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La délibération réfléchie, en déterminant notre choix, abolit-elle notre liberté ?

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« INTRODUCTION.

- L'enfant et l'adulte lui-même ne conçoivent guère la liberté sans le droit de mettre en vacances le règlement et l'esprit de sérieux pour suivre la spontanéité de leur nature, leur fantaisie, voire leur caprice. Or la délibération réfléchie préparatoire à un choix de quelque importance exige une attitude diamétralement opposée et la décision à laquelle elles aboutissent arrête définitivement u n e ligne d e conduite.

O n peut donc s e demander si, en déterminant notre choix, la délibération réfléchie n'abolit pas notre liberté. I.

— DÉLIBÉRATION REFLECHIE ET DÉTERMINATION DU CHOIX Il est classique de distinguer quatre moments dans le processus qui aboutit à l'acte libre : la représentation d'un résultat désirable et des moyens de l'obtenir; la délibération, dans laquelle sont discutés les motifs pour ou contre l'acte envisagé; la décision, et enfin l'exécution. Cette analyse a fait l'objet de bien des critiques.

Sans doute, l'ordre qu'elle établit est bien celui que nous devrions suivre pour procéder logiquement, mais les voies de l'esprit cherchant la solution d'un problème théorique ou pratique sont bien plus tortueuses et bien plus embrouillées : la logique n'y est mise qu'après coup : « Quand nous délibérons, les jeux sont faits », a écrit J.-P.

SARTRE.

Néanmoins, la délibération joue un rôle important dans l'activité de l'homme. La délibération détermine le choix. Elle ne se réduit pas au simple entérinement et à la justification systématique de la décision déjà prise dans l'ombre de l'inconscient ou du préconscient. Tout d'abord, la délibération réfléchie et méthodique est normalement précédée d'une longue période de réflexions décousues et au cours d e laquelle sont c o m m e brassés les éléments d'une délibération en forme.

C'est grâce à cet obscur travail que lorsque, d'une façon explicite et réfléchie, a on délibère », « les jeux sont faits.

» De plus, il serait excessif d e prendre l'affirmation d e SARTRE pour universellement vraie.

Il en est ici comme dans le contrôle expérimental de l'hypothèse scientifique : la découverte se situe à l'instant où le chercheur a l'intuition explicative et non dans les expériences de contrôle; c'est néanmoins ce contrôle qui fera le tri entre les explications illusoires et elles qui sont valables.

Il en est de même dans la délibération réfléchie : quand on l'aborde, les jeux sont plus ou moins faits; mais la réflexion montre parfois qu'ils sont m a l faits, qu'on a fermé les yeux à toute une partie du réel ou qu'on a pris des prétextes pour de bonnes raisons. Ainsi a délibération parvient à défaire les jeux et par le fait même détermine indirectement l'action. Comment se fait cette détermination. Il ne faut pas se laisser tromper par les mots la délibération ne détermine pas notre choix comme la pression d e s e a u x détermine la rupture d e la digue, m a i s comme la nuit porte conseil.

L'action déterminante n'est pas clans la délibération, mais dans les raisons ou motifs que la réflexion, au cours d e la délibération, fait apparaître ou auxquels elle découvre une valeur nouvelle.

C e sont donc ces raisons ou ces motifs qui nous déterminent. II.

- CETTE DÉTERMINATION EST-ELLE LIBRE ? D'après ce que nous venons de dire, la question se trouve transposée en ces termes : étant déterminés par des raisons, sommes-nous encore libres ? La notion de liberté. Nous sommes partis de la liberté telle que la conçoit le vulgaire, qui la confond avec la spontanéité et pour qui elle suppose l'absence de toute règle.

Mais nous ne pouvons pas retenir cette conception.

L'authentique liberté consiste 'à se déterminer soi-même.

A la différence des choses et des animaux qui sont déterminés par les forces qui agissent sur eux, l'homme se détermine lui-même.

Quand il suit son caprice ou sa fantaisie, il ne se détermine pas, il est déterminé par les moindres suggestions qui lui viennent de l'extérieur ou du jeu associatif.

Il ne se détermine que lorsque, ayant pesé le pour et le contre, il se décide en connaissance de cause. Mais ne nous payons-nous pas de mots ? « Se déterminer » peut être soit un verbe réfléchi, soit un verbe pronominal.

« Se tuer » se dit du désespéré qui se tire un coup de revolver dans la tempe; mais il se dit aussi de l'alpiniste qui a fait une chute mortelle.

Ou encore, d'Un malade à toute extrémité on dit qu' « il se meurt », c'est-à-dire que la maladie achève son oeuvre.

Si ce sont les motifs qui nous déterminent, le verbe « s e déterminer » ne doit-il pas être pris dans une acception pronominale comme synonyme du passif « être déterminé », non par soi-même, pas par une force supérieure à soi P Dans ce cas, il n'y a plus de liberté. Les motifs et la liberté. L'infinitif « se déterminer », que LITTRÉ classe parmi les verbes réfléchis, n'est peut-être qu'un verbe pronominal, car il est difficile de concevoir le dédoublement par lequel on se déterminerait soi-même; du moins n'est-il pas l'équivalent d'un verbe passif, car je ne suis jamais aussi actif que lorsque je me détermine.

Mais comment puis-je me déterminer activement si ma détermination est due aux motifs ou aux raisons? Pour répondre à cette difficulté, il suffit de réfléchir aux différences essentielles qui distinguent 'les motifs ou les raisons qui conditionnent la liberté des causes ou des forces qui nécessitent.

, Dans une grande mesure, les motifs sont l'oeuvre de la liberté.

Sans doute, il est au-dessus du pouvoir de l'homme libre de faire que ce qui est blanc lui paraisse noir, que l'ivresse ou la calomnie se transforment en actes de vertu.

Mais il ne parvient pas à une vue juste des choses, il ne découvre pas le sens véritable d e la vie sans un effort d e réflexion qui implique l'entrée en jeu d e la liberté.

La détermination qui met fin à la délibération réfléchie ne serait-elle pas libre, il resterait une certaine liberté dans la délibération elle-même et dans l'attention portée à l'examen des différents motifs. Mais la détermination d'après des motifs ou des raisons reste elle-même libre car la liberté consiste à agir pour des motifs.

Ceux-ci ne s'imposent pas à la volonté comme des forces étrangères la contraignant à la manière du poids qui courbe la branche dressée vers le ciel. La volonté n'est même pas indifférente aux motifs et ne ressemble pas à la balance qui n'éprouve aucune aspiration à revenir au point d'équilibre.

Son action n'est aisée et libre que lorsque la valeur des motifs supprime toute indécision. CONCLUSION.

- A la question posée, nous pouvons donc répondre, n o n seulement par la négative, m a i s encore par la proposition contraire : loin d'abolir la liberté, la détermination de notre choix par la délibération réfléchie la conditionne. Il faut même dire plus et ajouter q u e le choix n'est pas nécessaire à l'acte libre.

La possibilité de choisir suppose qu'aux motifs qui déterminent le choix s'en opposent d'autres d e valeur analogue.

Dans ces conditions, la volonté ne se détermine pas avec l'aisance éprouvée.

quand on constate q u e la décision prise est la seule valable.

Nous terminerons donc par cette formule : les motifs qui déterminent notre décision assurent notre liberté au lieu de l'abolir.. »

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