Aide en Philo

La parole suffit-elle à rompre la solitude ?

Extrait du document

« La solitude est un état de l'homme qui peut se définir de trois manières. D'une part, on parle de solitude objective lorsque l'on considère la solitude comme la situation d'un homme qui est passagèrement ou durablement seul. Mais on parle également d'une solitude subjective, lorsqu'on fait référence à l'état d'un individu qui s'éprouve lui-même comme abandonné des autres.

Il s'agit donc d'un état psychologique de déréliction, non la constatation d'une séparation effective d'un homme par rapport à ses semblables (on peut se sentir seul dans la multitude). Enfin, on parle d'une solitude métaphysique lorsque l'on fait allusion à l'attitude d'un sujet pour qui sa conscience propre est l'unique réalité, les autres consciences et toutes ses représentations n'étant pour lui que des idées.

Cette attitude est théorisée par une doctrine philosophique que l'on nomme « solipsisme » qui considère l'individu comme un être fondamentalement seul devant la certitude de sa propre existence. La parole est la face individuelle du langage (la face sociale étant la langue).

Elle est la mise en œuvre individuelle de la langue par les sujets parlants, une actualisation des possibles contenus dans cette vaste totalité qu'est la langue.

Elle est à l'origine de la langue (historiquement, les paroles échangées entre les hommes font émerger la langue) et le moteur de son évolution. Se demander si la parole suffit à rompre la solitude incite à une problématisation du terme de solitude, dont nous avons vu qu'il s'entendait en trois manières.

Nous nous demanderons donc si la parole permet de mettre un terme à la solitude, entendue successivement comme solitude objective, subjective et métaphysique. I. a. La parole suffit-elle à rompre la solitude objective ? Parole et solitude dans l'état de nature Le présupposé de ce sujet est que la solitude est un état antérieur à la parole, dont il s'agit de déterminer si elle peut rompre cet état.

Pour que la parole puisse rompre la solitude, celle-ci doit nécessairement lui préexister.

L'état de nature peut être une situation dans laquelle la solitude préexiste à la parole : Rousseau nous dépeint en effet dan le « Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes » l'homme dans l'état de nature comme un être solitaire, subvenant lui-même à la totalité de ses besoins.

Or, dans la mesure où dans l'état de nature, l'homme est un être solitaire qui n'éprouve nullement le besoin de communiquer, il faut nécessairement qu'il soit sorti de son état d'isolement pour parvenir à créer une langue, à faire usage de la parole. Par conséquent, loin de rompre la solitude, la parole nécessite la communauté des hommes pour émerger en tant qu'utilisation individuelle de la langue. C 'est donc la rupture de la solitude qui permet de créer la langue, donc la parole, et non la parole qui met fin à la solitude. b. Parole et solitude dans la société En revanche, la réponse est différente dans la société, dès lors que l'on considère un individu solitaire au sein d'un groupe humain constitué.

La parole parait dans ces circonstances le meilleur moyen de mettre un terme à cet état d'isolement objectif, puisqu'elle met en relation les individus, permet de les interconnecter.

C ependant, il faut prendre garde à quel type de parole nous avons affaire : plus la parole est commune, courante, admise, plus la solitude de l'individu à de chances de prendre fin, en tant qu'il ne saurait inquiéter son interlocuteur par l'audace de ses points de vue.

M ais si cette parole est originale et déroutante pour autrui, elle risque au contraire d'accroître sa solitude : pensons aux artistes originaux, aux poètes en avance sur leur temps.

Nietzche écrivait à ce propos : « Souffrir de la solitude, mauvais signe ; je n'ai jamais souffert que de la multitude..

». II.

La parole suffit-elle à rompre la solitude subjective ? a. « La littérature est la hache qui brise la mer gelée en nous » Si nous passons à la solitude subjective, alors nous dirons qu'effectivement la parole, comme mise en œuvre individuelle et originale de la langue, est le meilleur moyen de rompre la solitude.

