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Le libre arbitre et le sentiment immédiat de la liberté ?

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« Pour chacun, la liberté est une évidence dont témoignent les résistances que nous opposons spontanément à quiconque veut nous contraindre.

Qu'un élève soit sommé de quitter le cours par un enseignant qui lui signifie une exclusion, aussitôt il manifeste son mécontentement en claquant violemment la porte : il s'exécute mais témoigne simultanément que sa volonté reste hostilement disposée, libre, irréductible.

C'est qu'on peut bien contraindre autrui à faire et beaucoup plus difficilement à vouloir.

La volonté reste libre, quelques que soient les entraves à l'action. Descartes souligne cette évidence de ce qu'on appelle le libre arbitre, cette liberté intérieure qui se rapporte à notre volonté : « La liberté de notre volonté se connaît sans preuve, par la seule expérience que nous en avons.

» Excédant toute preuve, le libre arbitre s'atteste par sa seule manifestation. Dire qu'elle se connaît sans preuve signifie à la fois qu'il est inutile de la prouver tant elle se manifeste avec évidence, et qu'il est impossible de la prouver tant elle excède l'intelligence que nous pouvons avoir de tout mouvement naturel.

On dira alors que la liberté de la volonté comporte une dimension proprement métaphysique (littéralement : qui est au-delà de la nature) : tous les mouvements naturels, en effet, sont susceptibles d'être expliqués par un rapport de cause à effet déterminé et qui veut que la cause précède l'effet et est extérieur à lui.

Avec le libre arbitre, ce qui se donne comme une évidence, c'est, à l'inverse, le pouvoir d'auto-détermination de l'homme qui en fait un être, sinon hors nature, du moins irréductible aux données naturelles que peuvent nous enseigner la physique, la biologie. • Un sentiment illusoire Cette liberté de la volonté n'est pas seulement évidente, elle est encore absolue.

En effet, sans doute ne pouvons-nous pas tout faire mais nous pouvons tout vouloir : vouloir l'impossible, par exemple, est sans doute déraisonnable, funeste, voire stupide, de la part de l'entêté, mais il n'en demeure pas moins qu'il reste libre de le vouloir et ce absolument, c'est-à-dire sans limites ni restrictions externes ou internes (sinon la mort bien sûr).

L'homme est ainsi cet être qui, compte tenu de ce pouvoir d'auto-détermination qui définit sa liberté, n'est relatif à rien d'autre qu'à lui-même.

Cette dernière proposition nous laisse toutefois assez circonspects : l'homme n'est-il pas toujours effet de quelque chose ? Pour voir le jour, il ne s'est pas tiré du néant comme le Baron de Münchhausen se tirant par les cheveux pour sortir de son trou, il a été conçu, éduqué durant son âge juvénile, et cette éducation a sans doute déterminé pour une part les choix qu'il fera étant adulte.

Or pourquoi ce qui vaut quant à son existence (elle est relative à quelque chose qui n'est pas lui et lui reste extérieur), ne vaudrait pas aussi en ce qui concerne ce qu'il veut ? En outre, l'immédiateté de l'évidence est suspecte : ce qui est immédiat est irréfléchi et certaines choses que nous prenons pour des évidences peuvent se révéler fausses (ainsi d'une évidence sensible par exemple).

Spinoza insiste particulièrement sur ces différentes objections à la thèse du libre arbitre : « Il n'y a dans l'âme aucune volonté absolue ou libre ; mais l'âme est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause qui est aussi déterminée par une autre, et cette autre l'est à son tour par une autre, et ainsi à l'infini.

»" En d'autres termes, nous croyons abusivement libres parce que nous sommes ignorants des causes qui nous font agir et vouloir : nous avons immédiatement conscience de ce que nous voulons, des fins que nous visons, et avons à prendre conscience de ce qui nous fait vouloir ceci ou cela, des causes de nos désirs.

Notons en outre que ce manque de savoir n'est pas en fait susceptible d'être comblé puisque la recherche des causes va, comme le dit Spinoza, à l'infini.

Pourquoi les hommes restent-ils la plupart du temps dans l'irréflexion et ne cherchent pas à connaître ces causes ? car ils aiment, explique Spinoza, se représenter comme un « empire dans un empire » : l'orgueil et la crainte de devoir subir sa vie plutôt que de la vouloir les inclinent à cette croyance en l'illusion du libre arbitre, étant entendu que nous croyons toujours davantage à ce que nous désirons. • Le libre arbitre, une invention commode et perverse À en croire Spinoza, le sentiment du libre arbitre ne serait qu'un sentiment erroné personnel, issu d'une ignorance rassurante.

Pourtant, le sentiment de la liberté n'est pas seulement recherché personnellement, il est encore cultivé socialement.

Fiction peut-être, mais fiction collective, ce qui constitue une résistance importante à l'acceptation de la doctrine spinoziste.

Nos sociétés dites libres reposent sur la garantie de la liberté de chacun, dans les limites fixées par la loi : ce qui est ainsi reconnu juridiquement (notamment dans l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) et socialement, c'est la liberté de faire, d'entreprendre et de penser et non pas le libre arbitre et la dimension métaphysique de la liberté.

Il existe cependant un lien direct entre les deux : la seconde, pourrait-on dire, fonde la première comme le reconnaît implicitement le système judiciaire qui ne s'attache pas simplement aux actes (répréhensibles ou non) mais aussi aux volontés (coupables ou non).

Qu'est-ce qu'une circonstance atténuante sinon la reconnaissance qu'au moment de l'acte, celui-ci n'a pas été voulu librement ; l'agent ayant été déterminé par telle ou telle cause (pathologique, sociologique...) indépendante de sa volonté. Devons-nous dès lors dire que le libre arbitre est une fiction nécessaire, notamment pour l'ordre social ? Nietzsche qui, pas plus que Spinoza ne croit au libre arbitre, souligne que la notion, loin de n'être qu'une fiction, est en outre, une invention.. »

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