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Le développement technique peut-il être un facteur d'esclavage ?

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« Il est paradoxal que l'homme se soit mis à juger aliénant le tour pris par le développement technique à l'heure de son apogée, au XXe siècle.

En effet le perfectionnement des moyens par lesquels l'homme conjure les maux naturels comme la faim, la maladie et la mort; s'approprie l'espace et maîtrise le temps ; exerce, enfin, sa transcendance de sujet sur la nature, en créant un monde seul à même de satisfaire ses désirs..., un tel perfectionnement ne peut être facteur d'esclavage : il consacre, tout au contraire, la libération de l'homme et le rend plus humain puisqu'il lui permet d'opérer plus efficacement et donc plus pleinement en homme.

En effet, si l'homme ne se réduit pas à ce rôle de technicien, ce rôle lui est essentiel et ses progrès dans ce domaine conditionnent les autres.

Voilà ce que la raison comprend de la logique du développement technique. Ce qu'elle constate, en revanche, c'est que cette dynamique libératrice s'est non seulement accompagnée de maux nouveaux mais s'est commuée en servitude.

Non seulement les retombées de la technique ont saccagé le paysage, détruit des espèces, pollué l'atmosphère, mais elles ont affecté l'homme lui-même dans son corps et dans son âme en induisant une vie et une philosophie de la vie que les tristes formules «métro, boulot, dodo, loto» et «on n'arrête pas le progrès» résument assez bien.

Le caractère mécanique et fatal de l'existence que dénoncent ces slogans évoque bien celle de l'esclave.

Qu'est-ce que l'esclavage, en effet, sinon l'état de celui qui, rendu étranger à luimême, est démis du soin de diriger sa vie pour devenir l'instrument de puissances supérieures, hommes, choses ou système? Si le développement technique n'engendre pas que des méfaits, s'ils ne sont pas tous sensibles et que d'aucuns s'en accommodent fort bien compte tenu des avantages qu'ils procurent, il reste insensé que ce dont la fonction est de libérer l'homme puisse l'asservir. Comment la technique peut-elle échapper à celui qui en est l'auteur, telle une Galatée révoltée des mains de Pygmalion? Comment l'homme peut-il subir à ses dépens une puissance qu'il a suscitée pour son bien? Comment, enfin, ce qui n'est qu'un moyen peut-il s'arroger le statut de fin et mettre l'homme à sa merci ? 1.

L'horizon de la technique et la technique comme horizon L'optimisme inconditionné des Lumières à l'endroit du progrès technique a vécu, pense-t-on.

Mais qu'est-ce qui a vécu à proprement parler? La foi naïve en une «croissance» qui se ferait de façon continue et sans crise.

Le manque de recul de nos pères pouvait en effet leur suggérer que le formidable essor de l'industrie irait son train aussi benoîtement qu'à ses débuts, sans grand dommage, à première vue.

Ne nous moquons point d'eux.

Notre seul avantage est d'arriver après, comme ces « nains montés sur des épaules de géants ».

Or ce que la distance permet d'apprécier — et que des esprits perspicaces avaient entrevu très tôt —, c'est que tout progrès est lui-même capable de progrès.

Le progrès est multipliable par lui-même.

En d'autres termes, les innovations techniques sont par nature amendables.

A ses débuts, tout changement vers un mieux apparaît comme un pire, même si son terme infirme cette impression.

L'enfant qui croît vers l'adulte connaît de ces crises douloureuses qui semblent le faire reculer : l'adolescent est disgracieux et on ne soupçonne pas sous son air niais le jeune homme équilibré qui le cache.

Rappelons-nous M.

Thiers qui s'inquiétait du train des chemins de fer qui demain tuerait tous les voyageurs ! La rapidité du TGV est aujourd'hui proportionnelle à la sûreté de ce moyen de transport.

Les débuts de la chirurgie laissaient mal augurer de leurs suites.

Les tentatives d'A.

Paré pour sauver Henri II achevèrent ce que la lance de Montgomery avait commencé.

Le sang royal couvrait les murs, et l'initiative de ligaturer les artères plutôt que de les cautériser ne sembla pas très concluante.

Il en va de même des conséquences humaines de l'essor de l'industrialisation.

Les désordres économiques et sociaux causés par la première révolution industrielle — celle que permit la machine à vapeur — furent considérables au point que la littérature s'en empara comme de l'épopée napoléonienne.

L'inhumanité des conditions de travail, la cruelle adaptation que connurent paysans et cochers ne laissèrent sereins que les magnas du charbon et du fer que le fatum épargnait momentanément.

Or chacun sait que ce dont la médecine est capable aujourd'hui est, entre autres, de pouvoir prévenir les méfaits que ses débuts avaient causés.

Le machinisme a résolu les problèmes humains dont la prime industrialisation était responsable.

Les Temps modernes émeuvent encore, mais comme le font les récits des sévices infligés aux esclaves antiques ou aux martyrs des temps apostoliques : la retraite des ouvriers d'usine n'est pas moins longue de nos jours que celle des employés de banque.

Les machines sur lesquelles ceux-là travaillent sont désormais conçues pour eux.. »

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