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La passion est-elle une erreur ?

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« VOCABULAIRE: PASSION: * Ce que l'âme subit, ce qu'elle reçoit passivement.

Chez Descartes, le mot désigne tout état affectif, tout ce que le corps fait subir à l'âme.

Son origine n'est pas rationnelle ni volontaire. * Inclination irrésistible et exclusive qui finit par dominer la volonté et la raison du sujet (la passion amoureuse). ERREUR : Affirmation fausse.

A la différence du mensonge, l'erreur implique la bonne foi; l'erreur, dit Platon, est une ignorance double, c'est-à-dire une ignorance qui ne se sait pas ignorante, une ignorance doublée d'une illusion. Dire que la passion serait une erreur implique que l'origine de la passion serait dans la connaissance.

Par rapport à quoi pourrait-elle être une erreur ? Une logique de pensée ? Par rapport à une vérité, mais alors laquelle ? Quels sont les rapports de la passion et de la vérité ? La passion est-elle rationnelle ? N'est-elle pas opposée à la raison, différente, et par là-même sans rapport avec l'erreur ? L'erreur se distingue du mensonge par son caractère involontaire.

La passion est-elle une erreur par la passivité qu'elle impose à l'homme ? Mais la passion est- elle véritablement involontaire ? Pourquoi, dans ce cas, le passionné ne désire-t-il pas renoncer à sa passion ? Quels sont les grands caractères communs à toutes les passions ? Ceux-ci font-ils ou ne font-ils pas d'elle une erreur (involontaire) ? Plus qu'une erreur, la passion ne serait-elle pas à penser plutôt en termes de danger quand elle est suivie avec excès ? Le terme d'erreur est-il un jugement sur une passion dans une situation particulière, ou est-il le propre de la passion ? Références utiles : Descartes, Les passions de l'âme ; Spinoza, Éthique. Introduction « Dire que j'ai gâché des années de ma vie, écrit Proust, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre .

» Nombreux sont ceux qui, revenus d'une passion, peuvent dresser cet amer constat d'aveuglement.

Il semble que la passion nous conduise à surestimer les qualités de son objet.

L'avare fait de l'argent son dieu, l'amoureux divinise sa belle...

L'un et l'autre ignorent qu'ils ne désirent pas l'objet de leur passion parce qu'il est objectivement excellent, mais qu'ils ne le jugent excellent que parce qu'ils le désirent ardemment.

Cette ignorance les dispose, semble-t-il, à commettre toutes les erreurs et à subir toutes les désillusions.

Est-ce à dire cependant que la passion soit en elle-même une erreur ? Assimiler l'une à l'autre exige que l'on fasse de la passion une espèce de jugement.

Or, la passion ne semble, à première vue, qu'une maladie comparable à n'importe quelle autre, qu'il serait vain de déclarer déraisonnable.

On voit mal, en effet, en quoi l'amour ou l'ambition pourraient être en eux-mêmes plus déraisonnables qu'une grippe, qui n'est pas une erreur mais un fait.

C'est pourquoi il paraît nécessaire de se demander si la passion est vraiment une erreur. I - Passion et ignorance a) L'homme en proie à une passion est amené à se comporter partialement à l'égard de lui-même.

Il ne prend en compte qu'une partie de ses désirs et sacrifie la plupart d'entre eux sur l'autel de sa passion.

Rien, par exemple, n'effraye le joueur tant que sa frénésie l'étreint.

Il sent pourtant confusément qu'il néglige une partie de lui-même qui, pour être moins tumultueuse que sa passion, n'en est pas moins profonde.

L'homme passionné se montre par conséquent aussi injuste à l'égard de lui-même qu'avec son entourage.

La passion, par laquelle un homme méconnaît la totalité de ses désirs, apparaît en ce sens comme un rétrécissement du champ de la conscience, comme une moindre conscience. b) Car le passionné ne connaît pas non plus l'origine de son désir : il croit chercher librement l'objet qui obnubile ses pensées et rien ne lui semble plus absurde que l'idée que son désir ne lui appartienne pas vraiment.

Tout montre pourtant que l'homme en proie à sa passion est l'esclave de celle-ci, qu'elle le possède et qu'il ne la possède pas.

L'illusion amoureuse illustre parfaitement cette dépossession du sujet.

« La procréation de tel enfant déterminé, écrit Schopenhauer, voilà le but véritable, quoique ignoré des acteurs, de tout roman d'amour : les moyens et la façon d'y atteindre sont choses accessoires'.

» Aussi l'amoureux passionné est-il victime d'une illusion ; son désir n'est pas vraiment le sien, mais celui de l'espèce qui cherche à se reproduire à travers lui. c) Ignorance de soi, la passion est aussi ignorance de son véritable objet.

On sait qu'aux yeux de Pascal, l'homme n'aime que les qualités de l'objet de sa flamme.

