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La fin justifie-t-elle les moyens?

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« INTRODUCTION: Il suffit de poser en principe que "la fin justifie les moyens" pour passer pour amoral.

Mais cette condamnation n'est-elle pas un peu simpliste, et cette maxime ne peut-elle pas comporter diverses interprétations qui ne sont pas toutes inacceptables ? I.

— EXPLICATION. A.

Les termes.

— a) Les notions de fin et de moyen qui s'éclairent mutuellement sont assez simples : la lin est le but Vers lequel tend l'auteur d'une action; le moyen, cette action elle-même en tant qu'ordonnée à l'obtention de cette fin. b) La notion de justification est plus délicate par suite de l'acception morale et théologique du mot « juste » et de ses dérivés. Dérivant de jus, l'adjectif « juste » qualifie généralement ce qui est conforme au droit ou à la norme, ce qui doit être pour satisfaire les exigences de l'esprit.

Mais ces exigences sont de deux sortes : il en est de purement rationnelles, et c'est cette satisfaction que j'exprime en notant « juste » la solution d'un problème de mathématiques; il en est de morales, et ce sont elles qui sont frustrées lorsque je déclare injuste la condamnation prononcée par un tribunal. De là deux acceptions du mot « justifier » : justifier consiste d'abord à montrer qu'une conduite est rationnelle; dans un second sens, on ne se justifie qu'en montrant que sa conduite est conforme au droit ou au devoir, c'est-à-dire morale. B.

La maxime.

— Ainsi, nous pouvons donner de la maxime « la fin justifie les moyens » deux interprétations différentes. a) Dans un premier sens, que nous appellerons technique, elle affirme que, les moyens n'ayant d'autre raison d'être mis en jeu que la fin, c'est d'après la fin qu'il faut déterminer les moyens à choisir..

Dans ce sens, le recours à un moyen incapable d'obtenir la fin poursuivie ou disproportionné avec elle est injustifiable, c'est-à-dire déraisonnable. b) Dans un second sens, que nous pouvons appeler moral, cette maxime prétend que chacun a le droit de prendre tous les moyens susceptibles d'assurer le résultat qu'il a décidé d'obtenir.

Dans cette acception, une action qui serait sans cela immorale devient morale dès qu'elle est accomplie en vue d'une fin que l'agent s'est fixée. Ces distinctions établies, il nous sera facile de nous prononcer sur la valeur de la maxime à apprécier et de déterminer dans quel sens elle est vraie et irréprochable, dans quel sens elle est fausse et immorale. II.

— APPRÉCIATION. A.

Point de vue technique.

— Le rôle du technicien est de fixer les moyens les plus avantageux pour obtenir un résultat ou une fin dont il n'a pas lui-même à juger, par exemple le meilleur procédé de chauffage, le meilleur remède ou le meilleur poison. De ce point de vue, la fin justifie les moyens, c'est-à-dire qu'un moyen n'est justifié que dans la mesure où il est nécessaire pour obtenir le plus économiquement possible la fin désirée.

Ainsi un entrepreneur ne pourrait pas justifier le devis d'une passerelle destinée aux piétons s'il y avait prévu l'emploi des poutrelles utilisées dans un pont de chemin de fer; la nomination du bureau d'une société de pêcheurs à la ligne ne justifie pas une campagne électorale passionnée et coûteuse comme les élections à une assemblée législative. B.

Point de vue moral.

— Le rôle du moraliste est sans doute de déterminer les moyens aptes à assurer la fin morale vers laquelle l'homme doit tendre, mais il consiste encore plus à fixer cette fin elle-même.

Ainsi, le moraliste est à la fois un technicien de la morale, mais il est surtout un philosophe de la morale chargé d'établir en quoi consiste la moralité et quelles sont les fins dignes de notre recherche. a) La fin ne se justifie pas par elle-même : Il ne suffit pas d'être porté vers une chose et d'en faire l'objectif de ses efforts pour avoir le droit de se l'approprier ou de recourir à tous moyens propres à la conquérir. b) Mais une fin justifiée ou bonne justifie-t-elle les moyens ? S'il s'agit de moyens bons ou indifférents, elle n'a pas à les justifier au sens de « rendre justes » ou moraux, puisque, par hypothèse, ils le sont déjà..

Mais elle les justifie au sens technique, c'est-à-dire leur donne une raison, en fait un comportement rationnel.

Ainsi, le projet d'acquérir la maîtrise de soi-même justifie un certain ascétisme qui, pratiqué pour lui-même, sans être mauvais moralement, serait injustifié. Au contraire, une fin bonne ne saurait justifier moralement des moyens intrinsèquement mauvais, c'est-à-dire leur enlever leur malice et les rendre bons.

En effet, puisque, par hypothèse, ils sont mauvais, ils doivent exercer sur la conscience une action répulsive; ils constituent en quelque sorte des fins de signe négatif, et le fait de conditionner un résultat positivement bon ne change pas leur nature.

Sans doute, faute de recourir à ces moyens, cette fin n'est pas atteinte; mais il n'y a là aucun mal moral; car cette fin n'est pas rejetée et c'est seulement par amour du bien que j'accepte de n'y point atteindre.

Au contraire, celui qui fait le mal pour obtenir un bien qu'il juge supérieur veut réellement ce mal puisqu'il l'accomplit. Supposons, par exemple, qu'en tuant un innocent j'en sauve dix autres : la fin (dix vies à sauver) ne justifie pas le moyen (un meurtre).

Sans doute, le respect d'une unique vie a pour conséquence dix morts : mais ces dix morts, je ne les veux pas, je n'en suis pas la cause : ce ne sont pas des meurtres, actes immoraux, mais de simples morts, qui n'ont rien d'immoral.

Dans le cas contraire, je commets un meurtre, et la conséquence avantageuse qui s'ensuit ne change pas la nature de cet acte. CONCLUSION.

— Ainsi, aussi bonne soit-elle, la fin ne saurait justifier les moyens.

Mais il ne faut pas croire que beaucoup de mal se fasse sur terre par l'emploi de moyens mauvais en vue d'un résultat moralement bon.

Le mal moral consiste essentiellement, sinon à rechercher le mal, du moins à ne tenir aucun compte de la hiérarchie des différents biens.

Aussi ne voit-on guère ceux qui ont le souci de n'agir que pour des fins bonnes se montrer peu scrupuleux dans le choix des moyens.

C'est au contraire l'indifférence à l'égard de la valeur morale de la fin qui entraîne la même attitude à l'égard des moyens.

Aussi notre préoccupation principale doit-elle être de bien choisir nos fins et de purifier nos intentions : la moralité dans le choix des moyens suivra d'elle-même.. »

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