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Le cas de l'Homme aux loups

Extrait du document

« Il est donc difficile pour chaque individu séparément de sortir de la minorité qui est presque devenue pour lui, nature.

Il s’y est si bien complu, et il est pour le moment réellement incapable de se servir de son propre entendement, parce qu’on ne l’a jamais laissé en faire l’essai.

Institutions (préceptes) et formules, ces instruments mécaniques de l’usage de la parole ou plutôt d’un mauvais usage des dons naturels, (d’un mauvais usage raisonnable) voilà les grelots que l’on a attachés au pied d’une minorité qui persiste.

Quiconque même les rejetterait, ne pourrait faire qu’un saut mal assuré par-dessus les fossés les plus étroits, parce qu’il n’est pas habitué à remuer ses jambes en liberté.

Aussi sont-ils peu nombreux, ceux qui sont arrivés par leur propre travail de leur esprit à s’arracher à la minorité et à pouvoir marcher d’un pas assuré. Mais qu’un public s’éclaire lui-même, rentre davantage dans le domaine du possible, c’est même pour peu qu’on lui en laisse la liberté, à peu près inévitable. Car on rencontrera toujours quelques hommes qui pensent de leur propre chef, parmi les tuteurs patentés (attitrés) de la masse et qui, après avoir eux-mêmes secoué le joug de la (leur) minorité, répandront l’esprit d’une estimation raisonnable de sa valeur propre et de la vocation de chaque homme à penser par soi-même.

KANT. Introduction Pourquoi est-il si difficile de s'arracher à la minorité, telle est la question que le texte tente d'élucider.

Kant montre que ce qui est quasiment impossible « à l'individu pris séparément», à savoir penser par soi-même, est cependant inévitable si on considère les hommes dans leur ensemble.

Kant en analyse les raisons; il évoque ces êtres d'exception qui transforment, sinon les pratiques, du moins la pensée que l'humanité peut avoir d'elle-même. Mais comment ces êtres qui ouvrent sans doute la voie du progrès parviennent-ils à penser par eux-mêmes? 1.

Il est difficile à l'individu seul de sortir de l'état de minorité. Le texte commence par exposer les difficultés qui empêchent « l'individu pris séparément » de sortir de la minorité, moment où par convention un individu est jugé être en mesure de diriger sa vie, d'être citoyen à part entière, d'exercer ses droits et d'accomplir ses devoirs. a) Les raisons de cette difficulté.

La minorité est presque devenue nature.

Nature signifie ce que chacun reçoit, ce dont chacun « pâtit ».

Nature s'oppose à ce qui est voulu, décidé.

Par extension, la nature inclut ce qui est inné et ce qui est fait par habitude ou par inclination.

Le comportement de mineur, contracté dans l'enfance, est devenu une habitude et l'habitude est comme une nature.

Un acte fait par habitude n'est pas vraiment voulu.

Le développement de l'être humain s'opère lentement.

Entre sa naissance et le moment où il deviendra majeur, il reçoit une éducation, et pour rompre avec ce qu'il a appris, il lui faut autant de temps et d'effort que pour l'apprendre.

La complaisance dans la minorité que mentionne le texte tient à une éducation qui rend impossible le passage à la majorité, majorité qui peut se définir a contrario comme la capacité « de se servir de son propre entendement ».

L'individu majeur de droit semble coïncider avec ce qu'on appelle aujourd'hui en termes juridiques un « incapable majeur », du moins « pour le moment ». b) Détermination de la cause de cet attachement à la passivité et à la dépendance : les effets pervers de l'éducation. « On ne l'a jamais laissé faire l'essai de son entendement.

» Qui est ce « on » nécessairement incriminé de faire obstacle aux progrès de l'humanité dont Kant ne désespère pas, bien que « pour le moment» l'individu soit irrémédiablement interdit de pensée? Ce «on» renvoie aux éducateurs, parents et maîtres dont il faut mettre en cause les pratiques et les méthodes, en fonction des effets pervers qu'elles introduisent : persistance de la minorité, c'est-àdire enchaînement de la liberté ; elles vont à rencontre des exigences de l'esprit, nécessairement actif lorsqu'il construit lui-même, dans les limites de l'expérience, les connaissances dont il est capable, en suivant le modèle de la physique mathématique.

Tout se passe comme si on apprenait aux enfants les règles et les conventions, ce qui est « institué», et encore les formules toutes faites qu'on sait par cœur à force de les entendre répéter. Compte tenu du pouvoir de l'entendement, cet usage des instruments mécaniques de l'entendement est un «mauvais usage des dons naturels».

En effet, sans sortir de ses limites, l'entendement a la capacité de travailler et de penser par lui-même, ce qui suppose la liberté.

L'usage mécanique de l'entendement va à l'encontre des droits de chacun, au nombre desquels il faut compter le droit d'user de son entendement. c) L'éducation semble empêcher, outre l'usage de l'entendement, le mouvement de la liberté.

Elle a même totalement détruit ce pouvoir. L'individu, essayant de mettre en œuvre son esprit d'initiative, est comparable à un animal ou à un prisonnier qui, depuis longtemps attaché, n'a pas la force de courir librement.

Il est clair qu'il ne tiendra pas la route.

Or penser c'est savoir s'orienter dans la pensée et tenir la route. On ne peut donc s'étonner que seul un petit nombre arrive à s'arracher à la minorité.

La condition pour y parvenir n'est pas seulement le courage de rompre avec des habitudes, mais un travail de pensée personnelle qui supposerait une éducation contraire à celle que chacun a reçue et qui le réduit en esclavage.

Il faudrait donc non. »

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