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Existe-t-il un déterminisme social ?

Extrait du document

« 1.

Possibilité de la sociologie comme science.

Existe-t-il un déterminisme social ? A.

— La possibilité d'une science positive des faits sociaux n'est guère contestée aujourd'hui : — On admet généralement la réalité et l'originalité de son objet : les faits sociaux.

— On reconnaît en outre un déterminisme sociologique, alors même qu'on reste partisan de la liberté.

C'est que, malgré tout, les hommes, comme dit Leibniz, sont ce empiriques aux trois quarts de leur existence ».

Les sentiments et les idées qui les déterminent dépendent d'un ensemble de conditions qui leur sont antérieures.

En présence de certaines conditions physiques ou sociales, nous éprouvons certains sentiments, nous faisons certains raisonnements et agissons en conséquence, de telle sorte qu'il y a bien un certain rapport nécessaire entre nos actes et les conditions antérieures de nos déterminations. Faits prouvant ce déterminisme.

— « Quand nous étudions, non les actes d'un individu, mais ceux d'un groupe d'individus, et que nos observations portent, non sur une période de quelques heures ou de quelques jours, mais sur une période de plusieurs mois ou de plusieurs années, nous aboutissons à cette constatation que ces actes, même les plus capricieux en apparence, obéissent à des lois d'une rigueur presque mathématique.

» C'est ainsi, comme le remarque Buckle, que, dans tout grand pays, le nombre des assassinats, en proportion de la population, varie très peu d'une année à l'autre.

La même régularité se rencontre dans la proportion des meurtres commis actuellement avec telle ou telle espèce d'instrument.

Fait plus curieux encore, le nombre des lettres jetées a la poste, à Paris et à Londres, et auxquelles on a oublié de mettre l'adresse, est chaque année à peu près dans la même proportion avec le nombre des lettres déposées.

» Rien n'est d'ailleurs plus éloquent sur ce point que les calculs auxquels ont donné lieu les jeux de hasard, et le succès de nos grandes sociétés d'assurances. Ajoutons que, sans un certain déterminisme des phénomènes sociaux, le commerce et l'industrie seraient impossibles et nous savons Combien ils Sont prospères.

Bien qu'il dépende de chacun de nous de se vêtir de telle étoffe ou de telle autre, de conserver nos vêtements plus ou moins longtemps, de faire plus ou moins de feu dans nos appartements, d'aller ou de ne pas aller au théâtre, les commerçants et les industriels n'en calculent pas moins, d'après des données sérieuses que l'expérience leur fournit, les achats qu'ils doivent faire ; et, le plus souvent, leurs prévisions se réalisent. « Si les faits sociaux sont ainsi soumis à des lois, ils peuvent évidemment devenir l'objet d'une science véritable.

De cette science, d'ailleurs, les sociologues n'ont plus à prouver la possibilité et la légitimité aujourd'hui; les oeuvres qu'ils nous ont déjà données répondent suffisamment pour eux.

» (Ibid., p.

478.) 2.

Limites du déterminisme social. A.

— Qu'il existe un certain déterminisme social cela est incontestable.

Mais ce déterminisme a-t-il une universalité, une nécessité, une rigueur absolue ? Beaucoup de psychologues contemporains, à la suite du Durkheim, le prétendent.

Leur postulat, c'est qu'un déterminisme rigoureux régit la vie de l'homme en société : ce déterminisme, disent-ils, est encore mal connu parce que le jeu en est très complexe; mais l'étude des origines et de la succession des formes sociales nous révélera tôt ou tard, derrière les accidents de l'histoire, les lois immuables de la nature sociale. B.

— Cette théorie est extrêmement contestable. 1° Il ne faut pas confondre la succession des formes, des cadres sociaux avec la succession des idées, avec le progrès de la pensée. De ce qu'on retrouve, par exemple, dans les religions supérieures, les notions de sacrifice et d'interdiction rituelles qui apparaissent dans les religions primitives, il ne s'ensuit nullement qu'il n'y ait rien d'autre dans les religions supérieures que dans les religions primitives ; le sacrifice peut y revêtir une signification tout autre.

Le nier, c'est nier la réalité même du fait de développement de la pensée ; c'est prétendre que l'évolution va du même au même et qu'il n'y a pas de progrès ; c'est prétendre, en somme, que « tout ce que les sociétés dites civilisées ont adopté, pratiqué, approuvé jusqu'ici en fait de moeurs, de traditions, de sentiments généreux, de goûts esthétiques, ne sont, à le bien prendre, qu'autant de survivances plus ou moins évoluées et transformées, du « totem » ou culte des animaux et du « tabou » ou fétichisme, qui distinguent les sociétés primitives, que le droit romain, la culture classique, la sociabilité française sont du « totem » et du « tabou » qui s'ignorent.

» 2° Les causes sociales ne sont pas déterminantes à la manière des causes physiques.

Celles-ci sont immanquablement suivies de leur effet, les autres non.

Les sociétés humaines peuvent s'adapter de bien des manières différentes à une même condition.

Ainsi la division du travail, qui est une des solutions possibles de la lutte pour la vie, a passé par les phases les plus diverses. 3° Enfin, les théoriciens qui prétendent établir des lois sociales immuables, négligent les facteurs impondérables, et notamment l'intervention imprévisible de la volonté humaine, dont la science ne saurait pénétrer tous les motifs et les mobiles, et le rôle primordial des grands hommes et des inventions. « Que l'on songe à l'influence exercée sur le monde par un Mahomet, un Napoléon, un Pasteur ; par les découvertes de l'imprimerie, de la machine à vapeur, de la cause des maladies contagieuses ! Il faut donc voir autre chose qu'un paradoxe dans cette boutade de Pascal : « Le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, toute la face de la terre eût changé ». ANECDOTE: Si le nez de Cléopâtre avait été plus court, écrit Pascal, toute la face de la Terre aurait changé.

Que voulait-il dire par là ? Si Marc-Antoine, amoureux de la reine d'Égypte, avait préparé son combat contre Octave au lieu de compter fleurette à la belle, il serait devenu empereur à la place de son rival.

En changeant de chef, Rome aurait changé le monde.

Ainsi, l'histoire tient-elle à des riens, à des hasards insignifiants que Pascal s'empresse de rallier afin de faire une apologie du Dieu du christianisme. « Tous ces faits, il est vrai : naissances de grands hommes, inventions et découvertes scientifiques, ont leurs causes comme tous les autres, mais avons-nous vraiment le moyen de nous les représenter assez nettement pour pouvoir en dégager des lois fixes et précises ? » (Ibid., p.

478.) 4° Il faut bien noter d'ailleurs que dans les sociétés humaines, de même que dans notre vie intérieure, rien ne se répète identiquement, parce que les sociétés se développent dans l'histoire et que, tout fait historique est un fait unique.

Aux sociétés humaines comme aux individus qui les composent, on pourrait appliquer ce beau vers de la comtesse de Noailles : Nous n'aurons plus jamais notre âme, de ce soir. C.

— La seule conclusion qui s'impose, c'est que les événements sociaux, multiples, enchevêtrés, toujours variables et compliqués, ne se prêtent guère à une généralisation rigoureusement scientifique, suivant des rapports constants de coexistence et de succession.

Tout ce qu'on peut dire, c'est que les événements sociaux ont une grande influence sur la conduite des hommes, mais sans la déterminer complètement et nécessairement.. »

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