FREUD

« Si on veut se rendre compte de l'essence grandiose de la religion, il faut se représenter ce qu'elle entreprend d'accomplir pour les hommes.

Elle les informe sur l'origine et la constitution du monde, elle leur assure protection et un bonheur fini dans les vicissitudes de la vie, elle dirige leurs opinions et leurs actions par des préceptes qu'elle soutient de toute son autorité.

Elle remplit donc trois fonctions.

Par la première, elle satisfait le désir humain de savoir, elle fait la même chose que ce que la science tente avec ses propres moyens, et entre ici en rivalité avec elle. C'est à sa deuxième fonction qu'elle doit sans doute la plus grande partie de son influence.

Lorsqu'elle apaise l'angoisse des hommes devant les dangers et les vicissitudes de la vie, lorsqu'elle les assure d'une bonne issue, lorsqu'elle leur dispense de la consolation dans le malheur, la science ne peut rivaliser avec elle.

Celle-ci enseigne, il est vrai, comment on peut éviter certains dangers, combattre victorieusement bien des souffrances ; il serait très injuste de contester qu'elle est pour les hommes une puissance auxiliaire, mais dans bien des situations, elle doit abandonner l'homme à sa souffrance et ne sait lui conseiller que la soumission.

C'est dans sa troisième fonction, quand elle donne des préceptes, qu'elle édicte des interdits et des restrictions, que la religion s'éloigne le plus de la science. Introduction On peut donner de la religion différentes définitions, en soulignant par exemple la façon dont elle rassemble les hommes, son contenu doctrinal ou son organisation institutionnelle.

Freud préfère ici mettre en valeur ses différentes fonctions, pour la comparer .à la science.

Comparaison qui n'est guère inédite, mais qui est ici effectuée avec une efficacité certaine, puisqu'elle permet de comprendre que la religion comble de plus vastes attentes que la science, et d'en déduire qu'il y a sans doute là une des raisons qui la rendent peu perméable aux arguments scientifiques prétendant la critiquer. I - La religion comme savoir total A.

Une satisfaction complète du désir humain La religion s'affirme comme un système capable de satisfaire la totalité du désir humain (c'est son « essence grandiose ») : désir de (tout) savoir, désir de réconfort dans le malheur, désir d'ordre moral. B.

Les causes premières Comte signalait que l'esprit théologique répond aux questions en « pourquoi ? », sur l'origine première des choses, de l'homme, du monde.

Voir les mythes des origines dans les sociétés « primitives » ou la Genèse. C.

Du « pourquoi ? » au « comment ? » Le savoir proposé par la science est moins ambitieux : il concerne le comment des choses.

Une loi scientifique rend compte d'un fonctionnement régulier, non d'une apparition (unique).

De plus, les lois scientifiques sont conçues pour être corrigées et refaites, alors qu'une vérité religieuse est par définition impossible à modifier. D.

La science peut être décevante. Parce qu'elle est prudente et lente, et toujours prête à sa remise en chantier, la science peut décevoir les esprits avides d'explications immédiates, totales et « sûres ».

Elle peut rivaliser avec la religion lorsqu'elle montre sa compétence dans un domaine précis (les autorités chrétiennes ont fini par reconnaître l'héliocentrisme), mais la science ne peut résoudre sans délai tous les problèmes que la religion prétend avoir résolus depuis longtemps.

Pour des esprits en quête de tranquillité, la religion est donc plus séduisante que la science, où l'inquiétude est presque une méthode. II - Le réconfort religieux A.

Les dangers de la vie C'est sa seconde fonction qui donne à la religion « la plus grande partie de son influence ».

Elle console, rassure, par ses rituels, par sa façon de rapprocher les fidèles (c'est un des sens possibles de « religion »), de leur faire partager en commun une épreuve ou de les mettre en communication avec le sacré. B.

Ordre et désordre Relativement aux désordres de l'existence, la religion propose un ordre.

De ce point de vue, les monothéismes sont sans doute les systèmes qui rassurent le mieux : en affirmant la survie spirituelle, ils amenuisent ou nient le sens du malheur et indiquent le but ultime de l'existence. C.

Les causes finales. »