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Bergson et le langage

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Il est présumable que sans le langage l'intelligence aurait été rivée aux objets matériels qu'elle avait intérêt à considérer. Elle eût vécu dans un état de somnambulisme, extérieurement à elle-même, hypnotisée sur son travail. Le langage a beaucoup contribué à la libérer. Le mot , fait pour aller d'une chose à l'autre, est en effet essentiellement déplaçable et libre. Il pourra donc s'étendre non seulement d'une chose perçue à une chose perçue, mais encore de la chose perçue au souvenir de cette chose, du souvenir précis à une image plus fuyante, d'une image fuyante mais pourtant représentée encore à la représentation de l'acte par lequel on la représente, c'est-à-dire à l'idée. Ainsi va s'ouvrir aux yeux de l'intelligence, qui regardait dehors, tout un monde intérieur, le spectacle de ses propres opérations (...). Elle profite de ce que le mot est lui-même une chose pour pénétrer, portée par lui, à l'intérieur de son propre travail. BERGSON

    Bien cerner le thème de l'extrait :il s'agit des apports du mot au développe­ment de l'intelligence.

    Marquer les différents niveaux de la « liberté » du mot. D'où provient-elle ?

    Déduisez de l'extrait les conséquences de ce qu'il évoque sur la nature même de l'intelligence (même si le candidat ne doit pas nécessairement connaître les thèses de l'auteur, on peut ici supposer qu'existent quelques informations sur la conception bergsonienne de l'intelligence).

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« Bergson et le langage Il est présumable que sans le langage l'intelligence aurait été rivée aux objets matériels qu'elle avait intérêt à considérer.

Elle eût vécu dans un état de somnambulisme, extérieurement à elle-même, hypnotisée sur son travail.

Le langage a beaucoup contribué à la libérer.

Le mot , fait pour aller d'une chose à l'autre, est en effet essentiellement déplaçable et libre.

Il pourra donc s'étendre non seulement d'une chose perçue à une chose perçue, mais encore de la chose perçue au souvenir de cette chose, du souvenir précis à une image plus fuyante, d'une image fuyante mais pourtant représentée encore à la représentation de l'acte par lequel on la représente, c'est-à-dire à l'idée.

Ainsi va s'ouvrir aux yeux de l'intelligence, qui regardait dehors, tout un monde intérieur, le spectacle de ses propres opérations (...).

Elle profite de ce que le mot est lui-même une chose pour pénétrer, portée par lui, à l'intérieur de son propre travail.

BERGSON INTRODUCTION • L'intelligence humaine a la capacité de connaître ses propres opérations et d'analyser son propre fonctionnement.

D'où provient cette capacité ? D'après Bergson, nous la devons au langage lui-même, et plus précisément à la nature du mot, qui apporte à l'intelligence une liberté relativement à ses tâches et au réel. I.

Les voyages du mot • Parce qu'il nomme des espèces et non des êtres singuliers, le mot (nom commun) a la capacité permanente de glisser d'un objet à un autre :il est ainsi « déplaçable et libre » (= non lié définitivement à l'objet qu'il désigne). — On soulignera clairement les différents moments de ces déplacements :un même mot va « s'étendre » (augmenter ses applications, et simultanément élargir ce qu'il évoque) • d'une chose à une autre (du même genre) • de la chose perçue à son souvenir (puisque l'usage du mot n'est en effet pas lié à la présence de la chose : il peut l'évoquer alors qu'elle n'est pas là) • du souvenir précis à une simple image moins claire (si je parle de l'arbre que j'ai perçu il y a huit jours, il est vraisemblable que l'image que j'en ai est en effet assez pauvre) • de l'image encore « représentée » à « la représentation de l'acte par lequel on la représente » : c'est à ce niveau que s'effectue la transformation la plus notable, l'esprit n'est plus orienté vers l'extérieur, vers le support, même lointain, de ce qui fut d'abord une perception, il se retourne vers lui-même et vers son activité.

On accède ainsi à l'idée, qui est trop générale pour être encore liée à un objet précis. — Le mot passe ainsi d'un référent sensible à une abstraction complète, à un véritable concept. II.

La libération de l'intelligence • Si le langage n'autorisait pas ainsi l'intelligence à se détacher du réel, elle aurait été « rivée aux objets matériels » en raison même des tâches qu'elle doit accomplir. • L'efficacité pratique contraindrait un esprit sans langage à demeurer en contact immédiat avec les objets à œuvrer. Dans une telle situation, l'intelligence, resterait tout entière orientée vers le monde extérieur, et ignorerait son propre fonctionnement en même temps que sa capacité à constituer un univers indépendant du concret.

Ce que désigne Bergson, c'est la capacité symbolique du langage, qui remplace en effet l'univers des choses par celui des signes. • L'intelligence rivée au concret, c'est l'intelligence simplement «pratique» (telle qu'on l'observe et la mesure chez l'animal) ; en termes bergsoniens, c'est l'instinct, immédiatement efficace, mais incapable de recul. • Cet extrait confirme donc l'antériorité de l'homo faber sur l'homo sapiens (qui est d'abord homme doté de parole, en l'absence de laquelle il ne pourrait penser). III.

La constitution du monde intellectuel • Lorsque l'intelligence, grâce à l'indépendance que lui assurent les mots par rapport au monde des objets, pénètre « à l'intérieur de son propre travail », cela signifie qu'elle va désormais travailler, non plus sur les choses, mais sur les idées.

Ainsi se constitue un univers purement intellectuel, dont le caractère fondamental, tel qu'il est ici esquissé, est son éloignement relativement au «réel ». • Le mot se substituant à la chose isole l'esprit de cette dernière et l'autorise à travailler indépendamment des contraintes (et, dirait Bergson, aussi des garde-fous) du concret. • N'existe-t-il pas, dès lors, un risque d'éloignement excessif de l'intelligence par rapport aux choses et aux objets ? L'intelligence ne peut-elle en venir en construire une pensée trop libre, c'est-à-dire décalée par rapport au monde ? On sait que c'est bien ce qu'admet Bergson.. »

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