Garde t-on son identité ?
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Si nous nous définissons par notre identité, doit-on dire qu'elle nous appartient ? Ce qu'on est nous appartient-il ?
N'est-ce pas confondre l'être et l'avoir que de demander si l'on garde son identité ? En fait la question semble inviter à un
examen précis : malgré les changements de ma personnalité, de mon aspect physique, suis-je toujours le même, suis-je à
travers le temps mon propre gardien ? Comment à la fois changer et ne pas être autre ? Il nous faudra demander par
quels critères nous pouvons définir une identité pour ensuite pouvoir continuer d'enquêter.
Nous serons conduit, par delà
la logique de structures disjonctives simples (être/avoir, changer/garder), à nous interroger sur la notion d'identité en
psychologie.
I- De quelle identité parle-t-on ?
Nous sommes désormais capable de déterminer avec succès l'identité génétique d'un individu, mais notre question
ne peut se réduire au thème de l'identité génétique.
Celle-ci est, psychologiquement parlant, une abstraction, notre
identité, au sens de ce qui fait notre personnalité, notre moi, est irréductible et ne saurait être appréhendée par la
génétique.
Il faut se garder de faire des glissements hasardeux, par exemple il y a un fichage génétique de certains
criminels, ce qui ne doit pas nous conduire à assimiler ces empreintes Adn à des gènes du mal ou du crime.
Le crime ou
l'identité, bref ce qui se construit n'est pas inscrit dans nos gènes.
L'expression de « code génétique » nous conduit d'autant plus à refuser d'y réduire notre identité, nous ne
pouvons raisonnablement penser notre identité comme étant un code (« code barre »), comme l'ont montré Deleuze,
Jonas ou Ruyer il y a quelque chose de désespéré dans cette tentative de réduire l'homme à un « contenu d'information »,
nous ne sommes pas des programmes cybernétiques.
L'identité biologique nous la gardons tout au long de notre vie mais
elle n'est pas nôtre au sens où elle n'est pas nous.
L'identité c'est ce par quoi je me définis, non pas une structure Adn ni même un état civil mais les lignes fortes de
mon histoire personnelles qui ont fait de moi ce que je suis maintenant.
Mon identité n'est pas un CV mais la pointe d'une
ligne temporelle, mon identité évolue donc avec moi.
Mais ne peut-on pas parfois changer au point de ne pas se
reconnaître soi-même, certaines circonstances ne nous donnent-elles pas le sentiment de perdre notre identité ?
II- Qu'est-ce que changer ?
Hormis dans des cas pathologiques graves comme pour des formes de schizophrénie ou d'amnésie il ne semble
pas que l'individu puisse radicalement perdre son identité.
Il ne peut y avoir perte d'identité que si la mémoire et donc
l'histoire de l'individu pour lui-même est engagée dans un processus de dégradation.
Autrement un individu peut être
confronté à des situations qui lui donnent le sentiment d'être devenu un autre.
Par exemple après avoir participé à une guerre un homme peut changer de façon très marquée, mais ce
changement signifie-t-il qu'il perd son identité ? S'il se sent devenir autre au point que même son passé lui apparaît sous
un autre jour et que peut-être il ne s'y reconnaît même plus, alors il semble envisageable de dire qu'il a changé d'identité.
Dans Le normal et le pathologique Canguilhem montre contre Claude Bernard que le diabète ce n'est pas seulement
une variation quantitative des taux de glycémie et de glycosurie (sucre dans le sang et l'urine) mais une réorganisation de
tout l'organisme, c'est du qualitativement autre, au point qu'il faut dire que l'on change de rein.
N'en est-il pas de même
pour l'identité psychologique, ne faut-il pas reconnaître qu'il y a des variations de degrés telles qu'elles deviennent
variations de nature ? En ce sens les circonstances peuvent m'amener à perdre mon identité pour en recouvrir une autre
au même titre que l'organisme malade n'est pas le même autrement que celui en bonne santé, il est un autre.
III- L'identité se concilie avec le changement.
La position de Canguilhem convient sûrement dans le cas de la pathologie organique mais pour le psychisme il
semble que nous ne pouvons l'utiliser puisqu'elle ne prend pas en compte la temporalité du moi, autrement dit il existe
une figure du changement où l'identité peut-être conservée.
Si changer c'est s'altérer, mûrir, alors changement et identité
peuvent se concilier.
Il faut dire avec Bergson que le moi est durée c'est-à-dire temporel, au sens où il y a pénétration du passé dans le
présent (dans la durée contrairement à ce qui se passe dans l'espace il n'y a pas extériorité des parties), le moi est à la
pointe de mon histoire et change avec elle, son être est de progresser ou de s'altérer, jamais de se conserver tel quel.
Le
moi se constitue en changeant, l'identité ne se conserve pas contre le changement mais avec.
Je reconnais moi-même que je mûris, que mon caractère se renforce ou s'émousse, que de côtoyer telle personne
fait de moi un autre homme, et pourtant je peux toujours, comme le remarque Bergson, être fatigué de moi, or cela n'est
possible justement que parce que ce moi c'est toujours le même.
L'identité est plastique, subit des transformations mais
n'en demeure pas moins la même, comme un visage qui vieillit tout en conservant ses traits ou un corps qui malgré un
renouvellement incessant de cellules est toujours le même corps.
Conclusion :
L'identité n'est pas une chose définitivement acquise que l'on garderait ou perdrait selon les circonstances de la
vie.
L'identité ne cesse pas de changer, je ne me définis pas de la même façon selon le moment de ma vie et pourtant je
suis toujours le même, mais l'identité fait davantage que de tolérer les variations, elle se construit avec, le moi en ce sens
est toujours à la fois le même et nouveau.
Jonas dit du métabolisme qu'il ne se conserve qu'en se transformant (sa
matière est sans cesse renouvelée), il faut pareillement reconnaître que garder son identité se conjugue avec le
changement, le jour ou la stagnation est atteinte, c'est la mort..
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