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Comment décider qu'un acte est juste ?

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« « Ni rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre » rappelait Spinoza dans son Éthique.

La majorité des gens est d'accord sur le fait que les sentiments gênent, obscurcissent plus qu'ils ne fournissent un soutien aux raisonnements de toutes sortes et en particulier aux questions d'éthique.

Agir de manière juste en tout, porter sur les actions d'autrui un regard assez pertinent pour avoir le sentiment de savoir à coup sûr si son action est juste et nécessaire est considéré tout d'abord comme une chose facile et qui va de soi — les êtres humains ayant besoin de porter des jugements rapides pour pouvoir adopter une attitude — puis ensuite comme une difficulté insurmontable : le temps passe et ils sont envahis par le remords et se rendent compte de leurs erreurs.

Beaucoup alors se conforment à la loi, à la coutume, solution de facilité tandis que d'autres à l'aide de leur raison objective élèvent leurs propres tables de lois.

Or est-on libre de voir le juste et de décider ce qu'est une action juste, est-ce en accord avec le tempérament humain ? Le Juste est fréquemment considéré comme étant ce qui favorise l'État, ce qui sera utile au plus grand nombre de ses habitants, ce qui leur permettra de survivre, d'éviter l'anarchie initiale fauteuse de troubles.

Il est alors normal dans cette conception de considérer que l'État détient la vérité qui l'autorisera à décider ce qui est juste ou injuste d'autant plus que la loi et les coutumes ont été édictées par des magistrats, des gouvernants, hommes dont l'intelligence, le bon sens, la sagesse, le dévouement, la justice avaient été reconnues au préalable.

L'homme du commun peut alors calquer son attitude sur celle de l'état' et s'en remettre au jugement d'autrui et rendre à chacun son dû selon qu'il lui soit favorable ou pas, c'est-à-dire de faire du bien à ses amis et du mal à ses ennemis Cependant il se pose alors un problème : comment reconnaître à coup sûr les amis des ennemis ? faire du mal aux ennemis, les rendre ainsi plus enragés, est-ce répandre la justice qui coïncide avec le bien autour de soi ? Et plus important encore est-ce que obéir à des lois iniques, répandre le mal autour de soi en obéissant aux chefs, est-ce juste ? Ne sera-t-on pas à un moment ou à un autre torturé par des visions de souffrance et amené à endurer des remords ? C'est pourquoi l'obéissance aveugle à des préceptes ne paraît pas être la meilleure façon d'être juste.

Ainsi l'obéissance des officiers à leurs chefs dans le cadre de crimes de guerre ne les absout pas.

Même dans le cas de crimes non prévus par la loi de l'époque, ils ont été condamnés comme ayant été injuste. Une action foncièrement juste est une action en accord avec un droit naturel non écrit qui fournit des axiomes en quelque sorte.

À partir de situations, de faits qu'on juge nécessaires strictement à tout être humain pour qu'il puisse vivre convenablement, qui peuvent être le droit à la vie, au bonheur, on procède à une délibération conforme à la Raison aidée par la mémoire qui lui présente des expériences à partir desquelles peut se former un jugement Décider si une action est juste ou pas s'apparente alors à une démonstration mathématique.

Ce jugement est d'autant plus possible que la Raison est présente en quantité égale chez tout homme comme le rappelle René Descartes dès les premières lignes de son Discours de la méthode.

Néanmoins la qualité du jugement est tributaire d'autres facteurs de nature sensible : alors que la volonté est illimitée l'entendement ne saisit que par degrés.

Il faut donc éviter la précipitation et la prévention qui empêche l'objet qu'on tente de saisir de devenir clair.

La justice suppose donc constance et fermeté du raisonnement et par là tempérance, sagesse et courage, qualités d'un héros.

Car comme le souligne Nietzsche dans un aphorisme de Fragments posthumes : même le plus courageux d'entre nous a rarement le courage d'assumer tout ce qu'il sait.

Un jugement d'éthique repose également sur des expériences individuelles et non sur les préceptes d'une loi.

Ainsi les tables d'Hammourabi qu'on a baptisées pompeusement premier code de lois du monde, ne sont en réalité qu'un recueil de décisions, de jugements du roi qu'il faut méditer mais pas un recueil de lois intransigeantes à observer stricto sensu.

Une action juste est donc une action rationnelle qui on a jugée bonne en soi c'est-à-dire délivrée des intérêts sensibles et qu'on juge digne d'être imitée et qui participe au bien des hommes. Même si cette action peut défavoriser certaines personnes, si elle est en accord avec l'intérêt et la dignité des hommes en général, on peut considérer que l'action est juste.

Par contre, le proverbe qui édicte que « la fin justifie les moyens » est à rejeter comme étant dangereux et servant à justifier des situations d'exceptions qui pour la plupart sont reconduites et qui n'avantagent aucunement les hommes en général.

Cette manière de décider si une action est juste fait appel à une raison froide et objective.

Malheureusement, à chaque jugement, à chaque raisonnement, à chaque décision correspond un sentiment de joie, de victoire peu conforme avec l'Idée d'une raison délivrée du sensible. Décider qu'une action est juste ou injuste malgré tout exige un recours à la sensibilité.

Ainsi pour être juste, il faut le vouloir.

Or nous sentons bien que la volonté est le dernier terme d'instincts qui luttent en profondeur : nos idées viennent seules, la conscience n'a qu'un rôle minime.

D'autre part dans tout raisonnement, la domination est présente : ergreifen par exemple veut dire en allemand à la fois comprendre et saisir.

Une part importante de subjectivité est donc présente dans tout jugement d'autant plus qu'on peut se demander si la fluidité de la vie peut se conceptualiser.

Par exemple le temps et ses intensités n'existaient pas avant que l'homme n'apparaisse sur la surface de la Terre.

De plus l'imagination qui est faculté de de former des images est une faculté nécessaire à tout savant et à tout philosophe.

Par conséquent dans tout raisonnement l'homme fait violence au réel.

La parfaite objectivité est un leurre.

Il faut donc accepter de juger en ayant conscience que l'homme ne pourra pas se délivrer de sa sensibilité.

Il faut accueillir les faits antagonistes avec la même sympathie et le même manque de haine et de ressentiment qui sont les vrais ennemis de toute décision libre.

« Nos ennemis ont comme nous droit de vie ! » Décider qu'un acte est juste s'apparente à une véritable oeuvre créatrice.

Ne pas créer, c'est-à-dire obéir aveuglement à la loi peut conduire aux pires crimes Il faut au contraire en partant des droits que l'on juge inaliénables de l'homme bâtir un raisonnement sans craindre de faire preuve de subjectivisme pour autant qu'on échappe à la haine et au ressentiment. Penser sans sentiment, c'est être une machine.

La loi ne doit servir que d'aide-mémoire et est nécessaire uniquement aux hommes incapables de créer qui ne peuvent découvrir le juste d'eux-mêmes, la loi étant l'expression du Droit qui naît du conflit de deux personnes incapables de s'entendre.. »

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