Aide en Philo

En quel sens peut-on dire que l'homme est, pour lui-même, l'être le plus proche et le plus lointain

Extrait du document

« I.

- INTRODUCTION. Les gens du monde ont tendance à croire qu'ils se connaissent mieux qu'autrui.

L'homme cultivé et qui médite sans cesse sur sa « misérable condition d'homme » n'hésite point à affirmer qu'il lui est plus facile de connaître autrui que de se saisir soi-même dans toute son authenticité.

C 'est peut-être pourquoi il admet bien volontiers que dans un certain sens, il demeure pour lui-même, à la fois, « l'être le plus proche et le plus lointain ». II.

— L'HOMME, ÊTRE LE PLUS PROCHE POUR LUI-MÊME. Est proche de nous ce dont nous ne sommes séparés que par une faible distance.

Le maximum de proximité se réalise dans le contact. Dans c e s e n s , i l e s t évident qu'il n'y a pas d'être plus proche de nous que nous-même.

Entre notre personne intime et nous-même, il y a identité et indistinction. D'ailleurs, dans le sens analogique et physiologique, l'adjectif proche peut être remplacé par semblable.

L'être le plus proche de nous serait alors celui qui aurait la même nature que nous.

Dans ce cas, deux frères jumeaux seraient plus proches l'un de l'autre que deux cousins. M ais, en est-il de même quand on se situe sur le plan de la conscience ? Dans ce cas précis, le problème est double.

Il s'agit de savoir si nous sommes aussi proche de notre propre conscience que de celle de nos semblables. C hez chacun de nous, il y a la dualité du sujet connaissant et du sujet connu.

Quand je dis : « Je m'observe, je me connais », il faut distinguer un je, dont le regard est fixé sur le moi.

Dès lors, il n'y a qu'un seul être qui devient, à la fois, sujet et objet puisque, en introspection, l'objet de la connaissance se confond avec l'observateur.

Il est, non seulement proche, mais se confond avec lui.

Par suite de cette identité, je m'atteins immédiatement et bien plus vite que les autres.

Je puis bien me représenter ce qu'éprouve autrui mais ce savoir peut être erroné ou déformé.

Savoir ce qu'un autre souffre est bien autre chose que souffrir soi-même.

J'ai une intuition immédiate de ce que j'éprouve.

Je le vois, je le sens, je le vis au point que l'on puisse dire que ma conscience de souffrir est une « conscience souffrante.

» III.

— L'HOMME, ÊTRE LE PLUS LOINTAIN POUR LUI-MÊME. C ependant, quand il s'agit de nous, cette proximité fait manquer de recul et peut, parfois, nous empêcher d'avoir une vue authentique de nous-même. Les bonnes perceptions ne s'effectuent pas seulement par le contact instinctif des sens.

Il importe que l'objet à percevoir soit placé à une certaine distance pour que nous puissions juger d'un coup d'oeil et, de façon objective, des rapports des parties avec le tout' Il en est de même de la connaissance humaine.

A insi, dans un vieux ménage, les époux sont trop près l'un de l'autre pour pouvoir porter, — sauf cas très rare, — l'un sur l'autre, un jugement bien objectif. A plus forte raison, me manque-t-il la distance indispensable pour me voir tel que je suis réellement ! A insi, si paradoxal que cela semble, notre être reste lointain pour nous parce qu'il est précisément trop près de nous. La psychologie parle de la pluralité des « moi ».

Si étrange que cela paraisse, un même individu peut, en effet, avoir plusieurs « moi » car les différents éléments qui constituent sa personnalité né « se fondent pas toujours en une synthèse unique ». Il existe aussi des synthèses partielles.

Il est facile d'observer simultanément ou successivement, des « moi » différents dans la vie de l'homme normal. Dans la Synthèse Mentale, le psychologue Dwellshauwers écrit : « La nature nous prépare intérieurement à toute e s p è c e d e destinée.

C e s o n t l e s circonstances dans lesquelles nous nous trouvons qui décident de celle qui l'emportera, c'est-à-dire, de la personnalité prédominante.

Mais, les autres ne s'anéantissent jamais entièrement.

» C 'est ce qui explique que « l'homme qui passe pour le plus égal et le plus régulier », ne manifeste pas en même temps tout ce qui le caractérise au point que, suivant les moments, on pourrait croire avoir affaire à un autre individu.

A insi, suivant « le rôle qu'il remplit, l'officier peut être froid, sévère et même dur, — c'est son moi militaire —, ou bien affectueux, indulgent et même faible, — c'est son moi familial.

