Aide en Philo

La liberté d'autrui étend-elle la mienne à l'infini?

Extrait du document

« Un bon traitement du sujet implique au moins l'analyse complète des concepts en présence ainsi que la prise en compte du libellé : ainsi, notre sujet n'est pas un sujet sur la liberté, mais précisément sur les rapports entre ma liberté et celle d'autrui.

Il ne s'agit donc pas de dresser un catalogue de connaissances concernant la liberté, plutôt de mettre à jour les problèmes que suscite notre interrogation. On entend souvent dire que la liberté d'autrui est une limite à ma liberté ; autrement dit, la liberté d'autrui commencerait là où s'arrête la mienne.

Or, notre sujet nous propose un point de vue différent : « la liberté d'autrui étend-elle la mienne à l'infini ? » En d'autres termes, quel est le pouvoir de la liberté d'autrui sur la mienne ? Est-ce un rapport d'extension ou bien, comme nous l'avons cru, de limitation ? En outre, cette modification de ma liberté se fait-il à l'infini ? En effet, si autrui limite ma liberté, il ne peut pas la réduire à rien (il peut réduire ma liberté de mouvement, d'expression, mais pas, par exemple, ma liberté de penser) ; cependant, s'il l'étend, peut-il le faire à l'infini, de manière illimitée ? Voilà donc les questions auxquelles nous devons répondre.

Nous penserons d'ailleurs à introduire des exemples afin d'illustrer notre réflexion. I – Liberté physique et juridique À un premier niveau de réflexion, la liberté s'entend en un sens physique : elle signifie alors l'absence de contraintes matérielles ou physiques, qui pourraient empêcher le mouvement.

C 'est en ce sens que l'on parle du cours libre d'un fleuve ou que je dis que je suis libre de me mouvoir, si rien ni personne ne m'en empêche.

O r, en ce sens, il est certain que la liberté d'autrui ne peut pas étendre la mienne, mais plutôt la limiter ou la restreindre.

En effet, mettons que je suis dans une foule qui marche au pas : la présence des autres personnes m'empêche alors de courir ou d'accélérer et je ne suis libre de marcher que pour autant que je suis le rythme de la la foule en son ensemble. De ce point de vue, la liberté d'autrui et la mienne entrent en conflit, du moins elles se doivent de coexister.

La liberté légale et juridique offre un bon exemple de la manière réglée dont les libertés peuvent cohabiter, s'ajustant les unes par rapport aux autres.

Prenons un exemple concret : la propriété. C elle-ci est comme un espace de liberté qui m'appartient et que la propriété d'autrui vient limiter ou, plutôt, délimiter.

Évidemment, le rapport peut-être conflictuel, comme lorsque je revendique une parcelle de propriété litigieuse : j'ai l'impression que autrui a empiété sur ma liberté, de même qu'il pense que j'essaie de réduire la sienne.

Quoi qu'il en soit, cela semble indiquer que la liberté d'autrui ne peut pas étendre la mienne, mais simplement lui imposer des bornes. Notre réponse est donc pour l'instant négative : les libertés s'empêchent les unes les autres et si ma liberté s'étend ce n'est pas grâce à celle d'autrui, mais contre et aux dépens de celle d'autrui.

T outefois, la liberté peut-elle se résoudre uniquement à une définition physique ou juridique ? N'est-ce pas du côté d'un autre type de liberté que nous devons chercher, si nous voulons au moins comprendre comment la liberté d'autrui pourrait étendre la mienne, qui est plus est, à l'infini ? II – Kant et la liberté morale Kant, dans les Fondements de la métaphysique des mœurs, a mis au jour de manière nette ce que l'on peut appeler la liberté morale.

C elle-ci n'a que peu à avoir avec la liberté physique ou juridique qui se porte sur des objets précis (le mouvement, la propriété).

En effet, la liberté morale ne prend en considération que la forme de la volonté.

Qu'est-ce que cela signifie ? La liberté morale, c'est, pour Kant, la possibilité qu'ont les hommes de se déterminer volontairement selon les lois de la raison et ce afin d'être moraux.

