La passion, maladie de l'âme ?
Extrait du document
«
Les Stoïciens : irrationalité des passions
La passion est, si l'on se fie à l'étymologie, synonyme de passivité.
Selon le stoïcien Zénon de Cittium (III
siècle av.
J.-C.), la passion constitue un «trouble» ; c'est un «un mouvement de l'âme qui s'écarte de la droite
raison et qui est contraire à la nature», une «tendance sans mesure» (cité par Diogène Laërce, Vies des
philosophes, VII).
La passion est trop véhémente : elle «s'écarte trop de l'équilibre naturel» (Cicéron,
Tusculanes, IV, 11).
Aussi, selon Sénèque (1er siècle après J.-C.), mieux vaut empêcher les passions de naître que de tenter
vainement par la suite de gouverner leur impétuosité (Lettres à Lucilius, 85, 3).
• Pour la philosophie stoïcienne, le désir est dangereux, et il vaut mieux y renoncer.
C'est la seule voie possible
pour qui veut atteindre la sagesse qui consiste en l'«ataraxie» ou absence de trouble, obtenue par la
reconnaissance rationnelle de la nécessité qui gouverne le monde.
• D'après Épictète, il y a deux sortes de désirs: les premiers portent sur «ce qui ne dépend pas de nous»:
notre corps, la richesse, la célébrité, le pouvoir...
Désirer ces choses-là, c'est s'exposer aux plus grands
malheurs puisque ce sont des choses qui nous échappent complètement et qui sont très changeantes.
On
pourrait donc désirer au moins «ce qui dépend de nous», c'est-à-dire désirer la sagesse.
Mais celle-ci ne peut
être l'objet que d'une décision et non d'un désir: celui qui se contente de la désirer souffrira de ne pas y
parvenir.
Mieux vaut donc renoncer à tous les désirs et s'efforcer d'être purement rationnel.
• On peut remarquer toutefois qu'Épictète précise «...pour le moment».
Le sage pourra laisser libre cours à son
désir de sagesse lorsqu'il sera parvenu à celle-ci.
Mais ce «désir» aura changé de signification et se confondra
avec la sagesse.
Platon : la démesure, mère de toutes les passions
Déjà, avant les Stoïciens, Platon (ive siècle av.
J.-C.) avait considéré que c'est dans l'absence de mesure que
gît la source des passions.
La démesure (en grec : hybris), le désir d'avoir plus que ce à quoi l'on peut
prétendre légitimement (l'«enflure», ou pleonexia) : c'est là ce qui anime les discoureurs qui, tels le Calliclès
que Platon a mis en scène dans son Gorgias, assurent que la «loi» et la «justice» ne sont que des subterfuges
inventés par les faibles pour museler les natures fortes (Gorgias, 483 b).
En conséquence, selon Platon, «l'âme du vrai philosophe se tient à l'écart des plaisirs, des passions, des
chagrins, des craintes» (Phédon, 83 c).
Kant : la «gangrène» des passions
Faisant écho au vieux thème de l'enfer des passions (entendez : l'Enfer est déjà présent, sur cette terre, et
cet enfer, ce sont les passions), Kant (1724-1804) déclare que «les passions ne sont pas simplement, comme
les émotions, des dispositions malheureuses qui portent en elles beaucoup de mal ; elles sont sans exception
mauvaises» (Anthropologie au point de vue pragmatique, § 81 - 1798).
Et il va jusqu'à écrire que celles-ci
constituent une véritable «gangrène» pour la raison morale, et qu'elles sont «inguérissables» la plupart du
temps, «car le malade ne veut pas être guéri et se soustrait à l'emprise du principe qui seul pourrait opérer
cette guérison» (ibid.).
"Les passions, puisqu'elles peuvent se conjuguer avec la réflexion la
plus calme, qu'elles ne peuvent donc pas être irréfléchies comme les
émotions et que, par conséquent, elles ne sont pas impétueuses et
passagères, mais qu'elles s'enracinent et peuvent subsister en même
temps que le raisonnement, portent, on le comprend aisément, le plus
grand préjudice à la liberté ; si l'émotion est une ivresse, la passion est
une maladie, qui exècre toute médication, et qui par là est bien pire
que tous les mouvements passagers de l'âme; ceux-ci font naître du
moins le propos de s'améliorer, alors que la passion est un
ensorcellement qui exclut toute amélioration." KANT
1.
Introduction
• Ce texte, extrait de l'Anthropologie du point de vue pragmatique, se
rapporte au thème de la passion et soulève le problème de la nature de cette
dernière.
La passion, dysfonctionnement majeur, pathologie dangereuse ou
mouvement psychique fécond pouvant porter l'âme vers de grandes choses ?
• Quelle est l'idée directrice de ces lignes? La passion est une véritable
maladie de l'âme, portant atteinte à notre liberté.
• On saisit ce que le texte nous fait gagner, son enjeu: une attitude pratique
concernant le jeu passionnel.
Si la passion est une désorganisation pathologique, nous devons tenter — si possible
— de la dominer.
Or, la passion porte atteinte à la liberté.
Donc la maîtrise de la passion est difficile..
»
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