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Arendt: la permanence de l'art

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En raison de leur éminente permanence, les oeuvres d'art sont de tous les objets tangibles les plus intensément du monde ; leur durabilité est presque invulnérable aux effets corrosifs des processus naturels, puisqu'elles ne sont pas soumises à l'utilisation qu'en feraient les créatures vivantes [...] qui ne peut que les détruire. Ainsi leur durabilité est-elle d'un ordre plus élevé que celle dont tous les objets ont besoin afin d'exister ; elle peut atteindre à la permanence à travers les siècles. Dans cette permanence, la stabilité même de l'artifice humain qui, habité et utilisé par des mortels, ne saurait être absolu, acquiert une représentation propre. Nulle part la durabilité pure du monde des objets n'apparaît avec autant de clarté, nulle part, par conséquent, ce monde d'objets ne se révèle de façon aussi spectaculaire comme la patrie non mortelle d'êtres mortels. Tout se passe comme si la stabilité du monde se faisait transparente dans la permanence de l'art, de sorte qu'un pressentiment d'immortalité, non pas celle de l'âme ni de la vie, mais d'une chose immortelle accomplie par des mains mortelles, devient tangible et présent pour resplendir et qu'on le voie, pour chanter et qu'on l'entende, pour parler à qui voudra lire. Arendt

« En raison de leur éminente permanence, les oeuvres d'art sont de tous les objets tangibles les plus intensément du monde ; leur durabilité est presque invulnérable aux effets corrosifs des processus naturels, puisqu'elles ne sont pas soumises à l'utilisation qu'en feraient les créatures vivantes [...] qui ne peut que les détruire.

Ainsi leur durabilité est-elle d'un ordre plus élevé que celle dont tous les objets ont besoin afin d'exister ; elle peut atteindre à la permanence à travers les siècles.

Dans cette permanence, la stabilité même de l'artifice humain qui, habité et utilisé par des mortels, ne saurait être absolu, acquiert une représentation propre .

Nulle part la durabilité pure du monde des objets n'apparaît avec autant de clarté, nulle part, par conséquent, ce monde d'objets ne se révèle de façon aussi spectaculaire comme la patrie non mortelle d'êtres mortels.

Tout se passe comme si la stabilité du monde se faisait transparente dans la permanence de l'art, de sorte qu'un pressentiment d'immortalité, non pas celle de l'âme ni de la vie, mais d'une chose immortelle accomplie par des mains mortelles, devient tangible et présent pour resplendir et qu'on le voie, pour chanter et qu'on l'entende, pour parler à qui voudra lire. Arendt Le texte a pour objet la présentation de la spécificité des œuvres d’art, que ce soit ontologiquement ou dans leur mode d’être au monde.

Il s’avère que les œuvres sont des objets à part entière, qui marquent leur différence par le rapport entretenu avec la temporalité. A la différence des objets quotidiens, l’œuvre fait écho à la part immortelle du travail des mortels, puisqu’elle échappe au processus de consommation. La thèse de l’auteur repose sur le fait que le dialogue avec une œuvre est synonyme d’échange avec une sphère privilégiée de l’humanité, celle des créations insoumises aux épreuves du temps, qui peut renaître pour qui le veut sous une forme sensible.

L’intérêt philosophique du texte repose principalement sur la distinction entre le monde des œuvres, inaltérable ou presque, et celui de la consommation, rendant ainsi quasi-impossible une relation d’assujettissement de l’art à l’humain : il faut, pour aborder le monde de l’art, non pas vouloir s’approprier, mais recevoir, et ce à la différence du mode d’être qui se développe à cause de la technique.

Le monde de l’art est synonyme de déploiement de la part immortelle des actions humaines. - - - - Arendt commence par établir une distinction entre les objets matériels communs et les oeuvres d’art.

Cette distinction s’établit par une comparaison de leur être au monde : les œuvres, en raison de leur « éminente permanence » sont « plus intensément au monde ».

Qu’est-ce à dire ? A la différence d’un objet usuel, l’œuvre acquiert un statut particulier car elle n’est pas la proie du temps. Elle n’est pas non plus sujette aux détériorations d’un processus de consommation.

Car la relation développée envers une œuvre ou un objet courant n’est pas similaire non plus.

Si une table est fait pour être utilisée, elle ne pourra que se trouver détériorée par cette utilisation.

Au contraire, l’œuvre n’a pas de fonction propre qui appellerait à lui nuire.

Si l’œuvre appelle à la contemplation, ce mode de vision désintéressée, les autres objets tangibles n’appellent qu’à leur destruction : consommer, c’est détruire, puisque c’est inaugurer une mode d’être aux choses qui vise exclusivement leur utilisation.

