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Est- il contradictoire d'affirmer qu'il faut contraindre pour libérer ?

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« Est contradictoire un raisonnement lorsqu'il affirme simultanément et sous les mêmes rapports deux idées opposées (« il fait grand beau et orage aujourd'hui, par exemple »).

Est contradictoire dans le domaine des faits, une action qui présente une incompatibilité entre les fins qu'elle recherche et les moyens qu'elle adopte, entre les principes qui président à l'action et l'action elle-même (chercher la paix et ne semer que le désordre, par exemple). Contraindre signifie exercer une autorité sur quelqu'un, de sorte que l'action de celui que nous contraignons est déterminée par notre volonté et non par la sienne.

La contrainte implique l'idée de force, physique ou morale, force exercée sur l'individu pour déterminer son action et les fins de son action. Le terme « libérer » signifie que nous exerçons une activité sur nous-mêmes ou sur quelqu'un d'autre dont la fin est de faire disparaître une contrainte qui s'exerçait auparavant.

Cette contrainte pouvait être d'ordre physique (nous libérons un individu enfermé dans une cage) ou morale (nous libérons un individu sous l'emprise d'une autorité toute puissante, celle d'un mentor, par exemple). A première vue, il parait effectivement contradictoire d'affirmer qu'il faut contraindre pour libérer, dans la mesure où contrainte et liberté s'opposent radicalement, où un sens de la liberté peut être de vivre « sans contraintes ».

Cependant, nous verrons qu'il existe une distinction entre contradiction logique et contradiction pragmatique (si l'on raisonne en termes de but à atteindre, alors il n'est pas contradictoire d'affirmer qu'il faut contraindre pour libérer, dans la mesure où la contrainte peut être le seul moyen de cette fin qu'est la libération). Nous nous demanderons donc s'il est contradictoire, logiquement et pragmatiquement, de contraindre pour libérer. I. Contraindre pour libérer : une contradiction logique ? a. L'altérité de la contrainte et de la liberté A première vue, affirmer qu'il est faut contraindre pour libérer est contradictoire d'un point de vue logique.

En effet, contraindre consiste à exercer une autorité, étayée par la force ou par un ascendant moral ou psychologique, sur autrui afin d'en obtenir ce que nous désirons. Se libérer, au contraire, désigne l'acte d'un homme qui s'affranchit des contraintes qui pèsent sur lui.

Comme l'écrit Epictète dans ses Entretiens : « Car l'homme libre, c'est celui à qui tout advient selon sa volonté, celui à qui personne ne peut faire obstacle ».

Il semble donc qu'il existe une contradiction logique dans l'assertion « il faut contraindre pour libérer », contradiction qui tient au sémantisme des deux verbes. b. La libération doit être un acte émanant du sujet, non d'une autorité extérieure Allant plus loin, nous dirons qu'affirmer qu'il faut contraindre pour libérer est contradictoire, parce que la libération doit être un acte émanant du sujet, de sa volonté propre, et non d'une autorité extérieure exerçant sur lui une contrainte.

En effet, si c'est une autorité extérieure qui nous libère par la contrainte, nous retrouvons en elle une nouvelle aliénation dont il nous faudra nous libérer.

Par conséquent, il existe une contradiction logique dans l'assertion « il faut contraindre pour libérer » dans la mesure où la contrainte implique la nécessité d'une future libération pour le sujet. II. Contraindre pour libérer : une contradiction pragmatique ? a. Contraindre pour libérer d'une soumission au désir Nous ne raisonnerons plus ici en termes de logique mais en termes pragmatiques, c'est-à-dire en jugeant de la validité des moyens à l'aune des fins qu'ils nous permettent ou non d'atteindre.

Pragmatiquement, contraindre pour libérer cesse d'être contradictoire, car il se peut que la contrainte soit l'unique moyen par lequel nous parvenions à libérer.

Citons un extrait du Traité théologico-politique de Spinoza : « l'esclave est celui qui agit par commandement, et l'homme libre celui qui agit selon son bon plaisir.

Cela cependant n'est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir […] c'est le pire esclavage ».

Ceci nous permet de voir qu'il peut être nécessaire d'exercer la contrainte sur quelqu'un pour le libérer de son esclavage au désir : pensons à un homme victime d'une grave addiction, seule la contrainte peut servir valablement de moyen à la fin qu'est cette libération de la soumission au désir. b. Contraindre pour libérer d'un asservissement politique Dans le même ordre d'idées, nous prendrons l'exemple de l'asservissement politique.

Pour certains théoriciens, il peut être nécessaire de pratiquer la contrainte pour libérer d'un tel asservissement.

Pensons aux Jacobins durant la Convention, qui ont décidé d'envoyer des troupes en Vendée pour libérer les habitants de cette région de ce qu'ils nommaient leur asservissement à la tyrannie catholique. L'exemple montre toute l'ambigüité, et le danger, de cette démarche, car elle présuppose l'établissement de normes : pour les Jacobins, la liberté était incarnée par la révolution, la tyrannie par les monarchistes, et seule la contrainte pouvait libérer ceux qui, à leur sens, se trouvaient dans l'erreur.

Mais il ne s'agit pas ici de statuer moralement sur une telle pratique, mais de dire que, pragmatiquement, une telle action est cohérente, non contradictoire. III. Contraindre pour libérer n'est pas nécessairement contradictoire, mais obligatoirement contre productif a. Contraindre pour libérer rétablit une contrainte dont le sujet doit se libérer Cependant, ce que nous nous sommes refusé à faire dans le précédent point, nous l'aborderons ici.

S'il n'est pas contradictoire pragmatiquement de contraindre pour libérer, une telle action est nécessairement contre productive.

En effet, en exerçant une contrainte sur un sujet pour le libérer, nous rétablissons une norme dont le sujet devra à son tour s'affranchir.

C'est la structure de tous les romans d'apprentissage : les figures d'autorité doivent être successivement adoptées puis repoussées par le héros s'il veut conquérir sa propre liberté.

Par conséquent, contraindre pour libérer ne saurait, même pragmatiquement, être une norme, dans la mesure où à long terme la contrainte libératrice appellera une nouvelle libération. b. La libération par les lumières et non par la contrainte Contre ce modèle, nous proposerons celui proposé par Kant dans « Qu'est-ce que les Lumières ? ».

En effet, nous pouvons dire que la libération morale et politique doit émaner du sujet (afin de ne pas lui imposer une nouvelle norme dont il devra ensuite se libérer) mais que cette libération doit être guidée, inspirée, par la diffusion de principes forgés par la raison.

La propagation des lumières, suscitant la libération du sujet par le sujet lui-même, semble d'un point de vue moral autant que pragmatique une solution plus valable que l'exercice d'une contrainte. Conclusion : Contraindre pour libérer est une contradiction logique, car la liberté est absence de contraintes.

Contraindre pour libérer, à première vue, n'est pas une contradiction pragmatique : il peut être nécessaire de contraindre si nous voulons libérer quelqu'un.

Cependant, contraindre pour libérer est également une contradiction pragmatique à long terme, car la contrainte appelle une libération qui devra émaner du sujet pour être définitive.. »

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