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Le luxe est-il nécessaire ?

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« Le luxe est-il nécessaire ? Là tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. L'invitation au voyage de Baudelaire engage le lecteur dans un monde fantastique, loin des nécess ités du monde agité, vers un au-delà raffiné et somptueux. Les images de l'abondance, de la profusion se multiplient dans le déroulement du poème, jusqu'à créer un univers dans lequel rien ne rattache l'homme à ses besoins premiers. La définition du luxe, précisément, repose sur une indépendance vis-à-vis de l'ordinaire.

Se demander s ' i l e s t n é c e s s a i r e apparaît comme une formule antithétique dans un premier temps, mais n'est-il pas nécessaire à l'homme de dépasser la s imple réponse à ses besoins premiers ? En quoi le plaisir ressenti dans le luxe ne serait-il pas nécess aire qu'à lui-même ? Et finalement, le luxe ne se caractérise-t-il pas par son désintéressement ? L'enjeu principal de telles interrogations relèvent de l'hédonisme : comment penser le plaisir, le bonheur, dans son rapport au luxe ? Est-ce une condition sine qua non, un caprice des passions ? Le luxe se trouve-t-il réellement dans la profusion vaine, divertissante, ou au contraire dans une recherche simple ? C e qui nous renvoie à la sphère éthique. Enfin, ne s'agit-il que d'acquérir ou de créer soi-même tant sa pensée que sa posture face au monde ? C e qui nous renvoie tant à des considérations politiques qu'esthétiques . Le luxe, « ce superflu si nécessaire » Le luxe, selon sa définition la plus répandue, concernerait ce qui s e rapporte aux besoins extra-ordinaires de la vie.

Si pour survivre, l'homme doit principalement se s oucier de répondre à ses besoins en nourriture et à se protéger des intempéries, cela pass e dans la plupart des s ociétés par le travail. O r, s ous l'A ntiquité, H .

A rendt souligne que les t â c h e s matérielles étaient réservées aux e s c laves , afin que les maîtres puis sent mener une vie contemplative, réservée à la pensée, activité la plus haute.

Le luxe, ce s erait donc se consacrer à la faculté de penser de l'homme, et il devient nécessaire non au sens de la survie, mais dans une hiérarchisation des modes de vie qui fait de la vie contemplative un luxe par rapport à la vie active, cette dernière se contentant d'affronter la matière. M ais cette première définition du luxe s e trouve dépendante de l'idée que les maîtres parviennent à vivre dans un environnement s omptueux, coûteux. Le luxe est-il nécessairement lié à la notion de pouvoir économique ? C ar « vivre dans le luxe », c'est vivre dans la profusion.

C ette profusion, selon Rousseau, se trouve dans l'état de Nature, alors que les premiers sauvages s e contentent d'une vie pares seuse.

A leurs besoins primaires, la Nature répond de manière parfaitement adéquate.

A la différence de la vie en société, il n'existe pas de lutte pour acquérir le nécessaire à la vie.

Le luxe, ainsi, devient la facilité d'acquérir c e qui est néces saire, non pas dans la lutte, mais simplement en tendant la main.

C ela se traduit également dans les relations humaines par une transparence du cœurs, soulignée par J.

Starobinski dans son es sai La transparence et l'obstacle. Vanité d'une recherche effrénée P ourtant, ce luxe premier que Rousseau décrit, qui se révèle en fait luxuriance, s e trouve rapidement mis au banc par l'apparition de nouveaux rapports entre les hommes.

Le siècle que décrit Rous seau, que ce soit dans son Discours s ur les sciences et les arts ou dans Discours s ur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes est un siècle perverti par le paraître.

Si les hommes vont au théâtre, c'est avant tout pour se faire voire, pour se pavaner dans leurs riches parures.

En s'éloignant de la Nature, l'homme s'est fabriqué des besoins qui sont autant d'envies superficielles, de luxes qui introduisent l'opacité dans les rapports soc iaux.

C e luxe d'artifices corrompt la s ociété entière, incapable de revenir aux néces sités premières de la vie.

