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HOBBES

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Je remarque les maladies de la République qui procèdent du poison des doctrines séditieuses. L'une de ces doctrines, c'est que chaque particulier est juge des actions bonnes ou mauvaises. C'est vrai dans l'état de pure nature, ou n'existent pas de lois civiles ; c'est vrai aussi sous un gouvernement civil, dans les cas qui ne sont pas réglés par la loi. Mais dans les autres cas, il est évident que c'est la loi civile qui est la mesure des actions bonnes ou mauvaises ; et que c'est le législateur (lequel est toujours le représentant de la République) qui en est le juge. Cette fausse doctrine conduit les hommes à débattre en eux-mêmes et à discuter les commandements de la République, pour leur obéir par la suite, ou leur désobéir, selon ce que leur jugement particulier aura estimé préférable. Et la République est par là divisée et affaiblie. HOBBES

« Je remarque les maladies de la République qui procèdent du poison des doctrines séditieuses.

L'une de ces doctrines, c'est que chaque particulier est juge des actions bonnes ou mauvaises.

C'est vrai dans l'état de pure nature, ou n'existent pas de lois civiles ; c'est vrai aussi sous un gouvernement civil, dans les cas qui ne sont pas réglés par la loi. Mais dans les autres cas, il est évident que c'est la loi civile qui est la mesure des actions bonnes ou mauvaises ; et que c'est le législateur (lequel est toujours le représentant de la République) qui en est le juge.

Cette fausse doctrine conduit les hommes à débattre en eux-mêmes et à discuter les commandements de la République, pour leur obéir par la suite, ou leur désobéir, selon ce que leur jugement particulier aura estimé préférable.

Et la République est par là divisée et affaiblie. [Introduction] Toute communauté se trouve confrontée à la nécessité de juger du bien et du mal.

P our Hobbes, un tel jugement, dans une société authentiquement politique et constituée en État, ne doit appartenir qu'au législateur : le bien sera défini par la simple obéissance à la loi, sans qu'il soit possible de discuter de celle-ci ou de sa validité.

Faute de quoi on laisse libre cours à une doctrine séditieuse, qui autorise chaque particulier à juger du bien et du mal, ouvre la possibilité de désobéir à la loi et affaiblit en conséquence l'État. [I.

L'état de nature] Un tel problème ne peut se présenter dans ce que l'on nomme classiquement l'« état de nature ».

Dans ce dernier en effet, il n'existe pas encore de cadre légal : l'individu est donc livré à ses seuls intérêts, et il est dès lors apte à juger ce qui est bien ou mal, bon ou mauvais, en fonction de son point de vue particulier.

Que les différents points de vue ainsi adoptés puissent aboutir à des contradictions ou à des conflits importe en réalité assez peu.

Dans la mesure où l'état de nature correspond à une situation étymologiquement anarchique (sans chef), les conflits y existent déjà. Un tel contexte est donc synonyme, par définition, de désordre permanent et, en conséquence, de rivalités multiples entre les êtres.

En fait, on peut aller jusqu'à considérer que, étant ignorant des normes collectives, les idées de bien et de mal qui s'y affrontent n'ont guère de portée ou d'efficacité.

Elles ne sont en effet déterminées que relativement aux intérêts égoïstes et ne permettent pas d'admettre l'existence d'une authentique morale, qui implique un minimum d'accord et de cohérence entre les hommes. À l'origine, l'absence d'État laisse ouverte la possibilité de définitions tout individuelles.

P ar contre, la situation change du tout au tout dès que l'État est constitué — ce qui, pour Hobbes, est d'une nécessité vitale, puisque, sinon, les hommes ne peuvent que développer des multitudes de conflits interdisant l'apparition d'une paix durable. [II.

La morale privée] C ependant, la constitution de l'État, c'est-à-dire l'accession à une société stable et organisée, ne signifie pas que ses membres doivent renoncer à tout exercice du jugement moral. En effet, les lois de l'État ne concernent que la collectivité, et donc les intérêts communs à tous.

La législation a pour but de permettre la vie sociale en assurant, de force s'il le faut, la concorde et une paix authentique.

Elle s'impose en faisant taire les intérêts privés dès qu'ils touchent aux relations sociales.

Mais, pour ce qui ne relève pas de l'existence collective dans ses différents aspects, et ne concerne en conséquence que la vie privée (familiale par exemple), la loi civile n'a pas à s'en préoccuper.

Elle reste donc muette relativement à de nombreux aspects de la vie quotidienne, puisque celle-ci n'est pas uniquement constituée d'activités ou de situations mettant automatiquement en cause des relations avec le collectif en tant que tel. Toutes les situations non régies par la loi peuvent continuer à être discutées, notamment du point de vue de leur signification ou portée morale, par les particuliers.

O n peut supposer que ces derniers retrouvent à cette occasion des positions singulières ou égoïstes, et que les critères leur permettant de définir le bien et le mal risquent d'être toujours déterminés par des considérations, sinon strictement égoïstes, du moins relatives à des groupes restreints.

P eu importe, du moment que leurs débats et les conceptions qui en procèdent n'ont pas d'échos dans l'existence de l'État. [III.

Le bien civil] En revanche, dès que l'on rencontre une loi civile qui concerne l'équilibre de la collectivité tout entière, celle-ci doit être conçue comme impossible à mettre en cause, donc hors de toute discussion. C 'est en effet par définition que la loi civile est à considérer comme la mesure des actions bonnes ou mauvaises du point de vue de l'intérêt de tous ou du bien commun.

L' appréciation du bien et du mal sur lequel il y a lieu de légiférer appartient ainsi exclusivement au législateur, qui est par principe le représentant de l'État, et donc de sa volonté.

C elle-ci doit être reconnue comme d'une autre nature que les volontés individuelles, et seule apte à connaître ce qui est bon pour l'État. En évoquant le rôle du «législateur », Hobbes n'en précise pas l'origine ou la nature.

C 'est évidemment s u r c e point que se séparent les théories « démocratiques » et celles qui sont plutôt favorables à un pouvoir autoritaire.

Si l'on conçoit le législateur comme une émanation de ce que Rousseau nommera la « volonté générale », on peut alors considérer, comme le fait le C ontrat social, que la loi qu'il formule définit les conditions de la liberté politique.

Si, à l'inverse, on pense le législateur sous l'aspect d'un autocrate, ses lois vont imposer une conception du bien et du mal qui peut ne pas correspondre aux intérêts collectifs. Mais en fait, pour Hobbes, là n'est pas l'important.

Et c'est ce qu'indique la fin de l'extrait.

En effet, dès que la moindre discussion est autorisée à propos de la loi et d e c e qu'elle énonce, les citoyens peuvent se croire autorisés à débattre de sa justification, et en conséquence à lui désobéir.

Le résultat est évidemment catastrophique : c'est l'État qui se trouve affaibli, puisque sa loi n'est plus rigoureusement respectée.

La discussion de la loi y introduit en effet un principe de division : pour Hobbes un État ne vaut que s'il est, au contraire, rigoureusement unifié. Il apparaît ainsi que le caractère indiscutable de la loi et l'obéissance qui doit lui être acquise n' ont rien à voir avec la qualité de la législation ou la compétence du législateur.

C'est qu'il est dans l'intérêt de tous que l'État se maintienne comme inébranlable, faute de quoi on court le risque d'un retour vers l'état de nature et son incohérence. [Conclusion] Pour maintenir à tout prix la cohésion de l'État, il faut admettre que ses lois sont sans appel.

Dans une telle conception, qui se justifie par la nécessité d'éviter une régression vers les conflits individuels initiaux, le citoyen ne peut qu'obéir passivement : le tout l'emporte clairement sur l'individu.

Et l'État peut dès lors être totalement indifférent à l'éventuelle contradiction existant entre sa définition du bien et une conception universelle des valeurs morales : seule compte sa survie, qui constitue en quelque sorte la fin suprême, parce qu'elle conditionne l'établissement de la paix civile.. »

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