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Ce qui est naturel a-t-il nécessairement une valeur?

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« Réagir • • • • Se méfier de la mode : une vague référence aux préoccupations écologiques est insuffisante. D'où vient la valeur ? Qu'est-ce que le naturel ? Si le naturel a une valeur, celle-ci est-elle obligatoirement positive ? Plan Introduction. I — Neutralité du naturel. II — Toute valeur est relative à une conscience. III — La question des valeurs négatives. Conclusion. CORR IGÉ • Il faut, dit-on volontiers depuis quelque temps « protéger la nature ».

Sans doute des excès de l'industrialisation ou d'une satisfaction à court terme de besoins humains ont-ils entraîné en effet quelques désastres écologiques déplorables.

Mais les regretter, est-ce impliquer l'existence de valeurs dans ce qui a été ainsi détruit ? Ce qui est naturel a-t-il nécessairement une valeur ? • Dans sa reconstitution de l'histoire de l'humanité telle que la propose son Discours sur l'origine et les causes de l'inégalité parmi les hommes, Rousseau souligne combien la Nature est en elle-même étrangère au Bien et au Mal : pour l'homme initial, elle se manifeste comme un milieu de survie globalement bénéfique, puisqu'il y trouve de quoi subsister sans travail, mais ne produit-elle pas également l'une des premières sources de l'inégalité, à savoir l'inégalité des forces physiques ? La Nature ainsi conçue est indifférente aux valeurs, de quelque domaine qu'elles soient.

Ces valeurs, c'est l'homme qui les fera apparaître par ses différentes activités. • Un tel point de vue est confirmé par de nombreuses analyses philosophiques.

De Hegel affirmant que toute production de l'esprit est par définition supérieure à celles ¿e la nature parce qu'elle porte la marque de la liberté, à Sartre n'accordant aux choses, en particulier naturelles, qu'une existence en soi, brute et dénuée de toute signification (voir le texte du sujet 2), on constate une quasi-unanimité. • Bien entendu, un même point de vue se retrouve chez les économistes : les produits de la nature ne commencent à avoir de la valeur que relativement aux besoins et aux activités humains ; en eux-mêmes, par exemple en l'absence totale de travail, les minerais, les matières premières, les forêts sont dénués de valeur.

Tout au plus leur accorde-t-on une valeur potentielle, à partir du moment où on intègre leur existence brute dans un projet d'exploitation défini par l'homme.

·» • On peut objecter à de telles analyses qu'elles sont précisément trop liées à une visée d'exploitation du milieu naturel.

Leur apparente rationalité ne serait rien d'autre que le reflet de leur collusion avec un intérêt égoïste de l'humanité, ou du moins d'une de ses parties.

À la Raison occidentale, telle que la programme la Bible et que l'affirme par exemple Descartes, ne concevant d'autre rapport avec la nature que de maîtrise et de possession, on opposerait alors l'attitude d'autres cultures, apparemment plus respectueuses du milieu naturel, et capables, suppose-t-on, d'en reconnaître la valeur en soi : les « primitifs » respectaient mieux que l'Occident les équilibres écologiques, ce qui obligerait à leur reconnaître un souci de ce milieu qui nous fait défaut.

Encore faudrait-il démontrer, ce qui paraît bien difficile, que ce respect de la nature est bien réel, et que son apparence témoigne d'autre chose que d'une incapacité technique à intervenir davantage sur l'environnement : la culture sur brûlis, telle qu'elle est traditionnellement pratiquée, est en fait particulièrement agressive à l'égard de la végétation, tout comme l'élevage nomade des ovins détériore les sols. • Quoi qu'il en soit, la vision d'un (écologiquement) « bon sauvage » n'est peut-être rien de plus que le résultat d'une projection des problèmes que rencontrent les pays industrialisés, tout comme le « bon sauvage » du xvnr siècle par rapport à la société du temps.

Il est donc plus pertinent de remarquer que, lorsqu'une valeur semble ainsi reconnue à du naturel (végétal, animal, relief même), cette valeur est toujours attribuée par un groupe humain, c'est-à-dire par une communauté d e consciences.

Les Indiens du Montana, lorsqu'ils évoquent leurs frères grizzlis ou leurs sœurs abeilles, ne se privent pas cependant de les chasser ou de s'emparer de leur miel : tout au plus les préviennent-ils des dommages qu'ils vont leur causer...

et essaient-ils de limiter leur consommation pour assurer la reproduction des espèces qui les intéressent. • Ainsi chaque culture trouve dans le naturel les valeurs qui l'intéressent et lui permettent de se maintenir harmonieusement ou de se développer.

Même lorsque des croyances affirment une étroite complicité entre les hommes et le paysage, la faune et la flore (comme chez les Aborigènes australiens), on doit noter que cette complicité est toujours affirmée par un discours humain, et trouve sa source dans des consciences.

Les Aborigènes confirment à leur façon les analyses de Sartre : le monde brut n'a de sens que grâce aux interprétations qu'ils en donnent et aux intentions qu'ils lui prêtent.

Il est ainsi légitime d'affirmer que les valeurs ne se manifestent qu'à l'intérieur d'un système culturel, en fonction des croyances globales, des mythologies, des systèmes (religieux, économiques, politiques) élaborés par la conscience humaine. • Affirmer une liaison nécessaire et immédiate entre le naturel et une valeur, ce serait en venir à considérer que la culture ne s e différencie en rien de la nature.

On sait au contraire qu'il n'y a de culture que par une négation de la nature, quelle que soit la forme de cette négation dans s e s détails.

Si la différence n'existait pas, il faudrait admettre qu'ont de la valeur par leur existence même la maladie, la souffrance, les phénomènes naturels géologiques, etc.

Or toute culture cherche à se protéger de tels événements par des moyens évidemment diversifiés.

Il faudrait de même assimiler l'existence sociale à une simple et radicale « loi de la jungle ». • Les accusations portées contre l'industrialisation sont fondées, dès lors que ses excès destructeurs ou dangereux pourraient être corrigés ou évités.

Mais on ne peut les fonder sur l'hypothèse d'une valeur déjà présente dans ce qu'elle détruit : c'est au contraire cette destruction qui entraîne la prise de conscience de leur valeur, avec le sentiment de leur perte.

Si le naturel avait en lui-même de la valeur, on devrait accuser la nature elle-même d'être la plus notable destructrice de ses propres valeurs, puisque le nombre des espèces vivantes disparues avant l'apparition d e l'homme est infiniment plus important que celui des espèces que ses activités ont détruites.

Mais on constate sur cet exemple que le regret de ces disparitions, et donc la valeur attribuée rétrospectivement aux espèces en question (relativement à la connaissance notamment), ne se formule que du point de vue de l'homme. • Il n'existe de valeur que relativement à la conscience, ou, plus globalement, à la culture.

C e qui est naturel est donc en lui-même démuni de valeur, parce que privé de signification.

C e n'est que par rapport à l'homme, et à la variabilité de s e s besoins, de ses croyances, d e ses connaissances ou d e ses regrets, que les valeurs se forment.

Qu'elles puissent, dans d e telles conditions, être attribuées à du naturel ne doit pas provoquer d'illusion sur leur provenance : au naturel, elles sont toujours ajoutées. Lectures • Collectif, Les Sentiments de la nature. • Jacob, Le Jeu des possibles. • Collectif, Pour une anthropologie fondamentale.. »

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