu'appelons-nous le sadisme médical ?
C'est le premier sens du mot sadisme que nous étudierons ici, celui qui fut créé par les médecins (allemands, tout
d'abord) qui s'intéressèrent en premier à l'œuvre de Sade.
Car durant tout le XIXe siècle, l'œuvre de celui qu'on
nommait le « divin marquis » n'a été lue que par des médecins, puisqu'elle était considérée come non littéraire, infra
littéraire.
Les romans de Sade passaient pour de purs catalogues de perversions abominables, scandaleuses aux
effets délétères pour la santé des lecteurs (on interdisait notamment aux jeunes gens de les lire, car ils étaient
censés les rendre malades, fous et suicidaires !).
C'est donc à partir de cette lecture réductrice de l'œuvre de Sade
que le concept de sadisme a été créé.
Par sadisme médical, nous devons donc entendre une forme de perversion
exemplifiée par les héros des romans de Sade, et qui consiste à éprouver du plaisir à proportion de la douleur que
l'on inflige à autrui.
C'est ainsi que les héros des romans de Sade, comme Juliette dans l'Histoire de Juliette,
accompagnent systématiquement leurs orgies de crimes tous plus atroces les uns que les autres.
Une telle
perversion consiste à renforcer le plaisir que l'on prend de la contemplation et de la participation active à la douleur
éprouvée par quelqu'un.
b.
Le sadisme médical est un type de perversion pensé à partir de l'œuvre de Sade, mais n'est pas une
doctrine morale
Nous dirons donc que le sadisme médical n'est en aucun cas une doctrine morale : en effet, il s'agit uniquement d'un
comportement
sexuel pathologique,
manifesté par
certains individus.
Certes,
le sadisme
a des
racines
philosophiques, en ce sens qu'il est fondé sur une pensée matérialiste : il existe d'après les personnages de Sade qui
exemplifient le sadisme médical une communication des êtres, des particules qui se diffusent d'un corps à l'autre, de
sorte que les particules de la souffrance qui émanent de la victime accroissent la volupté du bourreau.
Pour autant,
il ne s'agit pas d'une doctrine morale, mais d'un comportement déviant, conceptualisé à partir des œuvres de Sade,
au point de les recouvrir et de confondre sadisme médical et sadisme philosophique – que nous étudierons dès à
présent..
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