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La liberté comme libération ?

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« Poser la question de la liberté sous la forme du libre-arbitre revient finalement à s'enfermer dans le dilemme suivant : ou l'homme est libre, absolument et immédiatement, ou il ne l'est pas, ne peut pas l'être et ne le sera jamais.

Pour sortir de ce dilemme, il faut cesser de vouloir opposer liberté et nécessité. « Je dis que cette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir » (Lettre à Schuller).

Loin d'opposer la liberté et la nécessité, Spinoza les identifie au contraire.

La liberté ne consiste pas alors à tenter vainement de s'affranchir de la nécessité : l'homme n'est pas « un empire dans un empire ».

Mais la liberté consiste au contraire à accomplir sa nature propre, qui est, pour l'homme, de comprendre et de penser.

« J'appelle libre un homme dans la mesure où il vit sous la conduite de la raison, parce que, dans cette mesure même, il est déterminé à agir par des causes pouvant être connues adéquatement par sa seule nature, encore que ces causes le déterminent nécessairement à agir.

La liberté, en effet, ne supprime pas, mais pose au contraire la nécessité de l'action » (Traité politique, ch.

II, § 11).

Plus l'homme connaît et comprend la nature dont il fait partie -, plus il développe sa puissance propre.

Or plus il développe la puissance qui lui est propre, plus il est libre.

Une telle liberté n'est pas donnée au départ, elle n'est pas immédiate, ni jamais absolue.

Elle se développe et s'accroît : elle est libération.

Être libre, c'est en effet se libérer des préjugés, c'est-à-dire en comprendre la cause.

Et l'un des tout premiers préjugés est justement celui du libre-arbitre qui résulte de ce que « les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent » (Lettre à Schuller). Le rationalisme cartésien nous montre déjà qu'une volonté infiniment libre, mais privée de raison, est une volonté perdue.

Plus nous connaissons, plus notre liberté est grandie et fortifiée.

Si nous développons notre connaissance au point de saisir dans toute sa clarté l'enchaînement rationnel des causes et des effets, nous saisirons d'autant mieux la nécessité qui fait que telle chose arrive et telle autre n'arrive pas, que tel phénomène se produit, alors que tel autre ne viendra jamais à l'existence.

Pour Spinoza, une chose est libre quand elle existe par la seule nécessité de sa propre nature, et une chose est contrainte quand elle est déterminée par une autre à exister et à agir.

Au sens absolu, seul Dieu est infiniment libre, puisqu'il a une connaissance absolue de la réalité, et qu'il la fait être et exister suivant sa propre nécessité.

Pour Spinoza et à la différence de Descartes, la liberté n'est pas dans un libre décret, mais dans une libre nécessité, celle qui nous fait agir en fonction de notre propre nature.

L'homme n'est pas un empire de liberté dans un empire de nécessité.

Il fait partie du monde, il dispose d'un corps, d'appétits et de passions par lesquelles la puissance de la Nature s'exerce et s'exprime en nous, tant pour sa propre conservation que pour la nôtre. Bien souvent nous croyons être libres, alors que nous ne faisons qu'être mus, par l'existence de causes extérieures : la faim, la pulsion sexuelle, des goûts ou des passions qui proviennent de notre éducation, de notre passé, de notre culture.

Nul homme n'étant coupé du milieu dans lequel il vit et se trouve plongé, nous sommes nécessairement déterminés à agir en fonction de causes extérieures à notre propre nature.

"Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d'avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs, et ignorants des causes qui les déterminent." Ainsi, mettre à jour les déterminismes - qu'ils soient d'ordre physique, social, historique ou psychologique - est le seul et vrai moyen de les maîtriser, et par conséquent d'accroître la liberté.

Les nier au contraire, c'est condamner l'homme à les subir en même temps que le livrer au sentiment mortifère de son impuissance. "J'appelle libre, quant à moi, une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d'une certaine façon déterminée.

Dieu, par exemple, existe librement bien que nécessairement parce qu'il existe par la seule nécessité de sa nature.

De même aussi Dieu se connaît lui-même et connaît toutes choses librement, parce qu'il suit de la seule nécessité de sa nature que Dieu connaisse toutes choses. Vous le voyez bien, je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité. Mais descendons aux choses créées qui sont toutes déterminées à exister et à agir d'une certaine façon déterminée.

Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple: une pierre par exemple reçoit d'une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvement et, l'impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement.

Cette persistance de la pierre dans son mouvement est une contrainte, non parce qu'elle est nécessaire, mais parce qu'elle doit être définie par l'impulsion d'une cause extérieure.

Et ce qui est vrai de la pierre il faut l'entendre de toute chose singulière, quelle que soit la complexité qu'il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d'une certaine manière déterminée. Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu'elle continue de se mouvoir, pense et sache qu'elle fait effort, autant qu'elle peut, pour se mouvoir.

Cette pierre assurément, puisqu'elle a conscience de son effort seulement et qu'elle n'est en aucune façon indifférente, croira qu'elle est très libre et qu'elle ne persévère dans son mouvement que parce qu'elle le veut.

Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent." B.

SPINOZA, lettre à Schuller, in oeuvres, Paris, Éd.

Garnier-Flammarion, 1955, tome 4, pp.

303-304. »

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