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La morale peut-elle se fonder sur les sentiments ?

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« L'exigence du fondement est toujours exigence d'assurance et de stabilité ; fonder ce que l'on établit, c'est en garantir la cohésion, l'objectivité et la permanence.

Or, en matière de morale, les sentiments paraissent souvent trop inconstants ou subjectifs pour supporter l'exigence de moralité, en sa rigueur et sa droiture.

Que serait une morale qui dépendrait de nos sentiments de plaisir ou de joie, de nos sentiments de haine ou de colère ? Cependant, et c'est là limite que rencontre toute morale, comment contraindre l'homme à la moralité ? Si la moralité se veut prescriptive, normative, c'est-à-dire si elle énonce moins ce qui est que ce qui doit ou devrait être, par quels moyens parvient-elle à s'imposer aux hommes ? Les traités de morale n'ont jamais fait les hommes vertueux, disait Schopenhauer.

Comment, en ces conditions, concilier l'exigence d'un fondement que contredisent les sentiments (on ne bâtit pas sur des sables mouvants) et la nécessité d'une efficace de la morale ? I – Des sentiments : variété, inconstance, subjectivité Nos sentiments sont divers : sentiments de joie, de plaisir, de haine, de colère, mais aussi sentiments de frustration, de faiblesse ou de puissance.

Pire, ils sont subjectifs : le sentiment, c'est ce que je ressens et à quoi autrui n'a pas accès.

Je peux éprouver de la joie quand autrui, dans le même temps, est en proie à un grand sentiment de tristesse.

Encore plus, nos sentiments sont passagers, fugitifs et dépendent des circonstances : triste, la compagnie de mes amis me rendra immédiatement la gaieté.

Pour ces trois raisons, variété, subjectivité et inconstance, nos sentiments ne paraissent guère fiables.

Fiables, ils le sont quand il s'agit de nous renseigner sur ce que nous éprouvons ; trompeurs, si l'on pense pouvoir élever quelque chose de ferme et d'assuré à partir d'eux. Que donnerait une morale, où l'on compatirait quand on est joyeux – uniquement quand on est joyeux ? Je pourrais alors toujours arguer d'un sentiment de colère, qui me pousserait à en vouloir à tout le monde, lorsque je me livre aux pires abominations.

Les sentiments ne seraient plus alors fondement, mais prétexte.

Ils ne fonderaient pas a priori mes actions, mais les légitimeraient après coup.

Comment, en outre, savoir ce que ressent autrui ? La morale nous permet, par définition, de juger les actions, de les évaluer : telle est bonne, telle autre mauvaise.

Mais si les sentiments d'autrui varient, s'il les masque, je serais alors toujours tenté de relativiser mon jugement.

L'enfant qui brise un vase sous le coup de la colère, pour se venger ou par caprice, est-il plus excusable que s'il l'avait fait par accident ? L'exigence de moralité abhorre les sentiments, car elle vise l'universalité.

Pour elle, être fondée signifie « disposer d'un critère valable en toutes circonstances » : ce que ne sont manifestement pas les sentiments. Cependant, il est un fait indéniable : si les sentiments sont variables et subjectifs, tous les hommes ne laissent pas d'en éprouver.

De ce point de vue, le sentiment est universel et c'est ce qui lui a valu d'être mis en avant par des penseurs anglo-saxons tels que Hutcheson, Shaftesbury ou Adam Smith. II – Du sentiment moral à la bonne volonté La pensée empiriste anglaise s'est intéressée aux sentiments dans l'optique d'une fondation de la moralité, notamment en mettant en avant le sentiment moral.

De quoi s'agit-il ? Pour l'école anglaise, le sentiment moral possède trois caractéristiques : premièrement, il permet de ne pas fonder la morale sur la seule raison, c'est-à-dire sur la connaissance rationnelle de nos devoirs ; deuxièmement, et c'est une conséquence, le sentiment moral est commun à tous les hommes : le fait moral peut donc apparaître à tous, de manière évidente et universelle, sans que l'on ait besoin d'avoir recours à la réflexion spéculative.

Par exemple, je n'ai pas besoin de réfléchir pour comprendre que le meurtre est immoral ; l'immoralité est spontanément ressentie.

Troisièmement, le sentiment moral s'accompagne d'une dimension esthétique, qui nous rend sensible à la beauté, voire la sublimité des actions vertueuses.

Cependant, malgré ces caractéristiques, le sentiment demeure indéniablement changeant et relatif.

C'est ce que remarque Kant, qui décide de reconnaître au sentiment le pouvoir de porter tous les hommes à la moralité, sans être capable pour autant de fonder la morale en son entier. En effet, pour Kant, la morale se fonde sur la loi morale, c'est-à-dire l'exigence inconditionnelle (indépendante des circonstances) d'agir par devoir, autrement dit par respect pour la loi morale.

Sur ce point, la morale se fonde sur la bonne volonté : tandis que les sentiments nous poussent à agir de manière variable en fonction de ce que nous éprouvons, la bonne volonté se conforme exclusivement à la loi morale.

Une action faite selon les sentiments pourra donc prendre l'apparence d'une action morale et on pourra la légitimer après coup.

Or, pour Kant, la moralité n'est pas simplement l'apparence de moralité, mais essentiellement la volonté d'agir par respect du devoir, et non uniquement d'une manière conforme en apparence au devoir.

Alors que les sentiments nous fournissent des mobiles, des motifs d'agir, qui varient selon les circonstances, la bonne volonté agit toujours par devoir, c'est-à-dire en accord avec la loi morale.. »

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