A insi, le luxe apparaît comme un monde d'illus ions , un perpétuel théâtre d'ombres. A considérer à présent le luxe dans une perspective hédonis te, c'est-à-dire en cons idérant ic i le plaisir qu'il est possible d'en tirer, on remarque que la doc trine épic urienne ne le promeut jamais, et pour cause : seuls les pourceaux d'Epicure, qui entendent la doctrine comme un abandon à la débauche, peuvent se repaître dans le luxe.

C ar dans le De Natura Rerum, il est uniquement question de la recherche de plaisirs naturels et nécessaires.

Q u'est-c e à dire ? Q ue ce n'est guère en se noyant dans la profusion qu'il est possible d'atteindre l'ataraxie, ou absence de troubles de l'âme.

En distinguant ce qui est nécess aire de c e qui ne l'est pas, les épicuriens font ainsi correspondre le luxe avec ce qui répond aux besoins ordinaires de la vie.

C e renversement permet un rapport épuré au plaisir, qui ne dépend pas de ress ources économiques et de truchements sociaux, mais des seuls plaisirs de l'âme et du corps. Dépasser la nécessité Si l'on peut voir dans le luxe un dépassement des rapports communs qu'entretient l'homme tant avec lui-même qu'avec son environnement, il nous faut examiner la possibilité pour c e dépassement d e ne p a s s e limiter au divertissement, au sens pasc alien du terme.

Marx le souligne dans écrits, nous vivons dans une société capitaliste dans laquelle seul compte le profit, dirigé par les patrons, qui se veulent class e dominante.

Le luxe repose ains i sur les s ignes extérieurs qui rallient à ce type de c l a s s e .

M ais comment penser un luxe qui dépas se le paraître ? C 'est peut-être dans une oisiveté féconde, loin des exigences du monde du travail, que se trouve le vrai luxe.

C ette oisiveté se rapprocherait en un sens de celle des premiers hommes imaginés par Rousseau, mais en un sens seulement car nous y ajoutons ici une véritable réflexion tant sur soi que sur le monde qui nous entoure.

En d'autres termes : le l u x e p a s s e par la création, et non par la consommation.

Luxe en tant qu'il s'agit d'une ac tivité qui ne s'accomplit que pour le plaisir, mais ce plais ir diffère de la satisfaction immédiate pour devenir médiation entre soi et le monde : non plus consommation pass ive, mais construc tion active de soi, de son rapport au monde.

Si l'on peut encore parler de néces sité, il s'agit de celle, éthique, d'échapper à un monde fondé sur des valeurs capitalistes décriées par Marx.

C 'est finalement passer de la s urvie à l'existenc e. Dans Le Crépuscule des Idoles , Nietzsche affirme que « lorsqu'un peuple périt, dégénère phys iologiquement, les vices et le luxe (c 'est-à-dire le besoins d'excitants toujours plus forts et toujours plus fréquents, tels que les connaissent toutes les natures épuisées) en sont la conséquenc e » (in Les Quatre grandes Erreurs ).

Le luxe apparaît c omme un symptôme de la décadence, précisément comme un dérivatif pour esprits faibles .

L'es prit fort, dans sa création inc essante de lui-même que nous évoquions n'a pas besoin de ces dérivatifs.

Le « luxe » porte s a nécess ité interne, c'est celle de la volonté de puissance.

La nécessité d'un tel luxe peut alors devenir aimable, au sens plein du terme. Il apparaît au terme de cette analyse que le luxe ne s e réduit pas à chimère et caprice des passions.

P enser est un luxe, si nous limitons la nécessité à la répons e que nous donnons à nos besoins vitaux, pour autant, c'est également ce qui peut nous faire pass er de la s imple survivance à l'existence.

C 'est finalement la poursuite du luxe c omme divertissement qui nous apparaît entreprise vaine, dans la mesure où un tel mouvement concourt d'avantage à isoler les hommes les uns des autres qu'à une réelle recherc he de son plaisir.

P lus encore : ce plaisir devient néc essité s'il concourt à la création de soimême, n é c e s s ité d'échapper au diktat d'une société qui voudrait précisément réduire l'individu à s e s besoins de consommation, voire à la fictive création de ces besoins.. »

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