Aristote
Extrait du document
«
« Pour les actes accomplis par crainte de plus grands maux ou pour
quelque noble motif (par exemple, si un tyran nous ordonne d'accomplir
une action honteuse, alors qu'il tient en son pouvoir nos parents et nos
enfants, et qu'en accomplissant cette action nous assurerions leur salut,
et en refusant de le faire, leur mort), pour de telles actions la question est
débattue de savoir si elles sont volontaires ou involontaires.
C'est là
encore ce qui se produit dans le cas d'une cargaison que l'on jette pardessus bord au cours d'une tempête : dans l'absolu personne ne se
débarrasse ainsi de son bien volontairement, mais quand il s'agit de son
propre salut et de celui de ses compagnons un homme sensé agit toujours
ainsi.
De telles actions sont donc mixtes, tout en ressemblant plutôt à des
actions volontaires, car elles sont librement choisies au moment où on les
accomplit, et la fin' de l'action varie avec les circonstances de temps.
On
doit donc, pour qualifier une action de volontaire ou d'involontaire, se
référer au moment où elle s'accomplit.
» ARISTOTE
> Étape de l'argumentation.
Entre les actions involontaires et les actions volontaires, il y a des actions «
mixtes ».
Elles se caractérisent par leur temporalité : « elles sont librement
choisies au moment où on les accomplit, et la fin de l'action varie avec les circonstances de temps ».
La temporalité
de l'action est donc un élément fondamental pour qualifier celle-ci de « volontaire » ou d'« involontaire ».
La structure
du texte est rigoureuse.
Les deux premières phrases utilisent deux exemples : le tyran et la cargaison.
Aristote montre que sous l'emprise de la
crainte (rapportée au « salut » de ses proches et compagnons, mais aussi de soi-même dans le deuxième cas), on
peut faire un choix libre ponctuellement, mais non dans l'absolu.
La troisième phrase en déduit (« donc ») qu'il existe des actions « mixtes », tributaires du moment où l'homme les
accomplit.
La dernière phrase conclut (« donc ») sur la nécessité d'intégrer le paramètre temporel dans la définition de l'action
volontaire ou involontaire.
La méthode d'Aristote est calquée sur la thèse qu'il entend démontrer.
Car pour défendre sa conception pragmatique
de la liberté, il part d'exemples concrets, pour ensuite en déduire sa théorie.
Un partisan d'une définition de la liberté «
dans l'absolu » aurait sans doute procédé de façon inverse : de la théorie aux exemples.
a.
Les deux exemples du texte :
– Le premier exemple met en scène un tyran.
Ce tyran nous propose une sorte de marché : accomplir « une action
honteuse » (réprouvée par la morale : un vol, un crime...) en échange de la sauvegarde de la vie de nos proches.
En
dehors de cet échange bien particulier, nous ne commettrions pas l'« action honteuse ».
Et absolument parlant, nous
pourrions choisir de risquer la vie de nos proches.
Mais cet exemple est suffisamment dramatisé pour que chacun
choisisse, en toute conscience, de commettre l'« action honteuse ».
Le choix est donc libre dans cette circonstance
précise, mais non dans l'absolu.
Car il est partiellement extorqué par la violence et l'ignorance du sort que le tyran
réservera à nos proches.
– Le second exemple porte sur une cargaison.
Il pose qu'en cas de violente tempête, tout « homme sensé » préférera
jeter sa cargaison par-dessus bord
plutôt que de risquer sa vie et celle de l'équipage.
Comme dans le premier cas, l'exemple engage donc le « salut » (la
survie) de nos proches.
Mais à la différence du premier, il porte aussi sur notre propre vie.
Surtout, il nous fait porter
l'entière responsabilité de la décision.
Celle-ci ne dépend plus d'une autre volonté (celle du tyran), mais de la nôtre
seule, dans des circonstances naturelles défavorables (la tempête).
Enfin, l'action commise (jeter la cargaison) n'est
pas tant honteuse moralement que préjudiciable d'un point de vue économique.
Mais dans les deux cas, l'exemple est suffisamment mis en scène pour que chacun choisisse une solution que, dans
l'absolu (indépendamment des circonstances) il aurait trouvée aberrante.
b.
Expliquez: « elles sont librement choisies au moment où on les accomplit »
Si l'on fait abstraction des circonstances particulières du choix, on pensera certainement que « l'action honteuse »
dans le premier cas, et le fait de se débarrasser de sa cargaison dans le second, ne sont pas des actions libres.
On les
imputera à la folie, ou on les qualifiera d'irresponsables.
Mais si on les rapporte au « marché » proposé par le tyran
dans le premier cas et au risque de couler le navire dans le second, le regard changera de nature.
Car on a toujours le
choix de sacrifier ses proches au tyran et de risquer la vie de l'équipage dans la tempête.
C'est donc librement qu'on
décide de ne pas le faire.
On commet en toute conscience une action qu'à d'autres moments, et même dans la plupart
des cas, on aurait vigoureusement condamnée.
> QUESTION 3 : Une action volontaire est-elle une action libre ?
[Introduction].
»
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