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Faut-il vivre dangereusement ?

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« II faut, disait Nietzsche, vivre dangereusement.

Ce n'est point là une éthique pour hommes pusillanimes et vains mais bien une morale de surhomme, de héros et de génie.

L'imprévu a toujours fasciné les hommes forts, tout comme l'attrait d'une vie stable et rangée a pu paraître un idéal absolu à tous ceux que tente une petite vie étriquée, de fonctionnaires et de « ronds-de-cuir ».

Aussi peut-il paraître utile d'opposer les deux formes de l'existence : celle qui consiste à se jeter dans l'aventure, et celle qui nous force à résister, à tirer en arrière, à nous appesantir sur le poids mort d'un passé éternisé.

L'être se trouve ainsi écartelé entre l'exigence du futur contingent et celle de l'éternel.

S'immortaliser dans une durée toute vide ou s'élancer vers un futur aventureux, voilà donc l'alternative de l'homme d'action.

« Nous vivons en avant, disait Kierkegaard, mais nous comprenons en arrière ! » Dans ce dilemme vital, il nous faudra choisir sans recours en grâce : du présent ou du passé, l'un doit triompher nécessairement sur l'autre. PREMIERE PARTIE : Le refus du péril 1.

L'attitude même du sens commun consiste dans une crainte panique du lendemain non assuré.

Toujours la nécessité d'assurer son existence, celle de préserver ses vieux jours se manifesteront par l'acceptation du réel le plus médiocre, et par un refus énergique, radical, de toute modification susceptible d'entraîner la perte de cette médiocrité, car mieux vaut, sur ce point, tenir cette médiocrité que courir le risque d'avoir mieux : la recherche active d'un mieux apparaît à la conscience populaire comme une conséquence absurde de l'inconséquence humaine. 2.

La "commonsense philosophy" des Anglais pourrait nous servir de point d'appui pour étayer cette théorie de la crainte devant l'incertitude de l'imprévu et du danger.

Ou plutôt, non : il ne s'agit pas tant d'un danger réel ; car, quand on est sûr du danger, le courage vient naturellement.

Il s'agit plutôt de la peur des coups, de cette couardise qui saisit l'homme du passé devant les affres de l'avenir N'être pas sûr de l'instant futur, c'est là ce qui provoque cette sensation d'angoisse, cette conscience d'un manque où nos jambes se dérobent sous un sol chancelant. D'autres seraient à citer, parmi les empiristes d'outre-Manche : non pas seulement Berkeley et Hume, mais aussi J.

S.

Mill ou H.

Spencer.

Plus encore, ces conceptions morales d'un bonheur fabriqué de toutes pièces, en calculant d'avance ce que sera, à un plaisir près, la somme des satisfactions futures. On attend d'emblée ce que sera cette « arithmétique des plaisirs » : et Jérémie Bentham se frotte les mains dans la certitude que son lendemain sera parfaitement identique à aujourd'hui. 3.

Cette conscience d'une causalité rigoureuse, de l'identité remarquable entre la cause et la conséquence, voilà bien ce qui fait le fondement le plus solide de la peur, de l'imprévu.

Si Comte affirmait qu'il faut savoir pour prévoir, afin de pourvoir, cet héritier de Bacon manifestait surtout la confiance dans un déterminisme universel où rien ne serait laissé à la chance. Jamais un coup de dés n'abolit le hasard, dit un vers fameux de Mallarmé : mais ce caractère fondamental du fait fortuit contient l'essence même de la moralité.

Il faut tout risquer dans l'embarquement perpétuel où l'homme s'engage sans cesse. DEUXIEME PARTIE : L'appel de l'aventure 1.

Si l'on peut expliquer la crainte du péril par une extrême sénilité, sans que, d'ailleurs, cette décrépitude ne soit l'apanage des personnes les plus âgées (on peut être un vieillard à vingt ans) en revanche, « l'appel du héros » que Bergson exaltait dans Les Deux Sources de la Morale et de la Religion est inhérent à la jeunesse de l'esprit.

Cette juvénilité nous incite à nous jeter sans cesse dans de nouvelles aventures où tout sera de nouveau à recommencer. Personne plus que l'adolescent n'est insatiable à force de désirs.

Le jeune homme veut beaucoup moins qu'il ne souhaite : à trop désirer il se prive de faire, mais au moins désire-t-il ardemment, de toute son âme. 2.

Ainsi l'homme devant l'imprévu et le risque peut être saisi d'une envie éperdue de tout tenter, de tout risquer, de tout essayer de faire.

Au reste, l'homme jeune n'a rien à perdre et tout à gagner : le quitte ou double ne l'inquiète guère ; pourquoi resterait-il quitte ? Il veut toujours plus et mieux que sa situation présente.

Il est tout entier tendu vers l'avenir.

C'est pourquoi le désir sera son état de prédilection.

Il désire entrer à Polytechnique, ou devenir Maréchal de France, ou incarner le plus brillant acteur de sa génération.

Mais ce « vol d'Icare » se terminera bien vite par une chute très lourde dans la réalité la plus terre à terre.

La matérialité le reprendra et le risque lui paraîtra moins beau lorsqu'il se sera transformé en butoir.

Car les obstacles définitifs inquiètent plus l'homme de l'avenir que la contingence du risque incertain.

Tant qu'il n'est pas sur de rater son coup, l'homme de l'imprévu le tentera.

Mais les échecs l'empêcheront peu à peu de continuer ainsi cette ascèse du futur, cette ascension vers un absolu sans cesse écarté du présent. 3.

Aussi les deux états de l'homme de l'imprévu sont-ils nécessairement l'espérance et le désir.

« Ce qui fait de l'espérance un plaisir si délicat, disait Bergson dans L'Essai sur les données immédiates de la conscience, c'est qu'il est riche de tous les possibles.

» L'espoir guide l'homme en poussant l'être à rechercher ce qui n'est pas encore déterminé par son poids de certitude.

Lorsque l'incertain se sera mué en absolu, alors il n'y aura plus de recours et l'aventure s'arrêtera, brisée net dans le jaillissement spontané de son élan vital.. »

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