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La justice rend-elle "à chacun son dû" ?

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« VOCABULAIRE: Justice: a) Juste reconnaissance du mérite et des droits de chacun. b) Caractère de ce qui est conforme au droit positif (légal) ou au droit naturel (légitime). Que signifie cette formule ? Quels sont les problèmes qu'elle implique ? En quoi permettrait- elle de définir la justice, le droit, la morale ? Sont-ils fondés sur l'individualité de chacun, ou sur une idée de communauté ? Le "dû" de chacun ne repose-t-il pas sur soi (liberté) ? Peut-on considérer que la justice consiste à rendre à chacun son dû ? Il s'agirait ici d'assurer à chacun ce à quoi il a droit, à savoir la vie et la protection de celle-ci lorsqu'elle est menacée.

Cette formule montre-t-elle l'exigence d'équité de la justice ? Elle rejoindrait l'idée d'une justice pour tous. Ou au contraire n'implique-t-elle pas que l'on fait une distinction entre les individus ? Comment légitimer la justice pour distinguer entre les individus ? Doit-elle faire régner l'égalité ou la légalité ? Ce que l'on doit à chacun est-il proportionnel à ses besoins, ses mérites ? Ou faut-il dire que l'on doit la même chose à chacun ? Si l'on définit la justice par cette formule, qui est à même de décréter ce qui est "dû" pour chacun ? Qui est habilité à pratiquer cette justice ? Que la justice puisse devenir inégalitaire présuppose qu'en son concept la justice est égalitaire.

Or ce postulat n'a rien d'évident.

Le plus souvent on assimile la justice à l'égalité, on la fige dans l'immuabilité d'une définition.

Or ici la justice s'entend en un sens dynamique, puisque l'on admet qu'elle engendre l'égalité entre les personnes. La question nous invite à aborder la justice sous un angle original.

L'interrogation ne porte pas sur l'essence de la justice, sur ce qu'est la justice en tant que telle.

Elle suggère d'envisager la justice plutôt par les effets qu'elle produit.

Rien ne sert donc de raisonner sur le concept abstrait de justice.

Il faut s'intéresser à la justice telle qu'elle s'exerce.

En remontant de l'effet à la cause, nous pourrons obtenir peut-être de savoir ce qui la spécifie.

Faire de la justice le sujet d'un processus égalitaire, revient à la situer d'emblée dans le cadre de la pensée politique.

En dehors de la justice divine, qui ne vaut que pour les croyants, il reste la justice des hommes, qui s'exerce matériellement par l'intermédiaire du pouvoir politique. Admettons – ce qu'il faudra discuter – que la justice vise l'égalité entre les hommes.

Comment deviendra-t-elle inégalitaire? Comment comprendre que la justice puisse s'écarter d'elle-même, et se renverser en son contraire? De deux choses l'une : — Si la justice crée des inégalités, elle produit donc des effets contraires à sa nature, ce qui n'a pas de sens, sauf à entendre qu'il y a usurpation et qu'en définitive l'injustice s'est parée indûment des vêtements de la justice.

Cela n'a plus alors aucune signification de se demander si la justice peut devenir inégalitaire.

Que la justice dégénère et se transforme en injustice, voilà les nouveaux termes de la question.

La justice peut-elle virer à l'injustice et se corrompre par soi seule? — On peut concevoir aussi bien que la justice génère des inégalités sans pour autant qu'elle ne devienne injuste.

Et c'est là au fond le problème principal.

Nous sommes habitués à croire que toute inégalité traduit une forme d'injustice.

Nous n'imaginons pas qu'il puisse exister des inégalités justes.

C'est que nous tirons nos conclusions avec trop de hâte.

Car de quelles inégalités parlons-nous? Des inégalités de droit, ou des inégalités sociales et économiques? Toute la difficulté naît de l'interférence de ces deux concepts radicalement distincts. Ainsi notre problème initial en dissimule un autre plus profond, celui de la justice sociale.

La justice politique (l'égalité des droits) est-elle compatible avec la justice sociale (l'égalité dite réelle ou économique) ? Nous nous réclamons tous, peu ou prou, de l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 89, qui nous rappelle que «tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit».

Mais quel prix devons-nous payer aujourd'hui, si tout en même temps nous faisons profession de vouloir réduire les inégalités sociales et économiques qui creusent le fossé entre les riches et les pauvres? 1.

Justice et loi 1.

Avant de savoir si la justice institue l'égalité, ou au contraire introduit des inégalités entre les hommes, il faut s'interroger sur la condition naturelle de l'homme.

Or il est de fait que chacun naît avec des aptitudes variables quant au physique et à l'intelligence.

Nous ne décidons pas par exemple de notre constitution corporelle.

Il y a donc sans nul doute une inégalité naturelle entre les hommes, car chaque individu est un être à part entière qui diffère des autres.

La nature répartit les qualités entre les hommes sans discernement.

Le hasard règne en maître absolu. Cela dit, cette façon de voir est bien rapide.

On peut estimer que les inégalités naturelles sont minimes, qu'il y a une certaine uniformité entre les hommes tels qu'ils sortent des mains de la nature.

Il n'existe à la naissance que des virtualités sur lesquelles on ne peut établir que de vagues conjectures.

C'est la vie en société, la culture, qui sollicitent les facultés qui sommeillent en l'homme.

Voilà pourquoi selon Rousseau «la différence d'homme à homme doit être moindre dans l'état de nature, que dans l'état de société» (Discours sur l'inégalité).

La société accroît par l'éducation les différences qu'il peut y avoir initialement entre les hommes.

Et ces différences créent des inégalités. L'erreur en la matière, dénoncée par Rousseau, vient de ce que «plusieurs différences passent pour naturelles qui sont uniquement l'ouvrage de l'habitude et des divers genres de vie que les hommes adoptent en société ».

Et la difficulté n'est pas mince, en effet, de démêler en l'homme ce qui revient à la nature et à la société. Ce qui signifie que dans l'état de nature, il y a des différences qui n'entraînent aucune inégalité notable.

Une différence se transforme en inégalité lorsqu'elle constitue un handicap, lorsque donc elle crée entre les hommes un rapport de domination.

A quoi sert-il d'avoir plus d'esprit ou plus d'habileté et de force qu'un de nos semblables, si de ce déséquilibre ne naît aucune dépendance d'un homme vis-à-vis d'un autre? Bref, il n'y a pas à proprement. »

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