De sorte que même si chacun prétend pouvoir dire comme Montaigne : « parce que c'était moi, parce que c'était lui », la singularité de la personne « aimée » échappe toujours au sentiment amoureux.

Nous n'aimons personne en particulier.

Méconnaissance de soi, ignorance de la source du désir et de son objet, tout apparente la passion à une erreur. II — La passion peut-elle être considérée comme un jugement ? a) Cette description peut sembler convaincante.

Elle ne contient pourtant aucune définition réelle des termes assimilés.

Qu'est-ce donc qu'une erreur ? Qu'est donc une passion ? Une erreur est une affirmation, un jugement qui ne correspond pas à la réalité, aux faits qui la constituent.

Autrement dit, il n'est possible de parler d'erreur qu'au sujet d'une proposition censée représenter une réalité quelconque.

Une idée, un jugement, un raisonnement peuvent être dits erronés s'ils ne constituent pas une image mentale fidèle des choses, s'ils ne les représentent pas adéquatement.

Or, Hume affirme qu'une passion « ne contient aucune qualité représentative qui en fasse une copie d'une autre existence.

» Lorsque je suis amoureux, le sentiment que j'éprouve ne prétend représenter aucune réalité extérieure.

Il n'a pas pour vocation, comme l'idée ou le jugement, de constituer une image ou une copie du réel dans l'esprit. b) Une passion n'est donc pas un jugement mais une « existence primitive ou, si vous le voulez, un mode primitif d'existence.

» HUME: LA RAISON NE PEUT COMBATTRE UNE PASSION Contre l'opinion commune et la tradition philosophique classique qui s'accordent pour opposer la raison aux passions et préconiser la soumission de celles-ci à celle-là, Hume fait observer qu'une telle vue se fonde en réalité sur une fausse analyse et une fausse opposition.

En effet, faculté de combiner logiquement des concepts et des propositions (ou jugements), la raison ne peut se prononcer que sur la cohérence de ces combinaisons (vérité formelle, comme en mathématique) ou sur la correspondance entre des propositions et la réalité des faits (vérité d'expérience, comme en physique) ; or les passions étant des faits et non pas des jugements, la raison ne peut rien dire sur elles, mais seulement sur les jugements qui les concernent.

En toute rigueur, la raison ne saurait donc s'opposer à une passion ni la combattre. « Une passion est une existence primitive, ou, si vous le voulez, un mode primitif d'existence et elle ne contient aucune qualité représentative qui en fasse une copie d'une autre existence ou d'un autre mode.

Quand je suis en colère, je suis actuellement dominé par cette passion et, dans cette émotion, je n'ai pas plus de référence à un autre objet que lorsque je suis assoiffé, malade ou haut de plus de cinq pieds.

Il est donc impossible que cette passion puisse être combattue par la vérité et la raison ou qu'elle puisse les contredire ; car la contradiction consiste dans le désaccord des idées, considérées comme des copies, avec les objets qu'elles représentent.

» Hume, Traité de la nature humaine, II) ordre des idées 1) Un constat : la passion est une « existence primitive », un « mode primitif d'existence » (c'est-à-dire qu'elle est un fait qui ne constitue pas par lui-même une représentation : ce fait est ce qu'il est, et non une « copie d'un autre fait », comme le sont les idées et les images). 2) Des exemples explicatifs : une passion comme la colère est un fait qui par lui-même ne « réfère » à rien d'autre qu'à lui-même, tout comme le fait d'être malade ou de mesurer cinq pieds.

ces faits sont seulement des faits, non des « représentations », des images, des idées ou des jugements.

(Je puis, bien sûr, avoir en plus des idées de ces faits, de ma colère, de mesurer cinq pieds, mais ces idées ne sont pas ces faits.) 3) Une conclusion : La raison ne peut donc contredire et par conséquent combattre une passion, puisqu'elle ne peut se prononcer que sur des relations entre des idées et des faits, mais non sur les faits eux-mêmes.

(La raison ne peut contredire le fait que je sois en colère pas plus que le fait que je mesure cinq pieds). Autrement dit, elle est un fait qu'il est vain de qualifier de vrai ou de faux.

Si nous entendons par « vérité » l'adéquation d'un énoncé à la chose qu'il représente, comme la passion ne contient aucune qualité représentative qui en fasse l'image d'un objet, nous devons conclure à l'inconséquence des philosophes qui, à l'instar de Ferdinand Alquié, prétendent que nos passions ne sont que nos erreurs. Le « désir d'éternité », le « refus du temps » dont parle Alquié à propos des passions, c'est la fixation du passionné à des circonstances de son passé dont il est d'autant plus l'esclave qu'il n'en prend pas une conscience claire.

Les passionnés, « prisonniers d'un souvenir ancien qu'ils ne parviennent pas à évoquer à leur conscience claire sont contraints par ce souvenir à mille gestes qu'ils recommencent toujours, en sorte que toutes leurs aventures semblent une même histoire perpétuellement reprise.

