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La philosophie peut-elle se passer d'une réflexion sur les sciences ?

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« [Introduction] On admet volontiers que la philosophie et les sciences constituent deux activités différentes de la pensée, et cette différence se retrouve, du moins en France, jusque dans l'organisation des enseignements en terminale.

Alors que, pendant des siècles, les mêmes individus ont pu s'adonner à la fois à la réflexion philosophique et à des travaux scientifiques, une « spécialisation » s'est progressivement imposée à partir du moment où les disciplines scientifiques sont devenues elles-mêmes trop techniques et riches en connaissances pour que le même esprit puisse prétendre toutes les couvrir.

Un tel écart peut-il aboutir à une indifférence complète de la philosophie relativement aux sciences ? Peut-on concevoir une philosophie, notamment aujourd'hui, qui se passerait de la moindre réflexion sur les sciences de son époque ? Ne serait-ce pas la condamner à ignorer un aspect majeur de la réalité et, d'autre part, approuver implicitement un développement scientifique susceptible de s'effectuer sans jamais se préoccuper des valeurs qu'il véhicule sans toujours le savoir ? [I.

L'autonomie des sciences] Les sciences n'ont conquis leur indépendance relativement à la philosophie que récemment et, jusqu'à la fin du xviii siècle, il était fréquent qu'elles soient élaborées par des philosophes.

Ainsi c'est Platon qui, dans Ménon, rédige la première démonstration de géométrie, bien avant la constitution des Éléments d'Euclide ; et l'on sait que, de manière générale, Platon — comme après lui Aristote, même si c'est selon des principes différents — affirme que la maîtrise des différents savoirs « scientifiques » de son temps est nécessaire au philosophe, ce qui signifie aussi que la philosophie occupe la position ultime dans l'ordre du savoir possible.

Hiérarchiser ainsi les domaines de la connaissance implique bien entendu que l'on commence par réfléchir sur leurs apports, si l'on veut en apprécier l'importance et les éventuelles limites.

Mais cette réflexion ne porte encore que sur le contenu des savoirs — sur ce qu'ils peuvent nous enseigner relativement au monde et à ses étants (alors que la philosophie ambitionne de réfléchir sur l'Être lui-même, comme au-delà de tous les étants). Les sciences affirment leur autonomie, non par un simple accroissement de leur contenu, mais bien plutôt par une modification de leurs méthodes.

Ce que cherche à expliquer Galilée est bien ce dont se préoccupait la théorie astronomique d'Aristote ; mais sa recherche se fait inductive (et complémentairement expérimentale), alors que la tradition aristotélicienne restait entièrement déductive.

La découverte des lois scientifiques obéit dès lors, dans tous les domaines, à la distinction que thématisera Kant : on doit distinguer un monde phénoménal d'une réalité nouménale, et la loi concerne le premier, même si elle n'apparaît pas directement dans les phénomènes eux-mêmes, tandis que l'univers nouménal (le fond du « réel ») nous reste inconnu.

Ce qui fait de la philosophie un discours autre que celui de la science, c'est son obstination à penser (puisqu'elle ne peut les connaître) les noumènes. Lorsqu'à partir du XIX siècle, l'homme commence à se considérer comme un objet de science possible, on constate que les disciplines scientifiques qui entreprennent de le cerner — les sciences humaines — entendent bien se détacher de toute emprise philosophique, ne serait-ce qu'en adoptant des méthodes qui autorisent une approche « objective » de l'être humain (tests et recherche de laboratoire en psychologie, enquêtes et traitement statistique en sociologie, etc.).

Tandis qu'il est reproché à la philosophie de ne pouvoir se dégager d'un « point de vue » qui, même s'il n'est pas strictement « subjectif », renvoie nécessairement à quelques postulats métaphysiques, et donc étrangers à toute science possible. Il semble ainsi, à considérer hâtivement l'évolution des deux domaines, qu'on aboutisse à une hétérogénéité.

Celle-ci est-elle de nature à interdire désormais toute relation, toute réflexion de la philosophie sur les sciences ? Rien n'est moins sûr. [II.

Les apports des sciences] Tout d'abord parce que les sciences peuvent apporter à la philosophie des éléments dont elle est obligée de tenir compte.

On pourrait de ce point de vue prolonger la formule de Russell affirmant que la science a progressé dans la mesure où elle s'est affranchie d'Aristote, en considérant que ce progrès du savoir scientifique a aussi affranchi (moins totalement peut-être) la philosophie elle-même d'Aristote.

C'est-à-dire qu'elle a entraîné des transformations dans la réflexion philosophique, telles qu'elles se manifestent par exemple chez Descartes.

Si Descartes se veut anti-aristotélicien, c'est aussi parce qu'il est persuadé que les lois de Galilée sont justes, et qu'on pourra d'autant mieux « trouver la vérité dans les sciences » que l'on parviendra à mathématiser ce qui nous apparaît du monde. Lorsque Kant s'intéresse au progrès de la science depuis Copernic, il en déduit qu'il est dû aux méthodes qu'elle suit, et que la philosophie elle-même, dans sa partie la plus ambitieuse mais aussi la plus « fragile », devrait parvenir à accomplir sa propre « révolution copernicienne ».. »

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