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Hegel et la peine de mort

Publié le 07/11/2022

Extrait du document

« Hegel commence par présenter la thèse de Beccaria et sa justi cation : l’Etat n’a pas le droit d’in iger la peine de mort car le contrat social qui le fonde contient la préservation de la vie des individus (ligne 1-4, « Comme on le sait bien … admettre le contraire.

»). La thèse de Beccaria est présentée comme étant bien connue (« Comme on le sait bien ») par une communauté (« on ») qui semble renvoyer à Hegel et aux lecteurs et lectrices auxquel-le-s il s’adresse.

Cette connaissance commune supposée permet peut-être à Hegel de passer fi fl fi fi fl fl fi ff fl fi ff fl fl fi ffi fl fi fi fi fi ffi ff fl fl fi fi 1 ff fi fi Le texte qui nous est proposé est un extrait des Principes de la philosophie du droit de Hegel.

Hegel y examine la question : « L’Etat a-t-il le droit d’in iger la peine de mort aux individus ? ».

Il s’agit ici d’examiner la question du point de vue du droit idéal, c’est-à-dire de se demander non pas si la peine de mort existe dans le droit positif, c’est-à-dire s’il existe des Etats qui appliquent la peine de mort, mais de se demander s’il est légitime, pour l’Etat, d’in iger la peine de mort.

Autrement dit, il s’agit de se demander si un Etat idéal est un Etat qui a le droit d’in iger la peine de mort. Cette question pourrait paraître surprenante.

En e et, la doxa contemporaine est que la peine de mort est totalement illégitime : l’Etat, s’il a le droit de mettre certains individus à mort (dans la guerre), n’a pas le droit de punir ses citoyens, lorsqu’ils violent la loi, par la mort.

Et la justi cation qui est en général donnée à cela est que la peine de mort est contradictoire en ellemême : interdire le meurtre et soi-même commettre des meurtres pour punir les meurtriers est illogique. Pourtant, la peine de mort a existé pendant longtemps sans o usquer grand monde.

Ainsi Socrate boit-il la cigüe sans jamais remettre en question le principe de la peine de mort en luimême.

On peut de fait soutenir que la justice est avant tout restauration de l’égalité et qu’il est alors juste de prendre à l’individu ce qu’il a pris à autrui : dans le cas du meurtre, sa vie. Cette question est capitale, dans la mesure où punir un individu par la mort est irrévocable.

Les implications éthiques d’un tel acte sont majeures et il vaut donc mieux être absolument certain que cet acte est légitime avant de le commettre.

Cette question est capitale en outre, dans la mesure où ce qui fait tenir la communauté politique pourrait être la croyance dans le fait qu’elle permet une forme de justice absente dans un « état de nature ».

Il devient donc crucial de clari er quelle forme concrète doit prendre cette justice.

Un doute quant à la légitimité de la peine de mort pourrait faire vaciller cette croyance donc mettre en péril l’unité de la communauté politique.

Cette question est en n particulièrement intéressante dans la mesure où elle nous permet de clari er la conception que l’on a de la communauté politique et de l’Etat : c’est en e et en fonction de ces conceptions que l’on peut décider s’ils ont, oui ou non, droit de vie ou de mort sur leurs citoyens. Le moment où des argumentations contre la peine de mort commencent à apparaître est particulièrement intéressant puisque vont aussi apparaître, en réponse, des justi cations de la peine de mort.

Celles-ci vont devoir répondre à l’argument suivant lequel la peine de mort est illogique, contraire à la raison.

C’est ce type d’argumentation que produit ici Hegel.

Il soutient en e et que l’Etat a non seulement le droit, mais aussi une sorte de devoir d’in iger la peine de mort, dans la mesure où c’est la seule manière d’honorer le criminel comme un être pleinement rationnel. Le texte comporte deux moments.

Dans un premier temps, Hegel présente la thèse de Beccaria et sa justi cation : l’Etat n’a pas le droit d’in iger la peine de mort car le contrat social qui le fonde contient la préservation de la vie des individus (ligne 1-4, « Comme on le sait bien … admettre le contraire.

»).

Dans un second temps, il va critiquer cette thèse (ligne 5 « Seulement » n du texte).

Cette critique va comporter trois moments : il va d’abord critiquer la justi cation que donne Beccaria à sa thèse (ligne 5-9 « Seulement … leur sacri ce.

»).

Il montre ainsi qu’il est infondé d’a rmer que l’Etat n’a pas le droit d’in iger la peine de mort.

Il va ensuite indiquer quels sont les deux critères à partir desquels l’Etat doit décider de la peine in igée à un individu : le concept et l’action du crime (ligne 9-16, « — De surcroît… honoré comme un être rationnel.

»). L’Etat doit exiger le sacri ce de ce que le criminel lui a pris (juger en fonction du concept du crime) et honorer le criminel en tant qu’être-rationnel donc lui appliquer la loi que le criminel a luimême instaurée, par son action (juger en fonction de l’action du crime).

Chacun de ces critères donne donc un argument en faveur de la peine de mort.

Dans un troisième temps, il disquali e dé nitivement la position abolitionniste (contraire à la peine de mort) en montrant que les conceptions de la peine qui sont mobilisées pour critiquer la peine de mort ne permettent pas de rendre honneur à l’être-rationnel du criminel (ligne 16, « — Cet honneur ne lui revient pas » … n.).

On peut donc dégager la thèse, a rmée implicitement par Hegel dans ce texte : l’Etat a non seulement le droit, mais le devoir, d’in iger la peine de mort. rapidement à la fois sur la thèse de Beccaria et sur sa justi cation.

On ne trouve en e et nul référence à un texte précis, ni citations susceptibles de justi er la manière dont Hegel restitue la position de Beccaria.

Il n’est pas non plus fait mention d’une possible ambiguïté de la position de Beccaria ou d’une possible indécision de sa part, ni d’une pluralité de justi cations.

Ceci permet à Hegel de construire pour Beccaria une position argumentative précise et uni ée qu’il va s’employer dans le texte à critiquer.

Il serait intéressant de se voir si cette position est une reconstitution ctive qui permet à Hegel de mieux a rmer sa propre position, ou si elle correspond e ectivement aux textes de Beccaria. La position de Beccaria consisterait à nier que l’Etat ait le droit d’in iger la peine de mort, en d’autres termes à a rmer que l’Etat n’a pas le droit d’in iger la peine de mort.

Par Etat, on entend généralement une institution politique centralisée, qui régit les dimensions collectives d’une communauté humaine installée sur un territoire : l’Etat institue les lois et les fait respecter, protège le territoire, assure la gestion administrative de la communauté et encadre ses activités économiques.

Il s’agit donc pour Beccaria de se demander si une telle institution, devrait se voir accorder par ses citoyens le droit de punir une personne ayant violé une loi, en la mettant à mort. Il s’intéresse donc spéci quement à la manière dont l’Etat doit faire respecter la loi, plus précisément à la manière dont l’Etat doit réagir face à des individus qui violent la loi.

Plus précisément encore, Beccaria se demande quelle doit être la limite à la violence de l’Etat sur un individu qui a violé la loi : peut-elle aller jusqu’à lui ôter la vie ? Selon Hegel, Beccaria a rme qu’une telle réaction ne serait pas légitime. La raison avancée par Beccaria serait le contenu du contrat social.

Quel rapport entre le contrat social et l’Etat ? Le contrat social est un concept d’origine rousseauiste.

Rousseau développe en e et l’idée d’un contrat social dans son ouvrage éponyme, pour répondre à la question : « Quelle forme aurait un Etat légitime ? ».

Le contrat social y désigne l’acte (qui n’a pas de position historique, qui n’existe pas dans le temps) par lequel tous les individus d’une communauté acceptent de s’aliéner entièrement au pro t de chacun des membres de la communauté.

De ce contrat social, émane une volonté générale, qui constituera la loi, la volonté générale désignant ce qui est voulu en commun par chaque membre de la communauté.

Le contrat social est ce qui fonde l’Etat, au sens où elle rend son exercice du pouvoir légitime et où elle l’instaure.

Est-ce cela que Beccaria entend par contrat social ? Il semble probable que si Beccaria utilise l’expression « contrat social », il le fasse en référence à Rousseau.

Et de fait, il semble que chez Beccaria aussi, le contrat social soit ce qui fonde l’Etat, au sens où elle le rend légitime et l’instaure.

L’argumentation de Beccaria consisterait alors à dire que le contrat social en donnant sa légitimité à l’Etat, pose aussi des limites à ce que l’Etat a le droit de faire (puisque tout ce qui est en dehors du contrat social n’est pas légitime).

Toutefois, il faut signaler une di culté dans le texte : plus loin, Hegel va a rmer que l’Etat n’est pas un contrat, en réponse à Beccaria. Cela laisse entendre que pour Beccaria, le contrat social n’est pas ce qui fonde l’Etat, mais est l’Etat lui-même.

La liation rousseauiste, mais aussi le fonctionnement de l’argumentation de Beccaria, on va le voir, laisse penser qu’entre contrat social et Etat, il y a un rapport de fondation. Mais le texte de Hegel semble indiquer qu’il y aurait plutôt un rapport d’identité. Quoi qu’il en soit, Beccaria a rme que le consentement des individus à se laisser tuer n’est pas contenu dans le contrat.

Comment comprendre cela ? D’une part, on peut signaler que la mention d’un « contenu » du contrat social indique que Beccaria pense le contrat social sur le mode d’un contrat écrit, qui stipulerait les termes exacts de l'accord qui a fondé l’Etat.

Dans ces termes exacts, ne se trouverait pas « le consentement des individus à se laisser tuer ».

Pourquoi faudrait-il que ce consentement y gure, pour que l’Etat ait le droit de tuer un criminel ? Car tout criminel est un citoyen de l’Etat dont il enfreint les lois donc doit être considéré comme ayant « signé » le contrat social.

Donc pour que l’Etat puisse le mettre à mort légitimement, il faudrait que le criminel ait signé un contrat stipulant qu’il consent à se laisser tuer par l’Etat.

Beccaria a rme non seulement que le contrat signé par le criminel ne stipulait pas qu’il consent à se laisser mettre à mort, mais même qu’il faut admettre le contraire.

Que serait le contraire ? Il me semble que le contraire est que le contrat signé par le criminel stipule le refus de se laisser mettre à mort par l’Etat. Qu’est-ce qui pourrait justi er cette a rmation de Beccaria ? Pourquoi le contrat social ne peut-il pas contenir le consentement à se laisser tuer et contient-il au contraire le refus de se laisser tuer ? Cela découle d’une conception de l’Etat comme une institution dans laquelle les individus acceptent d’entrer en renonçant à une partie de leur capacité à agir (je renonce à tuer mon voisin et à lui voler sa terre) uniquement car ils obtiennent en retour la garantie qu’une partie plus grande de leur capacité à agir sera préservée par l’Etat (j’ai l’assurance qu’on ne me tuera pas et qu’on ne me volera pas ma terre).

En d’autres termes, la raison d’être de l’Etat serait le fait ffi ffi ff fi fl fi fi fi fl fi ffi ffi ffi ffi fi fi fi ffi fi ff fi ff ffi 2 qu’il assure « la protection et la sauvegarde de la vie et de la propriété des individus », comme l’indique plus loin Hegel.

Pourquoi protection et sauvegarde ? Car l’Etat ne doit pas seulement me garantir que je vais continuer de garder ma vie et ma terre, qu’ils vont se perpétuer dans le temps, mais il faut qu’il me garantisse aussi a) que je vais les conserver en bonnes conditions (non seulement je ne serai pas tuée, mais je ne serai pas non plus blessée), b) que personne ne va les attaquer (qu’ils sont protégés) pour que la peur cesse, qui m’empêcherait autrement d’agir.

Il me semble qu’on peut donc comprendre sauvegarde comme continuation et protection comme conservation en bonnes conditions et comme assurance de ne pas être attaqué.

On voit bien que si c’est en e et pour que ma vie soit protégée que j’accepte d’entrer dans l’Etat, il est peu probable que j’accepte que l’Etat me tue ! C’est donc la conception d’un contrat signé par des citoyens rationnels qui cherchent à augmenter leur capacité à agir (qui est sans cesse menacée, sans Etat) qui permet à Beccaria de soutenir que le contrat social contient le refus de se laisser tuer. Hegel commence donc par restituer une position qui a rme que l’Etat n’a pas le droit de tuer un individu pour le punir d’avoir violé une loi.

Cette position est justi ée par une conception de l’Etat fondé par (ou identique à) un contrat social, contrat social dans lequel les citoyens acceptent de renoncer à une partie de leur capacité d’agir.... »

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