Kafka écrivait : « La littérature est la hache qui brise la mer gelée en nous ».

La littérature, en tant que prise de parole personnelle, est le meilleur moyen de mettre au jour l'individualité d'un homme, et de la faire partager aux autres.

Par la littérature, la solitude des hommes prend fin. b. Parole et déréliction Mais si nous prenons le terme de solitude dans un sens voisin, mais plus marqué par le christianisme, au sens de déréliction de l'homme sans dieu, notre réponse devra être plus nuancée.

En effet, si la solitude est l'état malheureux de l'homme qui vit sans le secours et la pensée du ciel, alors la seule parole qui soit capable de mettre fin à sa solitude est la sainte parole, la parole de Dieu. III.

La parole suffit-elle à rompre la solitude métaphysique ? a. La certitude de l'existence de dieu, condition de la fin du solipsisme C onsidérons désormais le dernier sens donné au terme de solitude : l'état d'un homme qui vit dans la certitude que rien n'est réel en dehors de sa propre conscience.

Si nous nous reportons aux « Méditations Métaphysiques » de Descartes, nous dirons que la parole ne suffit pas à rompre pareille solitude : en tant que manifestation des sens, appréhendée par les sens, elle peut être l'occasion d'une erreur.

Il se peut que la personne dont j'entends la parole n'existe que dans ma pensée, dès lors que l'on accepte le doute hyperbolique Cartésien.

En ce sens, ce n'est pas la parole qui met fin à ma solitude, mais plutôt la certitude de l'existence de Dieu, qui garantit la réalité effective de tout ce que j'appréhende par mes sens.

Cette certitude me persuade que je ne suis pas dans un état de solitude radicale, puisque Dieu ne saurait être que bon étant donné qu'il est nécessairement parfait. b. Les étapes de la sortie du solipsisme dans la philosophie Husserlienne Si nous reprenons le questionnement C artésien dans le cadre de la P hénoménologie Husserlienne, alors nous dirons que ce n'est pas la parole qui met fin à la solitude, mais un processus en trois grandes étapes.

Je puis m'assurer de l'existence réelle d'autrui par une opération d'analogie : de même que je perçois mon corps propre dans le monde, avec la certitude subjective de son existence, je puis considérer le corps d'autrui comme le corps d'un alter-ego, comme le corps d'un être qui existe vraiment, comme moi-même j'existe.

Deuxième étape : je puis constater la concordance des profils d'autrui et de moi-même.

C 'est-à-dire que mes gestes et mes expressions concordent avec ceux d'autrui, indiquant par la même que celui-ci est un autre existant au même titre que moi (s'il a l'air joyeux de la même manière que moi, il a des chances d'exister aussi bien que moi).

Dernière étape : je puis me figurer ce que je percevrais si j'étais à la place de l'alter ego que je vois devant moi.

Cette capacité d'imagination me permet de considérer l'autre comme un autre moi-même, comme un existant au même titre que moi, qui saisit la réalité comme moi, quoique du sein de son propre corps.

Par conséquent, la sortie de la solitude métaphysique se fait par l'intermédiaire du corps plutôt que par celui de la parole. Conclusion : La parole met fin à la solitude objective à la condition que la société soit déjà constituée, et que cette parole ne soit pas suffisamment originale pour mettre en péril son fonctionnement. La parole met fin à la solitude subjective, qu'elle soit parole artistique extériorisant la singularité d'un homme et la faisant partage à autrui, ou parole sacrée permettant à l'individu de sortir de sa solitude intime. La parole ne rompt pas la solitude métaphysique, car la sortie du solipsisme est conditionnée chez Descartes par la preuve de l'existence de Dieu et la certitude de sa propre existence ; et chez Husserl par l'expérience du corps propre, prêtée au reste des individus qui paraissent dans le champ de ma perception.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles