Kierkegaard et l'oisiveté
Extrait du document
«
"On a l'habitude de dire que l'oisiveté est la mère de tous les maux.
On
recommande le travail pour empêcher le mal.
Mais aussi bien la cause
redoutée que le moyen recommandé vous convaincront facilement que
toute cette réflexion est d'origine plébéienne (1).
L'oisiveté, en tant qu'oisiveté, n'est nullement la mère de tous les maux,
au contraire, c'est une vie vraiment divine lorsqu'elle ne s'accompagne
pas d'ennui.
Elle peut faire, il est vrai, qu'on perde sa fortune, etc.
;
toutefois, une nature patricienne (2) ne craint pas ces choses, mais bien
de s'ennuyer.
Les dieux de l'Olympe ne s'ennuyaient pas, ils vivaient
heureux en une oisiveté heureuse.
Une beauté féminine qui ne coud pas,
ne file pas, ne repasse pas, ne lit pas et ne fait pas de musique est
heureuse dans son oisiveté ; car elle ne s'ennuie pas.
L'oisiveté donc, loin
d'être la mère du mal, est plutôt le vrai bien.
L'ennui est la mère de tous
les vices, c'est lui qui doit être tenu à l'écart.
L'oisiveté n'est pas le mal et
on peut dire que quiconque ne le sent pas prouve, par cela même, qu'il ne
s'est pas élevé jusqu'aux humanités.
Il existe une activité intarissable qui
exclut l'homme du monde spirituel et le met au rang des animaux qui,
instinctivement, doivent toujours être en mouvement.
Il y a des gens qui
possèdent le don extraordinaire de transformer tout en affaire, dont toute
la vie est affaire, qui tombent amoureux et se marient, écoutent une
facétie et admirent un tour d'adresse, et tout avec le même zèle affairé
qu'ils portent à leur travail de bureau."
KIERKEGAARD
(1) Populaire
(2) Aristocratique
I - LES TERMES DU SUJET
Le texte porte sur la distinction entre l'oisiveté et l'ennui.
Kierkegaard prend à contre-pied l'adage bien connu "l'oisiveté
est mère de tous les vices".
Kierkegaard défend une vision aristocratique de l'oisiveté, opposée à l'agitation plébéienne et au travail.
Le difficile est
de savoir être oisif sans s'ennuyer, ce qui suppose un travail d'acculturation : c'est le rôle des humanités, c'est-à-dire
des études littéraires, philologiques, historiques qui font l'homme cultivé.
L'oisiveté se transmute ainsi en un loisir
cultivé.
II - ANALYSE DU PROBLEME
Sören Kierkegaard commence par critiquer l'idée selon laquelle le travail est un remède au mal.
Cette idée est
critiquable car elle se nourrit du préjugé selon lequel l'oisiveté doit être réprouvée.
Ce préjugé à son tour se nourrit de
l'idée que l'oisiveté se réduit à l'ennui.
A rebours de cela, Kierkegaard qualifie de "vie divine" cette vie de loisir qui
ignore l'ennui.
Ce qui sauve la vie oisive de l'ennui, c'est la fréquentation des humanités.
Kierkegaard indique ainsi le rôle de
l'acculturation, de l'éducation.
Seul l'homme instruit est digne -et en mesure- de bénéficier de l'oisiveté.
Le commun fait au contraire "affaire de tout" et se perd dans une activité frénétique.
III - UNE DEMARCHE POSSIBLE
Après avoir rappelé les grandes lignes de l'argumentation, il convient de s'interroger sur la philosophie de l'éducation et
de la culture implicitement développées dans ce texte.
1 - L'aristocratisme comme oisiveté cultivée
Kierkegaard ne dissimule pas le caractère aristocratique, "patricien" de sa position.
C'est le propre de l'aristocratie de
vivre de façon distanciée par rapport au travail, au besoin, bref par rapport à la nécessité.
Qu'est-ce qui empêche cet aristocratisme -qui appellerait à certains égards une lecture sociologique- d'être intolérable
?.
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