La raison est-elle commune à tous les hommes ?
Extrait du document
«
Chacun reconnaît que les individus diffèrent par leurs physiques ou par leurs aptitudes : l'un est blond et l'autre
brun, l'un mémorise vite tandis que l'autre est plus doué pour imaginer.
Mais en va-il de même pour la raison? On
constate certes, tous les jours, des comportements irrationnels ou déraisonnables.
Mais peut-on ôter à certains
hommes la capacité de distinguer le vrai du faux dans le domaine théorique et le bien du mal dans le registre
pratique sans remettre en question leur humanité? Comment expliquer que tous les hommes possèdent également la
raison et s'en servent pourtant si différemment?
1.
La raison est l'essence de l'homme
Si l'on admet que l'homme est un animal raisonnable, alors il est impossible de nier que chacun possède la même
capacité que son voisin ou son ancêtre à distinguer le vrai du faux et le bien du mal.
Lorsqu'au tout début du
Discours de la méthode, Descartes affirme que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », il veut non
seulement dire que chacun la possède, mais que chacun la possède de façon égale.
La raison est entière ou bien
n'est pas, et il n'existe pas d'homme moins ou plus raisonnable qu'un autre.
C'est par cet énoncé fracassant que Descartes ouvre le « Discours
de la méthode, pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans
les sciences ».
Ce texte est le premier livre de philosophie en langue vulgaire, cad en
français.
Ecrire en français un ouvrage de philosophie et de science, que
« même les femmes pourraient comprendre », manifeste une volonté de
démocratisation du savoir ; c'est vouloir que le plus grand nombre de lecteurs
possible soit touché par la véritable révolution qu'il prépare.
Nous oublions souvent que le « Discours » n'est qu'une petite préface à trois
gros essais scientifiques qui intéressaient les contemporains beaucoup plus
que le « Discours ».
Cet ouvrage paraît en 1637, à peine quatre ans après le procès de Galilée.
Galilée fut traduit devant un tribunal de l'Inquisition pour avoir confirmé
l'hypothèse de Copernic selon laquelle « ce n'est pas le Soleil qui tourne
autour de la Terre, mais la Terre qui tourne autour du Soleil, et sur ellemême ».
Or, cette révolution scientifique, qui signe une révolution dans la façon de
voir le monde et d'y définir la place de l'homme.
Descartes en est partie
prenante.
Il pratique la physique comme Galilée et aboutit à des thèses aussi « dangereuses ».
Les résultats
scientifiques et philosophiques auxquels il est parvenu, Descartes veut les livrer au public, en français.
Le « bon sens » est synonyme de « raison », cela veut dire que «la raison est naturellement égale en tout homme »,
que chacun possède « la puissance de bien juger et de distinguer le vrai d'avec le faux ».
Car cela signifie, après
tout, que si ma mémoire ou mon imagination sont moins étendues que celles de Descartes ou d'Einstein, ils n'ont
pas plus de raison que moi !
Cependant, un lecteur scrupuleux du « Discours » est assez vite désarçonné par la justification que Descartes
donne de sa thèse : la preuve que la raison est égale en tout homme, c'est que si l'on désire être plus riche, ou
avoir plus de mémoire, personne ne désire avoir plus de raison.
C'est notre orgueil qui fournit la preuve.
En fait, ce qui intéresse Descartes, n'est pas cette égalité de la raison.
Ce thème est déjà à l'époque un lieu
commun.
Ce n'est pas avec cette thèse que commence le cartésianisme, mais avec le problème suivant : « La
diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres » ; ou encore, si la
raison est égale en chacun, comment se fait-il que « autant de têtes autant d'avis », que certains se trompent et
d'autres pas ? La vraie question est là, la véritable thèse de Descartes suit : « Ce n'est pas assez d'avoir l'esprit
bon, mais le principal est de l'appliquer bien.
»
L'essentiel réside donc dans la méthode.
« Méthode » est un mot qui vient du grec et qui signifie à l'origine
« chemin » : c'est la voie qu'on emprunte pour mener sa pensée, pour ne pas s'égarer.
Si tous les hommes ont une
raison égale, savent également marcher, il semble clair à Descartes que certains s'égarent, se perdent, dissipent
leurs forces.
Il y a une sorte d'obsession cartésienne à ne pas se perdre.
Pour un savant ou un philosophe qui,
comme lui, sort des sentiers battus et balisés de la tradition, rien ne saurait être plus important que de ne pas
s'égarer dans les terres inconnues à découvrir.
Aussi trouve-t-on chez Descartes une magnifique définition de la méthode :.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- La raison permet elle de mettre d'accord les hommes?
- Spinoza: La raison oppose-t-elle les hommes plus que les sens ?
- « Tous les êtres sont coordonnés ensemble, tous concourent à l'harmonie du même monde ; il n'y a qu'un seul monde, qui comprend tout, un seul Dieu, qui est dans tout, une seule matière, une seule loi, une raison commune à tous les êtres doués d'intellige
- « [...] Par la même raison que nous croyons que tous les hommes reçoivent les mêmes sensations que nous des mêmes objets, nous pensons que tous les hommes sont agités des mêmes passions que nous pour les mêmes sujets [...]. » MALEBRANCHE, De la recherche
- « Les choses absurdes sont les seules agréables, les seules belles, les seules qui donnent de la grâce à la vie et qui nous empêchent de mourir d'ennui. Un poème, une statue, un tableau raisonnable feraient bâiller tous les hommes, même les hommes raison