» Les circonstances peuvent aussi changer le caractère et donner l'impression qu'on n'est plus le même.

La colère, la maladie, provoquent parfois des états qui font qu'on ne se reconnaît pas. L'imagination aussi joue un rôle prépondérant dans ces transformations de notre personnalité.

M.

P roust confesse, dans le T emps Retrouvé, « Je n'étais pas un seul homme, mais le défilé, heure par heure, d'une armée compacte où il y avait, selon le moment, des passionnés, des indifférents, des jaloux.

» Dans son Journal Intime, A miel, l'a mieux mis en relief que personne.

« Il y a dix hommes en moi, suivant les temps, les lieux, l'entourage et l'occasion; je m'échappe dans ma diversité mobile.

Je me sens caméléon, caléidoscope, protée, muable et polarisable de toutes façons, fluide, virtuel, par conséquent, latent même dans mes manifestations, absent même dans ma représentation.

» N o u s laissons de côté les changements de personnalité dûs aux narcotiques comme l'opium ou le haschich et même l'alcool fort.

La psychologie pathologique insiste sur les phénomènes d'autoscopie ou d'héautoscopie qui ne sont autres que la vision de soi-même, durant lesquels on assiste à un étrange dédoublement de la personnalité humaine.

L'individu se voit lui-même devant soi.

Les courts vers de Musset, extraits de la Nuit de Décembre, le suggèrent bien : "Devant ma table vint s'asseoir Un étranger vêtu de noir Q ui me ressemblait comme un frère." G.

de M aupassant aussi, au cours de la maladie qui devait l'emporter, vit c" entrer sa propre personne » qui s'assit en face de lui et lui dicta ce qu'il devait écrire. IV.

— LA RÉALITÉ DES FAITS. D e s raisons multiples nous empêchent de nous saisir authentiquement.

Outre celles déjà énoncées, de nombreux écrans comme l'orgueil, l'ambition, l'amour propre, l'égoïsme, la peur de se trouver en face de soi s'y opposent. Ensuite, il semble qu'une étude trop poussée de soi-même appauvrit davantage la connaissance de notre être psychique.

Jouffroy et A lain ont bien insisté là-dessus. Il ne faut point se tromper.

L'introspection, même fouillée, peut traduire quelques aspects de notre être, mais jamais, notre personnalité intégrale. D e plus, quand il s'agit de nous, notre manque d'indépendance entraîne une déformation inévitable du phénomène considéré.

Non seulement nous ne sommes pas le spectateur impartial et désintéressé qui voit le réel tel qu'il est, mais notre regard trouble ce que nous regardons.

Inversement, ce que nous regardons altère la sûreté de notre regard.

O n ne peut pas vivre et, en même temps, se regarder vivre. I l n'en est pas de même quand il s'agit d'autrui, surtout si autrui n e s e s a i t p a s observé.

Ses actions, paroles, changements de conduite sont assez révélateurs de sa personnalité psychique.

Dans ce cas, il est possible que nous connaissions les autres mieux que nous-mêmes. A u surplus, une autre source d'illusions dans la connaissance de soi-même résulte du manque de distinction entre le réel et l'imaginaire.

Lorsqu'un autre me parle de lui, je distingue facilement ce qu'il est en réalité, ses projets d'avenir, ce qu'il croit être et ce qu'il s'efforce de paraître. Bien entendu, je vis plus intensément que personne ce dont je rêve, ce que j'imagine de moi.

T out cela m'est si intime et si proche que la réalité véritable s'éloigne de moi et me devient étrangère. Enfin, il y a dans la connaissance de soi-même une sorte de manque d'objet.

Je suis un objet pour les autres et ceux-ci sont des objets pour moi.

De là vient qu'ils me connaissent mieux que je me connais et que je les connais mieux qu'ils se connaissent.

Quand je parle de moi, quand je prétends m'observer pour me connaître, ce que je prends pour ma personne n'est pas mon être réel mais, plutôt l'idée que je m'en forge.

Tout cela me maintient bien loin de moi.

L. Lavelle écrit : c" Il n'y a rien qui nous soit plus inconnu que l'être que nous sommes.

» V.

— CONCLUSION. En réalité, il n'y a aucune contradiction à affirmer que l'homme est à la fois, pour lui-même, l'être le plus proche et le plus lointain.

» Q uand il s'agit d'expérience vécue, rien n'est plus proche de l'homme que lui-même.

M ais, sur le plan de l'introspection pure, l'homme reste assez loin de lui-même.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles