Hegel: cette galerie d’opinions
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«
« En ce qui concerne d’abord cette galerie d’opinions que présenterait l’histoire de
la philosophie — sur Dieu, sur l’essence des objets de la nature et de l’esprit — ce
serait, si elle ne faisait que cela, une science très superflue et très ennuyeuse,
alors même qu’on invoquerait la multiple utilité à retirer d’une si grande animation
de l’esprit et d’une si grande érudition.
Qu’y a-t-il de plus inutile, de plus ennuyeux
qu’une suite de simples opinions ? On n’a qu’à considérer des écrits qui sont des
histoires de la philosophie, en ce sens qu’ils présentent et traitent les idées
philosophiques comme des opinions, pour se rendre compte à quel point tout cela
est sec, ennuyeux et sans intérêt.
Une opinion est une représentation subjective,
une idée quelconque, fantaisiste, que je conçois ainsi et qu’un autre peut concevoir
autrement.
Une opinion est mienne ; ce n’est pas une idée en soi générale, existant
en soi et pour soi.
Or la philosophie ne renferme pas des opinions, il n’existe pas
d’opinions philosophiques.
» HEGEL.
[Introduction]
Hegel, le premier philosophe à avoir conçu l'importance pour la philosophie de l'histoire de la philosophie, dénonce dans
ce texte l'idée selon laquelle l'histoire de la philosophie pourrait n'être qu'une série d'opinions : présenter ainsi l'histoire
des idées, c'est faire oeuvre inutile et ennuyeuse.
La question se pose alors de savoir ce qui, dans la philosophie,
interdit de la traiter ainsi.
C'est, explique Hegel, parce qu'aucune opinion ne peut être philosophique que l'histoire de la
philosophie ne peut être une collection d'opinions, ce qui dénaturerait toute philosophie et ruinerait pas là même son
histoire ainsi exposée.
Aussi Hegel, après avoir condamné cette forme d'histoire de la philosophie et expliqué sa thèse,
doit-il déterminer le concept d'opinion afin de montrer que, de façon générale, la philosophie exclut par essence tout
recours aux opinions.
[I.
L'histoire de la philosophie entendue comme collection d'opinions est inutile et ennuyeuse.]
[1.
La philosophie comme galerie d'opinions.]
Hegel part, pour la critiquer, de l'idée reçue que l'histoire de la philosophie consisterait à présenter les opinions des
philosophes en une «galerie», c'est-à-dire en les exposant pêle-mêle, en en donnant une anthologie.
Une telle façon
de voir les choses évoque par exemple les Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, l'oeuvre de Diogène
Laërce.
Faire de l'histoire de la philosophie, ce serait en ce sens exposer les principales idées des grands philosophes :
tel penseur a soutenu la primauté de l'expérience dans la connaissance, tel autre au contraire celle des idées, tel
auteur a cru pouvoir prouver l'existence de Dieu, tel autre estime toute démonstration impossible, les uns ont émis des
opinions spiritualistes, les autres professent plutôt des idées matérialistes.
[2.
La division scolaire de la philosophie.]
De telles histoires de la philosophie sont rédigées particulièrement à des fins scolaires : les thèmes traités (Dieu, la
nature, l'esprit) reflètent en effet les grandes divisions jadis en vigueur dans les manuels de philosophie.
L'histoire de la
philosophie devrait passer en revue ces grands domaines que sont la théologie, la cosmologie ou la physique, et enfin
la psychologie pour donner une idée générale de la doctrine de l'auteur étudié.
La pensée du philosophe se trouve ainsi
comprise dans de grandes catégories qui seraient des chemins obligés pour toute philosophie.
De même qu'il suffit, pour
caractériser un atome, de savoir de combien de protons et de neutrons il se compose, de même, il suffirait de
connaître les positions de Descartes ou de Spinoza sur trois ou quatre grandes questions pour connaître
convenablement leurs doctrines.
[3.
La faiblesse des arguments invoqués pour la défense d'une telle conception de l'histoire de la philosophie.]
Hegel prend à peine le temps d'évoquer ironiquement les possibles arguments des défenseurs d'une telle conception de
l'histoire de la philosophie : cette histoire procurerait une «grande animation de l'esprit» et une «grande érudition».
Une
telle histoire de la philosophie aurait ainsi tout juste l'utilité d'une gymnastique ou d'un passe-temps pour l'esprit et ne
saurait produire qu'un simple encyclopédisme.
Ces conséquences éventuelles de la fréquentation des opinions
philosophiques restent en tout cas étrangères à la philosophie même, ne peuvent lui être liées qu'extérieurement.
L'intérêt d'une véritable histoire de la philosophie est à chercher ailleurs.
[II.
Développement de cette thèse.]
[1.
La preuve par l'appel à l'expérience.]
Hegel en appelle directement à son lecteur pour établir sa thèse : «On n'a qu' à considérer des histoires de la
philosophie.» Le lecteur peut se souvenir de sa propre expérience, de sa déception à la lecture d'ouvrages de la
philosophie.
Nul n'est besoin pour Hegel de démontrer par un long raisonnement la véracité de ses dires.
Si l'expérience
suffit à Hegel pour établir l'absence de valeur des histoires composées des opinions des philosophes, ce n'est pas
seulement mépris de sa part pour ces ouvrages, c'est avant tout parce que le lecteur philosophe étudie aussi pour le
plaisir : l'absence de tout plaisir dans la lecture d'oeuvres de philosophes est mauvais signe pour les oeuvres en
question.
La philosophie doit conserver la possibilité d'un tel plaisir si elle est elle-même restée vivante..
»
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