Aide en Philo

Le progrès technique est-il un progrès de la raison ?

Extrait du document

« Il s'agit ici de s'interroger sur la notion de progrès dans son rapport à la raison.

Peut-on affirmer que les progrès techniques s'accompagnent nécessairement d'un progrès de la raison ? Autrement dit, à mesure que la technique progresse, peut-on estimer que la raison en fait autant ? Le sujet est assez exclusif dans la relation qu'il infère puisqu'il contient le mot " nécessairement ", comme s'il s'agissait là d'un lien logique.

Or, rien n'est plus contestable. Certes, le progrès des techniques est une des manifestations du progrès de la raison mais tout ce que produit la technique n'est pas nécessairement un progrès à tous les points de vue...

Un progrès technique n'est pas nécessairement le signe d'un progrès moral et la notion même de progrès a tendance à être prise pour quelque chose de nécessairement bénéfique alors qu'on oublie que le mot ne désigne pas forcément un mouvement profitable à l'homme (une maladie elle aussi peut " progresser ").

En fait, la technique est toujours le fruit de la raison dans sa dimension théorique, mais elle n'est pas systématiquement conforme à ce que prescrit la raison pratique (c'est à dire, la raison dans sa dimension morale).

Ainsi, nous savons bien que tout ce qui est techniquement possible n'est pas nécessairement souhaitable... [Plus la raison avance, plus la technique et la science progressent.

L'homo rationalis est aussi un homo faber.] La raison est d'abord instrumentale.

avant d'être un homo sapiens, l'homme est homo faber. si en effet la technique devient décisive dans le travail par lequel l'homme conquiert son humanité, la tentation est grande de voir dans le développement technique un trait essentiel de l'homme.

C'est le pas que franchit Bergson, qui parle dans « L'évolution créatrice », de l' « invention mécanique » comme « démarche essentielle », quitte à aller jusqu'à dire que l'histoire retiendra davantage la « machine à vapeur » que les « guerres et les révolutions ».

Ce propos conduit Bergson à définir l'intelligence humaine comme « faculté de fabriquer des objets artificiels », et ce, au détriment direct d'une autre compréhension de l'intelligence, celle qui la comprendrait comme faculté d'articuler des moyens avec des fins.

Une certaine formule de l' « Evolution créatrice » doit retenir notre attention : Bergson veut en effet substituer à l' « homo sapiens », l'homme qui pense, l' « homo faber », l'homme qui fabrique.

Cette formulation est lourde de conséquences : elle témoigne de la portée de cette question de la technique sur l'identité humaine elle-même.

Si l'homme devient « homo faber », il n'est plus qu'un fabricateur d'outils, un être tourné vers l'efficacité avant tout autre souci ; alors que tant qu'il est encore un homo sapiens, il reste un être capable de juger de la qualité morale d'une finalité. « En ce qui concerne l'intelligence humaine, on n'a pas assez remarqué que l'invention mécanique a d'abord été sa démarche essentielle, qu'aujourd'hui encore notre vie sociale gravite autour de la fabrication et de l'utilisation d'instruments artificiels, que les inventions qui jalonnent la route du progrès en ont aussi tracé la direction.

Nous avons de la peine à nous en apercevoir, parce que les modifications de l'humanité retardent d'ordinaire sur les transformations de son outillage.

Nos habitudes individuelles et mêmes sociales survivent assez longtemps aux circonstances pour lesquelles elles étaient faites, de sorte que les effets profonds d'une invention se font remarquer lorsque nous en avons déjà perdu la nouveauté.

(…) Dans des milliers d'années, quand le recul du passé n'en laissera plus apercevoir que les grandes lignes, nos guerres et nos révolutions compteront pour peu de chose, à supposer qu'on s'en souvienne encore ; mais de la machine à vapeur, avec les inventions de tout genre qui lui font cortège, on parlera peut-être comme nous parlons du bronze ou de la pierre taillée ; elle servira à définir un âge.

Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si, pour définir notre espèce, nous nous en tenions strictement à ce que l'histoire et la préhistoire nous présentent comme la caractéristique constante de l'homme et de l'intelligence, nous ne dirions peut-être pas Homo sapiens , mais Homo faber .

En définitive, l'intelligence, envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils et d'en varier indéfiniment la fabrication.

» BERGSON, « L'évolution créatrice ». En clair, c'est dans les progrès techniques que se manifestent en premier lieu les progrès de la raison. La technique manifeste la puissance d'une raison triomphante nous permettant de devenir comme "maîtres et possesseurs de la nature" (Descartes). »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles