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Le pari de Pascal.

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Le pari de Pascal

"Examinons donc ce point, et disons Dieu est, ou il est pas... Que gagerez-vous?... Il faut parier cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué... Pesons le gain et la perte en prenant croix, que Dieu est. […] Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter." (Blaise Pascal / 1623-1662 / Pensées / 1670)
 
Que l'on demande à la raison une preuve ou que l'on cherche dans une expérience privilégiée une révélation de Dieu, dans un cas comme dans l'autre, on veut d'abord savoir que Dieu existe afin de se fixer ensuite une conduite. Une autre attitude est possible, dont Pascal nous offre un exemple typique. Examinons donc la théorie pascalienne du pari, au prix d'un retour en arrière dans le cours de l'histoire.  a) D'une chose quelconque on peut envisager soit l'existence, soit la nature ; avant même que d'évaluer le pouvoir réel de la connaissance humaine, on peut donc prévoir a priori que les choses se répartiront en trois catégories et en trois seulement : des unes je pourrai peut-être connaître et leur existence et leur nature, des autres je pourrai savoir qu'elles existent mais non ce qu'elles sont, d'autres enfin je ne pourrai connaître ni leur existence, ni par conséquent leur nature.  b) Quels sont, d'autre part, les moyens dont nous disposons pour connaître les choses ? On en peut distinguer trois : la raison, la foi et la gloire. Par la raison seule, nous pouvons connaître l'existence et la nature du réel sensible, car notre âme est située dans un corps, partie du monde physique soumis lui-même au nombre, à l'espace, au temps. La raison nous permet aussi de connaître l'existence, mais non la nature de l'infini mathématique, car : « Nous connaissons qu'il y a un infini, et ignorons sa nature. Comme nous savons qu'il est faux que les nombres soient finis, donc il est vrai qu'il y a un infini en nombre. Mais nous ne savons ce qu'il est : il est faux qu'il soit pair, il est faux qu'il soit impair, car, en ajoutant l'unité, il ne change point de nature ; cependant c'est un nombre, et tout nombre est pair ou impair (il est vrai que cela s'entend de tout nombre fini). » Mais la raison ne nous permet d'atteindre ni l'existence, ni la nature de Dieu. Par la foi en revanche, nous accédons à l'existence de Dieu, si la connaissance de sa nature nous est toujours interdite. Par la gloire enfin nous sera révélée la nature de Dieu avec son existence : la gloire sera le fait de l'élu admis à la contemplation de Dieu et ayant quitté la terre pour le Ciel : « Nous connaissons donc l'existence et la nature du fini, parce que nous sommes finis et étendus comme lui. Nous connaissons l'existence de l'infini et ignorons sa nature, parce qu'il a étendue comme nous, mais non pas de bornes comme nous. Mais nous ne connaissons ni l'existence ni la nature de Dieu, parce qu'il n'a ni étendue ni bornes. « Mais par la foi nous connaissons son existence ; par la gloire nous connaîtrons sa nature. Or, j'ai déjà montré qu'on peut bien connaître l'existence d'une chose sans connaître sa nature. »

« Que l'on demande à la raison une preuve ou que l'on cherche dans une expérience privilégiée une révélation de Dieu, dans un cas comme dans l'autre, on veut d'abord savoir que Dieu existe afin de se fixer ensuite une conduite.

Une autre attitude est possible, dont Pascal nous offre un exemple typique.

Examinons donc la théorie pascalienne du pari, au prix d'un retour en arrière dans le cours de l'histoire. a) D'une chose quelconque on peut envisager soit l'existence, soit la nature ; avant même que d'évaluer le pouvoir réel de la connaissance humaine, on peut donc prévoir a priori que les choses se répartiront en trois catégories et en trois seulement : des unes je pourrai peut-être connaître et leur existence et leur nature, des autres je pourrai savoir qu'elles existent mais non ce qu'elles sont, d'autres enfin je ne pourrai connaître ni leur existence, ni par conséquent leur nature. b) Quels sont, d'autre part, les moyens dont nous disposons pour connaître les choses ? On en peut distinguer trois : la raison, la foi et la gloire.

Par la raison seule, nous pouvons connaître l'existence et la nature du réel sensible, car notre âme est située dans un corps, partie du monde physique soumis lui-même au nombre, à l'espace, au temps.

La raison nous permet aussi de connaître l'existence, mais non la nature de l'infini mathématique, car : « Nous connaissons qu'il y a un infini, et ignorons sa nature.

Comme nous savons qu'il est faux que les nombres soient finis, donc il est vrai qu'il y a un infini en nombre.

Mais nous ne savons ce qu'il est : il est faux qu'il soit pair, il est faux qu'il soit impair, car, en ajoutant l'unité, il ne change point de nature ; cependant c'est un nombre, et tout nombre est pair ou impair (il est vrai que cela s'entend de tout nombre fini).

» Mais la raison ne nous permet d'atteindre ni l'existence, ni la nature de Dieu.

Par la foi en revanche, nous accédons à l'existence de Dieu, si la connaissance de sa nature nous est toujours interdite. Par la gloire enfin nous sera révélée la nature de Dieu avec son existence : la gloire sera le fait de l'élu admis à la contemplation de Dieu et ayant quitté la terre pour le Ciel : « Nous connaissons donc l'existence et la nature du fini, parce que nous sommes finis et étendus comme lui.

Nous connaissons l'existence de l'infini et ignorons sa nature, parce qu'il a étendue comme nous, mais non pas de bornes comme nous.

Mais nous ne connaissons ni l'existence ni la nature de Dieu, parce qu'il n'a ni étendue ni bornes. « Mais par la foi nous connaissons son existence ; par la gloire nous connaîtrons sa nature.

Or, j'ai déjà montré qu'on peut bien connaître l'existence d'une chose sans connaître sa nature.

» c) La raison qui peut assez bien connaître le réel sensible et qui de l'infini mathématique connaît l'existence paraît donc incapable d'apporter le moindre secours à l'homme soucieux de savoir si Dieu existe.

Faut-il donc blâmer l'homme qui vit en chrétien, c'est-à-dire qui a opté pour l'existence de Dieu ? Et celui qui se comporte en athée pour avoir fait l'autre option ? Puisque la raison ne peut faire pencher la balance ni d'un côté ni de l'autre, n'est-il pas préférable d'éviter toute option ? Non, car si l'existence humaine est analogue à un jeu, si elle nous invite à parier, elle n'est qu'analogue, elle n'est pas identique.

Du jeu, la vie humaine a le risque : m'étant assis à une table de jeu, je puis jouer tel ou tel numéro, risquer telle ou telle mise, et il m'arrivera de gagner ou de perdre ; dans la vie de même, je prendrai telle décision ou telle autre, et suivant les événements je gagnerai ou perdrai. Mais entre le jeu et la vie humaine, il y a cependant une essentielle différence : je peux refuser de m'asseoir à la table de jeu, je peux ne pas jouer, tandis qu'il m'est impossible de refuser la vie.

Même le suicide ne fournirait aucune objection valable, puisqu'il n'est que refus de continuer à vivre.

Nous sommes embarqués, nous ne pouvons pas ne pas jouer notre vie : « Oui ; mais il faut parier.

Cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué.

Lequel prendrez-vous donc ? ».

C'est ici que peut intervenir la raison, dont nous désespérions tout à l'heure.

Comme le joueur peut évaluer ses chances de gain en fonction de la tactique qu'il choisit, l'homme peut calculer comment il doit jouer sa vie pour mettre les plus grandes chances de son côté. d) Examinons rapidement cette « technique » du pari : il ne faut jouer que si F « espérance mathématique » est positive, et d'autant plus jouer qu'elle est plus grande.

Or, pour une mise donnée, le calcul des chances doit tenir compte du gain prévu et de la probabilité de gagner.

Si par exemple je risque une mise de 1 NF à un jeu de pile ou face (où la probabilité de gagner est = 1 /2), le gain fixé étant égal à deux fois la mise, je perdrai 1 NF si je perds et gagnerai 1 NF si je gagne (c'est-à-dire 2 NF moins la mise).

Dans ces conditions, le jeu ne paraît guère intéressant, et l'on me conseillera plutôt de m'abstenir.

Mais si, toutes choses étant égales d'ailleurs, le gain prévu est de trois fois la mise, je gagnerai 2 NF en cas de succès, et ne perdrai que 1 NF en cas d'échec : il paraît alors préférable de jouer.

Or, lorsqu'il s'agit de ce jeu imposé qu'est la vie humaine, notre « mise » est la vie terrestre, que nous pouvons mener à notre guise, c'est-à-dire soit en vivant en athée, ce qui revient à parier que Dieu n'existe pas, soit en vivant en chrétien, ce qui revient à parier que Dieu existe.

Parions que Dieu n'est pas : en cas d'échec, nous perdons l'infini et n'avons joui que de notre mise et par suite nous perdons tout, cette vie n'étant rien en regard de l'infini ; en cas de succès, nous ne gagnons que ce rien.

Parions que Dieu est : en cas d'échec, nous avons sans doute perdu tout, mais ce tout n'est qu'une vie finie ; en cas de succès nous gagnons l'infini. Puisque nous ne pouvons pas ne pas parier, on voit qu'il faut parier que Dieu est.

« Puisqu'il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n'aviez qu'à gagner deux vies pour une, vous pourriez encore gagner ; mais s'il y en avait trois à gagner, il faudrait jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer), et vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé à jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois, à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain.

Mais il y a une éternité de vie et de bonheur.

Et cela étant, quand il y aurait une infinité de hasards, dont un seul serait pour vous, vous auriez encore raison de gager un pour avoir deux ; et vous agiriez de mauvais sens, étant obligé à jouer, de refuser de jouer une vie contre trois à un jeu où d'une infinité de hasards il y en a un pour vous, s'il y avait une infinité de vie infiniment heureuse à gagner.

Mais il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini.

Cela ôte tout parti : partout où est l'infini, et où il n'y a pas infinité de hasards de perte contre celui de gain, il n'y a point à balancer, il faut tout donner » (op.

cit., p.

955). e) On voit donc le rôle dévolu à la raison : le pari nécessite une détermination rationnelle des conditions auxquelles soumettre la conduite, mais il n'est cependant pas une pure détermination rationnelle.

On pourrait le définir une pratique soumise à un calcul rationnel.

Et puisque de toutes manières la raison ne peut rien faire de mieux que de faire ce calcul, puisqu'elle ne me donne pas la foi, puisque enfin l'accès à Dieu ne dépend pas que de moi, mais aussi de l'appel de Dieu, c'est-à-dire de la grâce, il me faut agir la foi avant de Y avoir.

« Travaillez donc, non pas à vous convaincre par l'augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions.

Vous voulez aller à la foi, et vous n'en savez pas le chemin ; vous voulez vous guérir de l'infidélité, et vous en demandez le remède : apprenez de ceux qui ont été liés comme vous, et qui parient maintenant tout leur bien ; ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre, et guéris d'un mal dont vous voulez guérir.

Suivez la manière par où ils ont commencé : c'est en faisant tout comme s'ils croyaient, en prenant de l'eau bénite, en faisant dire des messes, etc.

Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira » (op.

cit., p.

957).. »

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