Baruch Spinoza: Qu'est-ce que la vérité ?
Extrait du document
«
"La première signification donc de Vrai et de Faux semble avoir tiré son origine
des récits ; et l'on a dit vrai un récit quand le fait raconté était réellement
arrivé; faux quand le fait raconté n'était arrivé nulle part.
[Plus tard les
Philosophes ont employé le mot pour désigner l'accord ou le non-accord d'une
idée avec son objet ; ainsi, l'on appelle Idée Vraie celle qui montre une chose
comme elle est en elle-même; Fausse celle qui montre une chose autrement
qu'elle n'est en réalité.
Les idées ne sont pas autre chose en effet que des
récits ou des histoires de la nature dans l'esprit:, Et de là on en est venu
à désigner de même par métaphore des choses inertes; ainsi quand nous disons
de l'or vrai ou de l'or faux, comme si l'or qui nous est présenté racontait quelque
chose sur lui-même, ce qui est ou n'est pas en lui."
Baruch Spinoza, Pensées métaphysiques (1663)
VOCABULAIRE SPINOZISTE
Vérité: ce n’est pas seulement l’accord de l’idée et de son objet extérieur:
c’est aussi et surtout l’accord de cette idée avec elle-même, et l’évidence
intérieure et immédiate d’une idée adéquate (index sui).
Les concepts «Dieu» et
« vérité» sont identiques.
Idée: concept conscient, activement formé par l’esprit (et non pas «image muette sur un tableau»).
Les idées
n’agissent que sur les idées.
Homme: réalité singulière, contingente, constituée par un corps et par l’idée de ce corps (esprit humain).
L’existence d’un homme n’est pas logiquement nécessaire mais elle résulte du système des causes naturelles.
Esprit: idée du corps constituant « l’esprit humain ».
C’est donc un mode fini de l’Attribut Pensée («Âme»).
Ce que défend ce texte:
Spinoza pose en effet que toute idée, dans la transparence de son immédiateté, peut donner lieu à une proposition qui
est comme contenue «en puissance» dans cette idée.
Mon idée du triangle n'est pas un reflet intellectuel passif d'un triangle réel, car elle peut donner lieu à un énoncé,
comme lorsque j'affirme qu'un triangle se définit précisément comme une figure à trois côtés
Que la vérité soit liée au langage, voilà donc qui ne fait plus aucun doute.
Pourtant il faut signaler un dernier usage des
termes «vrai» et «faux», qui semble bien constituer une extension abusive, ou plutôt une métaphore : «Et de là on en
est venu à désigner de même par métaphore des choses inertes».
Quand nous disons de tel or, par exemple, qu'il est vrai ou faux, ne donnons-nous pas abusivement ces qualificatifs à
des choses qui, en réalité doivent se contenter d'être ou de ne pas être (l'or est ou n'est pas, mais il n'est pas vrai ou
faux) ?
Cet exemple pris par Spinoza évoque des expressions plus récentes que nous employons sur le même modèle.
Ainsi, il
n'est pas rare aujourd'hui d'entendre parler d'un «faux tableau», de «faux billets», etc.
On pourra objecter que
l'exemple de l'or ne se distingue pas de celui du triangle qui est aussi une «chose inerte».
Pourtant la différence existe,
car jamais nous ne disons qu'un «triangle est vrai» quand nous en avons l'idée vraie (la bonne représentation).
Or, ici,
il s'agit d'évaluer la valeur d'une expression comme «l'or vrai».
Spinoza parvient pourtant, là aussi, à intégrer cet usage dans sa définition de la vérité.
Lorsque l'on parle de l'or «vrai»
ou «faux», c'est comme si l'or nous racontait quelque chose sur lui-même, ce qui est ou n'est pas en lui, car derrière
cette expression il y a tout un discours implicite qu'on peut facilement restituer, concernant les propriétés de cette
matière.
Ainsi sont sauvées la cohérence et l'unité de ce qu'on appelle le vrai et le faux.
Ce à quoi s'oppose cet extrait:
Spinoza tente de déterminer dans ce texte la signification des adjectifs «vrai» et «faux» en retraçant leur histoire.
Il
s'oppose à un emploi peu rigoureux de ces termes, et à une erreur fréquente dans l'usage courant où l'on confond
l'être et le discours, le réel et le vrai.
C'est dans l'ordre du langage que le vrai et le faux ont un sens, nous dit-il, car c'est par lui et en lui que surgit la
question de la vérité et de la fausseté.
Celles-ci concernent non pas la réalité mais un jugement, une proposition
(affirmative ou négative) portés sur elle.
Spinoza nous rappelle à ce titre que «la première signification donc de Vrai et de Faux semble avoir tiré son origine des
récits; et l'on a dit vrai un récit quand le fait raconté était réellement arrivé; faux, quand le fait raconté n'était arrivé
nulle part».
Toutefois cette définition ne correspond pas exactement à ce que la scolastique (l'enseignement officiel dans les
écoles,
du temps de Spinoza) entend par «vérité», puisqu'elle la définit traditionnellement comme l'accord (ou «adéquation»)
d'une idée avec son objet.
Dans cette dernière définition, nulle mention n'est faite, en effet, du discours, des
propositions et du langage, mais uniquement des idées de notre esprit et de leur objet..
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