Le bonheur se mérite-t-il ?
Extrait du document
«
Que suppose l'idée de mérite ? On mérite une récompense (ou du moins on peut la mériter) quand on a bien agi
par exemple.
On dit aussi que tout travail mérite salaire.
Il semble donc qu'il y ait corrélation par le biais de l'idée de
mérite entre deux actes, ou plutôt entre un acte et son résultat.
Le travail suppose le salaire ; la bonne action
supposerait la récompense.
Dès lors que suppose l'hypothèse selon laquelle le bonheur se mériterait, serait lié au
mérite ? Il n'y aurait pas de bonheur sans contrepartie, de bonheur gratuit.
Le bonheur serait l'équivalent de la
récompense et de ce point de vue lié à la vertu, à la lucidité etc.
ou à d'autres attitudes ou actions.
Cette
conception du bonheur est-elle acceptable ? Étymologiquement, le mot "bonheur" renvoie à l'idée de chance, de
hasard.
Quel rapport avec le mérite ? A-t-on une attitude superstitieuse ? Le mérite relève-t-il d'une croyance qui
justifierait notre passivité par rapport au bonheur ? Doit-on à l'opposé se rendre heureux activement ? Si le bonheur
repose sur une attitude, il est dans l'être et non dans l'avoir : on a parfois tous tendance à penser que le bonheur
est lié à ce qu'on posséderait, alors qu'il est peut-être davantage lié à ce que l'on est (et partant à ce qu'on fait, si
cela définit notre être).
Et que serait l'idée d'un bonheur qu'on ne mérite pas ? Un bonheur non mérité n'est-il pas en
définitive un faux bonheur ? Ce serait un bonheur dont on sait nous-mêmes qu'il ne nous est pas dû : le bonheur qui
se mérite serait le vrai bonheur qui nous serait dû (voir la Lettre que Descartes a écrite à la princesse Élisabeth
datée du 6 octobre 1645) ? La question finalement est de savoir qui peut décider si l'on mérite ou non d'être
heureux.
Comment évaluerait-on le mérite ? Le bonheur n'aurait pas de valeur intrinsèque pour lui-même ou absolue
mais une valeur relative à une action, à un faire, à une attitude.
La question du mérite serait alors liée à la question
de la valeur.
Définition des termes du sujet
Le bonheur est généralement compris comme un état de satisfaction durable, qui pourrait d'ailleurs être considéré
comme le but de toute vie humaine.
Dire qu'une chose « se mérite », c'est dire plusieurs choses : que cette chose a une grande valeur, que son
acquisition ne peut se faire qu'au prix de certains efforts, qu'elle est donc en quelque sorte la récompense ultime
d'un dur travail fourni.
Ce qui n'a pas à se mériter, c'est ce qui nous est dû quoi qu'il arrive, quoi que nous fassions : pouvons-nous nous
considérer que nous avons le droit de prétendre au bonheur quoi que nous fassions ? Ou bien faut-il préférer une
perspective impliquant une responsabilité de l'homme devant son bonheur, si bien que le bonheur apparaîtrait comme
la récompense d'un travail sur soi ?
Ces questions mettent en jeu la définition du bonheur : est-il un ensemble de conditions extérieures qui ne nous
concernent que par chance ou par malchance, qui nous arrivent par accident et sur lesquelles nous n'avons aucune
prise ? Ou est-il au contraire un ensemble de dispositions que nous prenons délibérément, et qui touchent tant nos
conditions de vie extérieures que nos manières de réagir intérieurement à ce qui vient nous affecter ?
Proposition de plan
I.
L'indétermination du concept de bonheur et des conditions de son obtention : la difficulté du sujet au
plan épistémologique
La première difficulté provient de l'indétermination du concept en jeu, celui de bonheur.
Cette première partie
cherchera à interroger cette indétermination.
On pourrait soutenir ainsi que l'évidence de l'attribution du bonheur est
disqualifiée d'emblée par l'indétermination du concept même de bonheur.
Cela serait un premier moyen de fonder
l'idée de la nécessité d'un travail pour parvenir au bonheur – on doit chercher ce qu'est le bonheur par un travail -,
donc l'idée que le bonheur se mérite.
Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs
Le concept du bonheur est un concept si indéterminé, que, malgré le désir qu'a tout homme d'arriver à être heureux,
personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et il veut.
La raison en
est que tous les éléments qui font partie du concept du bonheur sont dans leur ensemble empiriques, c'est-à-dire
qu'ils doivent être empruntés à l'expérience ; et que cependant pour l'idée du bonheur un tout absolu, un maximum
de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire.
Or il est impossible qu'un être fini, si perspicace et en même temps si puissant qu'on le suppose, se fasse un
concept déterminé de ce qu'il veut ici véritablement.
Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d'envie, que de pièges
ne peut-il pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissance et de lumières ? Peut-être cela ne ferat-il que lui donner un regard plus pénétrant pour lui représenter d'une manière d'autant plus terrible les maux qui
jusqu'à présent se dérobent encore à sa vue et qui sont pourtant inévitables, ou bien que charger de plus de
besoins encore ses désirs qu'il a déjà bien assez de peine à satisfaire.
Veut-il une longue vie ? Qui lui répond que ce
ne serait pas une longue souffrance ? Veut-il du moins la santé ? Que de fois l'indisposition du corps a détourné
d'excès où aurait fait tomber une santé parfaite, etc.
!
Bref, il est incapable
véritablement heureux
parler exactement, ne
comme pratiquement
de déterminer avec une entière certitude d'après quelque principe ce qui le rendrait
: pour cela il lui faudrait l'omniscience.
(...) Il suit de là que les impératifs de la prudence, à
peuvent commander en rien, c'est-à-dire représenter des actions d'une manière objective
nécessaires, qu'il faut les tenir plutôt pour des conseils (consilia) que pour des.
»
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