Être libre, c'est donc choisir de suivre les enseignements de sa raison, plutôt que ceux de la sensibilité ; c'est choisir d'être autonome (on dépend de soi) plutôt que d'être hétéronome (on dépend d'autre chose).

La sensibilité est variable et inconstante et s'y fier revient à suivre un critère fluctuant de moralité.

À l'inverse, la raison s'affirme dans des impératifs dits « catégoriques » : par exemple, agis toujours de telle sorte que tu considères autrui, jamais comme un moyen, mais toujours comme un fin. A insi, dire que la liberté morale prend en considération la seule forme de la volonté veut dire 1° qu'elle élimine les éléments concrets de la sensibilité (tel sentiment comme motif de l'action) et 2° suit les règles générales que la raison prescrit à la volonté (autrui n'est pas un moyen pour mon action, mais sa fin, son but). Or, puisqu'elle n'est pas matérielle, mais formelle, la liberté morale ne s'oppose pas aux autres libertés morales. Mieux, le fait pour autrui de choisir de suivre les impératifs catégoriques de la raison, l'idée même qu'autrui s'engage dans une voie d'autonomie, m'incite à suivre son exemple.

En effet, la rationalité, la moralité et l'universalité de sa conduite ne sont pas autant de rationalité, de moralité ou d'universalité qu'il me retire.

Bien au contraire, l'universalité morale de sa conduite me renvoie à l'universalité possible de ma liberté morale. III – Sartre : liberté et engagement A fin de poursuivre notre réflexion, arrêtons-nous un moment sur les propos de Sartre concernant la liberté.

Dans L'existentialisme est un humanisme, nous apprenons que l'homme peut être pensé comme libre par essence.

Autrement dit, l'homme se définit essentiellement par sa liberté.

C ette liberté, Sartre la nomme « ontologique », c'est-à-dire qu'elle est ce qui caractérise l'être de l'homme, son essence.

A insi, sous l'Occupation, les hommes avaient le choix de se soumettre ou bien d'entrer dans la Résistance.

Prisonniers, de fait, dans un pays occupé, ils étaient libres (ils avaient le choix) d'accepter cette situation ou de résister.

D'où l'idée que la liberté (ontologique) est la condition de la libération (politique, en l'occurrence).

L'homme doit être libre, il doit pouvoir faire des choix, afin de se libérer. O r, cette liberté implique que l'homme, sans cesse, fasse des choix et se détermine.

Elle est proprement vertige, car je ne dépends de rien d'autre que de moi.

Alors qu'auparavant on pensait que Dieu était la valeur suprême qui me déterminait et choisissait pour moi, je suis désormais libre, absolument, infiniment même.

Mais, là encore, j'ai le choix : je peux, dit Sartre, être de « mauvaise foi » et faire comme si je n'étais pas libre ; je me fige alors dans une certaine attitude.

Je peux, au contraire, être de manière authentique et faire face aux choix que je dois constamment faire.

En cela, je m'engage et j'engage l'humanité derrière moi : j'annonce que l'homme est infiniment libre, qu'il doit donner un sens à sa vie par ses actes et que tous doivent assumer cette condition. Nous retrouvons alors le rapport qu'il existait entre les libertés morales chez Kant.

En effet, la liberté ontologique d'autrui, qui s'affirme comme absolue, n'est pas une limite à ma liberté, mais un appel à son extension.

Autrui m'interpelle et me rappelle que ma liberté est absolue, qu'elle s'étend à l'infini et que je dois m'engager dans le monde. La liberté d'autrui étend la mienne à l'infini, puisqu'elle me rappelle que je suis foncièrement libre, que je ne dépends que de moi et que rien ne limite ma puissance de choix (car même si je ne choisis rien, c'est que j'ai choisi de ne pas choisir). Conclusion : A insi, alors qu'en un sens premier, la liberté d'autrui semble limiter la mienne, nous avons vu que la liberté morale d'autrui, qui est l'autodétermination de la volonté selon les impératifs de la raison, m'incite à suivre le chemin de l'autonomie, de même que la liberté ontologique qu'exprime autrui étend mon engagement dans le monde à l'infini, engagement qui n'est rien d'autre que la liberté dont je fais preuve.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles