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Le problème du désir fondamental

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« I.

Les aspects multiples et complexes de nos tendances ne peuvent-ils se ramener à l'unité ? Ne dérivent-elles pas d'une tendance fondamentale originaire ?, Ceci rejoindrait l'opinion de La Rochefoucauld pour lequel déjà toutes nos inclinations n'étaient que les manifestations, sous des formes diverses, plus ou moins déguisées, de l'amour-propre, « amour de soi-même et de toutes choses pour soi-même ».

Ainsi la pitié n'est-elle qu' « une habile prévoyance des malheurs où nous pouvons tomber », la reconnaissance « une secrète envie de recevoir de plus grands bienfaits ». Ainsi « l'intérêt parle toutes sortes de langues et joue toutes sortes de personnages, même celui de désintéressé ». Tout se ramène à l'égoïsme et il n'y aurait pas de tendances altruistes. II.

Parmi les critiques adressées à La Rochefoucauld, signalons celle, inattendue, qui le trouve exagérément optimiste, et reproche au théoricien de l'égoïsme universel d'avoir oublié la haine.

L'intérêt n'est pas le seul mobile de nos actes, il y a des haines gratuites, des haines qui visent directement la personne de l'autre sans aucun avantage pour nous-mêmes.

Dans un roman de Jouhandeau, Véronique dit à M.

Godeau : « Quand vous m'aimez, vous pensez à vous, quand vous me haïssez, vous pensez à moi ». III.

D'autres font une critique de sens inverse.

Pradines, véritable anti-La Rochefoucauld, déclare : « toutes nos tendances sont spontanément altruistes ! » En effet, toute tendance est centrifuge, vise autre chose que soi.

En lui-même, le désir « nous détacherait plutôt de nous-mêmes par l'attachement qu'il nous inspire pour l'objet de notre amour ».

A ce compte, Harpagon lui-même serait désintéressé ! D'une certaine façon, il s'oublie lui-même, ne songe qu'à sa cassette, est prêt pour la retrouver à tous les efforts, à tous les sacrifices : « puisque tu m'es enlevée, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie; tout est fini pour moi et je n'ai plus que faire au monde, sans toi, il m'est impossible de vivre ».

Sans doute La Rochefoucauld répondrait-il que la tendance égoïste ne vise un objet extérieur que pour elle-même, « l'amour-propre, dit-il, ne s'arrête sur les objets.

étrangers que comme des abeilles sur les fleurs pour en tirer ce qui lui convient ». IV.

Mais n'est-ce pas là supposer que tous nos actes émanent d'un habile calcul, que la tendance spontanée est toujours accompagnée d'une réflexion, d'une ruse, qui la rend égoïste ? Ainsi, la thèse de La Rochefoucauld passe couramment pour être exagérément « intellectualiste ».

On lui oppose de nombreux exemples de dévouements spontanés, irréfléchis.

Talleyrand disait cyniquement : « Méfiez-vous du premier mouvement, c'est le bon.

» En somme, mes désirs seraient parfois purs, innocents.

C'est la réflexion du psychologue, qui, après coup, comme dit Sartre, les « empoisonne » en imaginant systématiquement, à la source de tous mes actes, des ruses, des calculs. V.

Mais La Rochefoucauld ne prétend pas que nos actes soient inspirés par des calculs réfléchis, par des raisonnements égoïstes de l'intelligence claire.

Tout au contraire, l'intelligence travaillerait plutôt, d'après lui, à nous dissimuler notre amour-propre qui demeure généralement « invisible à lui-même », qui ourdit ses intrigues dans une « obscurité épaisse ».

Sur ce point, la Rochefoucauld dépend du jansénisme non seulement pour sa théologie (l'homme est totalement corrompu par le péché originel), mais pour sa psychologie (idée d'une activité psychique inconsciente.

Nicole, le maître janséniste de Racine, disait : « il y a toujours en nous un certain fond et une certaine racine qui nous demeurent inconnus et impénétrables »). NOTE SUR LE JANSÉNISME Le jansénisme est une forme particulièrement rigoureuse de pensée et de vie chrétienne.

Il se propose de revenir à l'enseignement de Saint Augustin par réaction contre le laxisme des molinistes et des jésuites qui accordaient tant de pouvoir à la liberté de l'homme que plus rien ne restait à la puissance de Dieu..

Le jansénisme et son austérité morale constituèrent une véritable machine de guerre contre les jésuites et leur système rhétorique qui leur permettait de tout justifier y compris les actions morales les plus condamnables. Nous accorderons à La Rochefoucauld que les tendances biologiques fondamentales, originaires, comme la tendance alimentaire, sexuelle, sont des tendances égoïstes.

En les satisfaisant, l'individu ne vise primitivement qu'à rétablir un équilibre de l'organisme. Mais à côté de ces tendances qui sont des fonctions biologiques, il en est d'autres — selon une distinction du D' Odier — qui sont des visées de valeur. Les tendances biologiques visent un objet (alimentaire, sexuel) et deviennent latentes lorsque la satisfaction est obtenue.

Au contraire, les visées de valeur (amitié désintéressée, tendance esthétique, recherche de la vérité, etc) ne sont pas interrompues par leur satisfaction.

Elles ne sont pas d'ailleurs susceptibles d'être réellement assouvies. Tandis qu'un amour purement sexuel ne survit guère à sa satisfaction, l'amitié se développe en s'exerçant.

L'Autre est envisagé ici non comme objet, mais comme personne.

De même la visée du Beau, du Vrai ne peut être assouvie. C'est que le Beau et le Vrai ne sont pas objet mais valeur.

Quiconque les poursuit cherche non à retrouver un équilibre en réduisant une tension organique, mais bien au contraire à se dépasser toujours soi-même. La thèse de La Rochefoucauld est utile au moraliste.

Il est très exact que les tendances égoïstes se déguisent aisément en pseudovisées de valeur.

L'amour du Vrai et du Beau n'est pas toujours sincère.

Mais cela ne veut pas dire que le Beau et le Vrai n'existent pas comme valeur ! D'ailleurs La Rochefoucauld, en écrivant que « l'hypocrisie est un hommage du vice à la vertu », semble reconnaître l'existence de valeurs vraies.. »

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