Don Juan est si certain de n'être pas aimé que toujours il séduit et toujours refuse de croire à l'amour qu'on lui porte, le présent ne pouvant lui fournir la preuve qu'il cherche en vain pour guérir sa blessure ancienne.

De même, l'avarice a souvent pour cause quelque crainte infantile de mourir de faim, l'ambition prend souvent sa source dans le désir de compenser une ancienne humiliation...

Mais ces souvenirs n'étant pas conscients et tirés au clair, il faut sans cesse recommencer les actes qui les pourraient apaiser.

» Dans « le Désir d'éternité » (1943), Alquié distingue précisément la passion passive et la passion active : 1 — La passion passive est caractérisée par le refus du temps.

Le passionné est l'homme qui préfère le présent immédiat au futur de sa vie.

« Pour l'ivrogne, l'essentiel est de boire sur-le-champ, pour l'amoureux de retrouver sa belle au plus tôt, pour le joueur de courir au casino.

Mais demain, voici l'amoureux au désespoir, l'ivrogne malade, le joueur ruiné.

Ils ont sacrifié leur bonheur aux sollicitations immédiates, ils n'ont pas su se penser avec vérité dans le futur ».

Cette négation du temps comme avenir est ce que Alquié appelle « le désir d'éternité ».

Or c'est du passé que le présent tient sa puissance de fascination, dans cette forme de passion.

Elle est égocentrisme et résurgence du passé.

Le passionné aime dans l'objet de sa passion le symbole de son passé : l'avarice a souvent pour cause une crainte infantile de mourir de faim, l'amoureux projette sur la femme qu'il aime l'image du visage qui se penchait sur son berceau etc.

De là cette « joie d'enfant » du passionné adorant l'objet passionnel.

Étant refus du temps, la passion passive est vouée à l'inefficacité. 2 — La passion active est unité de l'esprit et volonté réalisatrice.

Elle retrouve le sens du futur comme lieu de son action, elle est autonomie du sujet.

Par exemple, loin d'être infantile, possessif et cruel comme l'amour-passion, l'amour-action sera oubli de soi, effort pour assurer l'avenir des êtres aimés, charité. — La différence nettement établie enfin entre les deux genres de passions est inséparable, comme on le voit, du plan moral.

Au fond la différence est surtout entre l'égoïsme des unes et l'altruisme des autres.

L'ambition est pensée du futur et sera pourtant rangée dans les passions passives, mais si cette ambition prend la forme de la passion de la science, elle risque d'être rangée dans les passions actives.

La vraie différence est bien, comme le disait Descartes, dans l'utilisation de ce dynamisme passionnel aveugle qui est tantôt inefficace, tantôt utilisé, selon le sentiment au service duquel il est et selon qu'il exclut ou intègre le discernement des valeurs. La conception de Alquié a été discutée par Pradines.

Ce dernier, tout en reconnaissant que nos premières émotions sont parfois susceptibles d'orienter définitivement nos tendances, se refuse à voir en toute passion l'emprise inconsciente du passé.

Le plus souvent, la passion se présente « plutôt comme l'appétit de sensations inconnues que comme le désir de renouveler d'anciennes expériences ».

La passion charnelle n'est-elle pas « révolte contre l'habitude » ? Sans doute, en sa conscience claire, la passionné aspire à éprouver des sensations nouvelles.

Dans le « coup de foudre », la passion éclate brusquement, s ‘éprouve comme une découverte que rien ne laissait présager.

Mais le témoignage de la conscience du passionné ne nous semble nullement décisif.

Les « découvertes », les « révélations » de la passion sont la réponse à une angoisse qui leur préexiste et qui ne trouve sa signification claire que dans les événements de notre passé.

Le « coup de foudre » ne nous introduit pas dans un monde réellement nouveau, mais réveille une ancienne nostalgie.

Si ce visage, inconnu encore de nous il y a seulement quelques instants, nous trouble si fort, n'est-ce pas, comme le dit Alquié, que « nouveau en lui-même, il devient pour nous l'image et le symbole d'une réalité que notre passé a connue » ? Dans le « Phèdre », Platon a parlé de l'émotion amoureuse de l'âme qui tombe en extase devant la beauté.

Mais cette extase soudaine n'est que le retour d'un souvenir.

Réveillée par la présence du Beau, l'âme se souvient moins obscurément de son passé lumineux, avant l'incarnation, au paradis des Idées.

Il est permis de reconnaître en ce mythique paradis, magiquement ressuscité par une belle apparition, le symbole métaphysique du « vert paradis » de nos « amours enfantines » dont nos passions adultes ne sont obscurément que la résurrection nostalgique. De la théorie psychanalytique, nous retiendrons essentiellement le caractère inconscient des processus passionnels.

L'objet de la passion résulte d'un transfert ou d'une compensation, ou d'une sublimation.

Les vraies causes de la passion sont en nous-mêmes et non réellement dans les objets qui paraissent les solliciter.. »

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