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Le développement de la technique peut-il être un facteur d'esclavage ?

Extrait du document

« Introduction L'opinion commune porte des jugements contradictoires sur le développement technique.

Elle s'émerveille devant certaines réalisations spectaculaires, mais elle en redoute telle ou telle retombée.

Elle pense que le progrès technique peut libérer l'homme, mais elle craint les machines qui pourraient, sinon se révolter contre leurs auteurs, du moins finir par les soumettre à leur logique.

Le problème se pose donc de savoir si l'humanité est, ou non, menacée par ses propres inventions.

Le développement technique, au lieu d'avoir pour conséquence une libération des hommes, peut-il être un facteur d'esclavage ? 1) Le projet d'une technique libératrice Le développement technique La figure de l'homme déterminante est celle de l'Homo faber: être qui fabrique des outils.

C ette définition rappelle que la technique n'est pas un phénomène récent.

Elle semble en effet contemporaine de l'apparition et du développement de l'humanité.

Elle désigne des procédés, outils, instruments, savoir-faire, par lesquels s'accomplit un certain travail, une modification ou une transformation consciente de la nature.

M ais le " développement technique " ne désigne pas, d'ordinaire, les lentes évolutions des techniques artisanales au cours des siècles.

Il renvoie essentiellement à l'extension considérable du machinisme depuis le XV III siècle, et l'application croissante des sciences aux techniques par lesquelles s'effectue la transformation de la réalité, application autorisée à partir du XV II siècle par la naissance du mécanisme et le développement de la science expérimentale.

On parle alors d'un progrès parallèle des sciences et des techniques, c'est-à-dire d'une amélioration indéfinie des connaissances de type scientifique et des applications techniques qu'il est possible d'en tirer. Un intérêt manifeste : acquérir "des connaissances fort utiles" C 'est un aspect bien connu qui justifie, semble-t-il, l'acquisition de connaissances scientifiques, à savoir, l'utilité.

" Sitôt que j'eus acquis quelques notions générales touchant la physique [...], j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire [...].

Elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie ; et qu'au lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force des actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature " (Discours de la méthode, 1637, 6e partie).

On voit que Descartes prend acte de la naissance des sciences expérimentales, et conscience des applications pratiques qu'elles autorisent.

Il annonce la possibilité d'une technique dont le développement, loin d'être une fatalité pour l'homme, devrait libérer l'humanité, et la libérer en particulier, de la souffrance du travail. ...

et libérer l'homme C ertaines inventions techniques " feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent ".

Cette libération est aussi une libération de la maladie, voire du vieillissement lui-même: le progrès des techniques devrait permettre d'assurer un jour « la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ».

C 'est, enfin une libération vis-à-vis de la nature en général, de cette puissance dont nous sommes les jouets malheureux tant que nous n'avons pas conquis sur elle le pouvoir que donne le savoir.

P uisque l'on nomme « Dieu », traditionnellement, le maître de la nature, le projet cartésien nous promet de participer quelque peu à la puissance divine.

Il est remarquable que Descartes ait affirmé que le développement de la technique passe par la substitution des «forces et actions du feu, de l'eau, de l'air », aux forces musculaires des hommes ou des animaux et qu'il ait en ce sens annoncé les révolutions industrielles des siècles suivants.

Mais celles-ci ont-elles bien réalisé le projet libérateur annoncé par Descartes ? 2) La technique aliénante Les révolutions industrielles L'inauguration de la machine-outil à la fin du XVIII siècle inaugure une révolution dans la manière de produire, dont les effets se font toujours sentir.

La machine à vapeur fournit une énergie qui, pour la première fois, peut remplacer systématiquement la force musculaire pour limer, fraiser, aléser, scier, percer, etc..

L'introduction de moteurs à énergie de plus en plus transformée (on passe peu à peu du bois et de la houille au pétrole, à l'électricité, à l'atome) prolonge et étend les conséquences de la première révolution industrielle. Il ne faudrait certes pas oublier les libérations qui peuvent accompagner cette extension du règne des techniques.

L'homme qui commande la machine libère son corps de la fatigue qu'entraînent des gestes difficiles et répétés.

Les gains de productivité, rendus possibles par le machinisme, multiplient les produits, et il est vrai que nous sommes aujourd'hui plus indépendants que nos ancêtres de la nature « brute », dans la mesure où nous sommes environnés de produits « humanisés » par le travail qui les a réalisés; par exemple, les techniques de l'éclairage ont éloigné l'angoisse de l'obscurité; les techniques de communication font que nous sommes moins dépendants des contraintes que produisent les séparations dans l'espace, etc.

Toutefois le développement technique est également associé à diverses formes d'esclavages. L'homme esclave de la technique L'application des machines est contemporaine d'une aliénation nouvelle, qui prend plusieurs formes.

Être aliéné, c'est être dépossédé de la maîtrise de soi, de son propre travail, se trouver sous la dépendance de forces « autres », « étrangères » (en latin alius, alienus). S'il domine la machine, l'homme est aussi dominé par elle: il soumet ses gestes productifs à la rationalité de celle-ci.

La division du travail qui accompagne le machinisme subordonne le travailleur aux conditions mécaniques de la production, aux mouvements de la machine, puis aux impératifs du développement technologique lui-même.

Non seulement le travail est moins intéressant, plus répétitif, parcellaire, sans qualification, mais il conduit le travailleur à faire usage de machines et d'instruments complexes, dont il ne comprend pas (et, à la limite, n'a pas à comprendre) les lois rationnelles de fonctionnement : un corps de spécialistes (techniciens, ingénieurs) est chargé de penser, pour tous, l'ensemble et les détails du processus de production; sa logique échappe à ceux qui en assurent la réalisation effective.

Le développement du machinisme industriel, enfin, s'est produit historiquement dans le cadre d'une économie capitaliste.

Marx nomme exploitation l'aliénation qui fait dépendre le prolétaire du capitaliste, ce dernier achetant la force de travail du prolétaire comme une marchandise et en extrayant une plus-value invisible. En ce sens, la maîtrise croissante de la nature grâce aux techniques s'accompagne d'une servitude croissante des hommes, aliénés par d'autres hommes. Un asservissement « hors du travail » ? Hors du travail, aujourd'hui, ne signifie pas hors de l'univers technique, puisque la technique fait partie de notre univers quotidien.

Nos loisirs eux-mêmes en dépendent largement (télévision, téléphone, automobile, jeux électroniques, etc.).

Il serait possible de décrire les formes nouvelles d'esclavage, rendues possibles par ce nouvel usage des techniques.

On s'est demandé, par exemple, s'il ne fallait pas redouter une « dictature des médias », ceux-ci exerçant leur douce violence sur des consommateurs passifs, anesthésiés, standardisés, insidieusement manipulés.

Mais, sur ce plan comme sur celui du travail, la question essentielle est de savoir si ce sont bien les techniques elles-mêmes qui sont responsables des formes d'esclavage auxquelles on les associe ou dont on les accuse.. »

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