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La défense des intérêts de l'État par le pouvoir politique justifie-t-il le recours à des pratiques

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« Introduction La raison d'Etat, ou l'appel aux intérêts supérieurs de l'Etat, est invoquée par les politiques lorsqu'ils veulent justifier le recours à des pratiques immorales.

On fait alors valoir que si la morale garde sa valeur du point de vue des relations interpersonnelles, la défense des intérêts de l'Etat concerne la collectivité toute entière et peut exiger, à ce titre, de sacrifier temporairement celle-ci afin d'assurer la continuité de l'Etat et la survie « de tous ». Pourtant, la raison d'Etat peut précisément aboutir à l'injustice exercée à l'égard d'un individu ou d'un groupe particulier.

Alors ce dévoile le mensonge qui sous-tend la raison d'Etat : « L'Etat, c'est le plus froid de tous les monstres froids.

Il ment froidement, et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi, l'Etat, je suis le Peuple.

» (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, I, « De la nouvelle idole »).

Si la défense des intérêts de l'Etat ne coïncide donc pas avec la protection de tous, peut-on encore l'invoquer pour justifier un acte qui déroge à la morale ? Première partie A/ Si la philosophie se caractérise par la recherche de la vérité, dès Platon, elle justifie le recours exceptionnel au mensonge, à la fois envers les « ennemis » de la cité et vis-à-vis des « citoyens » eux-mêmes.

Celui-ci, toutefois, est réservé « aux chefs de la cité » et doit servir à défendre « l'intérêt de la cité » (La République, III, 388d). B/ Pourtant, s'estimer au-delà de toute morale au nom d'une Realpolitik conduit à annihiler toute possibilité d'établir un droit international et ramène tous les Etats à l'état de guerre continuelle (cf.

article « Raison d'Etat » dans l'Encyclopédie de Diderot & d'Alembert).

Or, comme il n'est pas dans l'intérêt de l'Etat de s'exposer en permanence à la guerre, il en découle que même en termes de politique internationale, la morale s'impose, au moins de manière relative. C/ Les Encyclopédistes justifient pourtant, en cas de crise, l'usage de la raison d'Etat sur le plan intérieur : si le contrat social établit la supériorité du tout sur la partie, alors on peut, dans certains cas, sacrifier celle-ci à celui-là, et le souverain « gémira de la nécessité qui l'oblige de sacrifier quelques-uns des membres pour le salut réel de toute la société.

» (op.cit.) Seconde partie A/ Mais comme le montre Zola lors de l'Affaire Dreyfus, sacrifier un Juif innocent sur l'autel de la Patrie (cf.

A.-G.

Slama, « Maurras ou le mythe d'une droite révolutionnaire » in L'Histoire, 2002), ce n'est pas causer du tort uniquement à un individu-bouc émissaire, mais renier les idéaux de justice et d'humanité aux nom desquels la République a été fondée, dès 1789.

S'il s'agit effectivement de l'intérêt du Tout, alors la morale utilitariste se révèle inopérante : les cas d'erreurs judiciaires montrent que ce n'est pas simplement la victime directe qui en pâtit, mais l'ensemble du système judiciaire, politique et social.

On peut bien enterrer le bouc émissaire, la mauvaise conscience exerce ses effets de « retour du refoulé » (qui ne sont pas exclusivement psychiques, mais aussi sociaux et politiques).

Cf. les regrets du général Massu suite à l'usage de la torture en Algérie et les travaux de Pierre Vidal-Naquet. B/ Est-ce à dire que toute dérogation à la morale est non seulement injustifiée, mais contre-productive, lorsqu'il en va de l'existence même d'un Etat ? N'y a-t-il pas là le risque d'un angélisme qui se révèlerait, en dernière instance, plus dangereux que le réalisme non pas amoral, mais qui s'autoriserait, en cas de crise, à quelques écarts avec les normes morales (Machiavel) ? Kant distingue ainsi le « politique moral », qui n'agit « que d'après des principes avoués de morale », et le « moraliste politique », « qui accommode la morale aux intérêts de l'homme d'Etat.

» (appendice I au Projet de paix perpétuelle).

Si ce dernier prétend agir en-dehors de toute obligation morale, le « politique moral » garde toujours en vue l'impératif catégorique dicté par la loi morale.

Il n'en est pas pour autant naïf : « Il faut respecter saintement les droits de l'homme, dussent les souverains y faire les plus grands sacrifices.

» (op.cit., VIII, 389 – p.376 éd.

La Pléiade). C/ Le politique, a fortiori l'homme d'Etat, se doit donc à la fois moral et réaliste.

C'est ce qu'affirme Max Weber lorsqu'il déclare que l' « éthique de conviction » et l' « éthique de responsabilité » ne se contredisent pas l'une l'autre, mais sont au contraire complémentaires (Le Savant et la politique, La Découverte, 2003, p.204). Conclusion La politique étant soumis à la conjoncture et au hasard (la fortuna de Machiavel), on ne peut répondre de manière abstraite et générale à cette question, mais seulement au cas par cas. Il est tout aussi vain de vouloir justifier les pratiques immorales au nom de la raison d'Etat, comme ont pu le faire les Encyclopédistes au nom d'un calcul utilitariste, que de vouloir absolument réfuter celles-ci (comme a pu le faire une certaine mésinterprétation du kantisme, critiquée par Sartre qui affirmait – injustement, on l'a vu – « Kant a les mains propres, mais il n'a pas de mains »). Puisque l'homme ne saurait calculer l'ensemble des conséquences de ses actes, qu'il soit simple citoyen ou homme d'Etat, il ne peut que naviguer à vue, et esquiver les récifs les plus évidents (Kant).

Dès lors, la seule règle qui s'impose est celle de la prudence aristotélicienne (Ethique à Nicomaque, VI). Néanmoins, l'homme d'Etat qui s'autorise à outrepasser les normes morales et/ou légales, en raison d'une crise réelle ou imaginaire, doit aussi s'attendre à être jugé a posteriori, et condamné, légalement ou moralement, le cas échéant (cf.

le cas Pinochet).

Il en va là non seulement de la morale, mais du simple réalisme…. »

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