Mais alors pourquoi l’auteur précise-t-elle « presque invulnérable aux effets corrosifs » ? Car il existe une usure ‘naturelle’ dont l’homme n’est pas directement responsable, il s’agit par exemple des effets du temps sur la matière dont l’œuvre est constituée. Puisque préservée des utilisations anéantissantes auxquelles appellent les objets courants, l’œuvre peut ainsi prétendre à un degré de durabilité supérieur, voire à la « permanence à travers les siècles ».

Ainsi l’œuvre peut se détacher des conditions de possibilité de sa création et exister dans le monde sans avoir à se rattacher à une époque, l’œuvre devient atemporelle.

Par quel procédé ? Il s’opère un déplacement dans le statut du savoir-faire de l’artiste.

Certes, il s’inscrit dans une époque, et à un homme ou un groupe d’hommes en particulier, de même que sa lecture première s’inscrit dans un certain contexte.

Pour autant, « la stabilité même de l’artifice humain (…) acquiert une représentation propre » : c’est-à-dire que l’art du créateur, que nous venons de décrire comme s’inscrivant dans des considérations temporelles acquiert une autonomie dans l’œuvre.

Prenons un exemple : la construction des pyramides a demandé aux égyptiens de recourir à des trésors d’ingéniosité, les techniques de construction étant encore limitées par les progrès de la technique.

Il n’en reste pas moins que si nous pouvons lire et imaginer encore aujourd’hui ces efforts, ils se trouvent subsumés sous l’œuvre en présence.

Ce n’est pas l’artifice nu que nous voyons, mais la représentation finale obtenue par le travail de celui-ci.

Cette représentation acquiert par là une autonomie temporelle, se détachant partiellement des techniques mises en jeu. C’est donc à la jonction de particularités matérielles dépendantes de la temporalité et de la représentation immortelle que se situe l’œuvre.

En ce sens se révèle « la durabilité pure du monde des objets » apparaît puisque les œuvres sont avant tout le fruit d’artifices humains, artifices voués à la temporalité puisque sans cesse dépassés par d’autres, puisque remis en question et étudiés par les contemplateurs à venir.

Mais dans le même temps, « ce monde d'objets (…) se révèle de façon (…)spectaculaire comme la patrie non mortelle d'êtres mortels ».

Il existe en effet un dialogue, dans la contemplation de l’œuvre, non seulement avec la représentation de l’objet, ce qu’il y a de sensible, mais aussi ce qui se trouve purement spirituel.

Hegel, dans son Esthétique, voit dans l’évolution des arts le développement du rationnel en tant que ce dernier se sensibilise.

Sans entrer dans ces considérations sur le développement de l’Esprit, il n’en est pas moins certain que les œuvres constituent un monde à part entière dans lequel sont exclues les considérations matérielles quotidiennes, et qu’ainsi peut émerger son contenu universel et atemporel.

Il est intéressant de souligner que l’auteur utilise le terme de « patrie » puisque cela renvoie à une appartenance première.

L’homme serait-il ainsi ex-patrié dans le monde courant des objets ? Car dans la « patrie non mortelle d’êtres mortels » que se révèle « la stabilité du monde ».

En quoi consiste cette dernière ? Arendt précise bien qu’il ne s’agit pas de celle « de l’âme ni de la vie », mais « d’une chose immortelle accomplie par des mains mortelles ». La stabilité évoquée ne se manifeste pas dans les objets usuels, consommés, mais dans l’œuvre, qui dépasse les savoir-faire pour en faire une « représentation propre ».

De la matérialité pure émerge une représentation immortelle.

Immortelle non de manière abstraite, elle se fait au contraire vivante par celui qui la rencontre, que ce soit par la contemplation, la lecture ou d’autres médiums. Le monde des œuvres n’est pas clos sur lui-même, au contraire appelle-t-il la manifestation sensible, et ce n’est que dans l’existence au monde, par la pratique des œuvres que le « pressentiment » devient rayonnement. En conclusion, il s’avère que le monde des œuvres constitue une sphère à part entière de la production humaine, puisqu’elle s’épanouit en échappant aux temps et à ses effets destructeurs. W.

Benjamin utilise dans L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique le terme d’aura pour définir cette émanation spécifique des objets dans leur hic et nunc : ce sentiment de « stabilité du monde », qui fait écho dans toutes les œuvres selon Arendt, tient peut-être à cet aura, ce sentiment de transparence retrouvé qui assure à l’œuvre une présence particulière. Mais ce n’est pas seulement dans la contemplation que cela s’éprouve : c’est surtout dans la rencontre sensible avec l’individu que se chante cet stabilité, qu’elle devient effective au monde.. »

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