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Anaximandre est-il matérialiste ?

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« Aussi, se poser la question de savoir si Anaximandre est ou non matérialiste, c'est se demander la philosophie présocratique est forcément matérialiste, philosophie qu'on ramène souvent à une théorie des éléments et se demander si Anaximandre se base lui aussi sur la théorie des éléments pour comprendre le monde ou s'il se base sur un autre principe. Pour cela, il faut examiner la théorie d'Anaximandre et voir dans quelle mesure il se sert des éléments ou s'il les repousse. 1) La doctrine d'Anaximandre. Anaximandre a conçu la Terre comme un disque, un « fût de colonne », flottant dans l'« infini » : la Terre n'a pas besoin d'être portée ni par le géant Atlas ni par les Eaux thalésiennes, parce que, dans l'infini, toutes directions étant équivalentes, la Terre n'a pas de raison de se porter plutôt dans l'une que dans l'autre.

Des cercles, tels des cerceaux, la cernent, mobiles et inclinés selon divers degrés sur le plan de la Terre : on pourrait se représenter les cerceaux comme des gaines d'un tissu obscur, enveloppant le feu qui perce au travers pour former les astres.

Cet arrangement ressemble à une machine agencée avec une précision horlogère, suffisante pour avoir permis la prévision rationnelle.

Dans un environnement infini, et sur ce modèle, des cosmos en nombre infini pourraient se former, naître et mourir.

Anaximandre, selon Diogène Laërce, enseignait que le principe de toutes choses était un élément toujours identique à lui-même, infini et immuable, sans que l'on puisse le comparer au feu, à l'air ou à l'eau, car ses parties seules étaient changeantes.

Il n'existait aucune différence réelle à l'intérieur du Tout que ne pouvaient altérer les actions ni les pensées des êtres dans le temps ni dans l'espace. La cosmographie d'Anaximandre pose un principe au nom de l'Apeiron, le « Non-Limité », l'« In-Définissable ».

Ce n'est ni Terre, ni Mer, ni Feu, mais encore une autre chose, portant un autre nom.

Chose riche ou grosse de contraires, qui vont se séparer et s'affronter : le côté de tout ce qui est chaud-léger-lumineux ; le côté de tout ce qui est froid-dense-obscur.

De là découlent les autres choses.

Un texte conservé par Simplicius dit : « Ce dont provient pour toutes choses leur naissance, leur mort aussi survenant les y ramène, par nécessité.

Car elles se rendent mutuellement justice et se paient compensation pour les dommages, selon l'ordre du Temps.

» Selon un schème emprunté aux institutions judiciaires qui règlent dans les cités le jeu des forces des familles, tribus ou partis affrontés, Anaximandre projette au ciel, et agrandit à la dimension cosmique, le jeu des forces, réglé par un principe d'ordre portant les noms associés du Temps et de la Justice, Chronos et Diké.

Ce qui est remarquable chez Anaximandre, c'est qu'il relègue les entités physiques, après avoir évacué les entités mythiques, au profit d'un principe plus reculé (sinon métaphysique), lequel porte le nom de « celui qu'on ne saurait ni limiter ni définir » : un tréfonds « tout enveloppant », à célébrer avec les attributs du divin. 2) La philosophie d'Anaximandre n'est pas un matérialisme. L'atomisme antique est un essai de construction rationnelle, qui se propose de sauver les apparences des phénomènes. Non pas une science au sens moderne du terme, mais un ensemble de maquettes figuratives, dont l'intention est de reconstituer le réel à partir d'éléments simples.

La tentative se situe dans le grand mouvement de l'intellectualisme hellénique pour faire passer la connaissance de l'ordre du muthos, explication par le recours aux ressources imaginatives, à l'ordre du logos, où s'affirme la prérogative de la raison.

Les « éléments » des physiologues ioniens (air, eau, terre, feu), principes plus ou moins divinisés, dont les alliances ou les oppositions engendraient les vicissitudes du devenir physique, sont remplacés par des atomes, grains de matière diversement constitués, mais normalisés, et en nombre limité. Le philosophe s'efforce de montrer qu'il est possible de rendre compte de tout ce qui est perçu et de tout ce qui est vécu par des combinaisons variées de ces atomes dans le vide.

Au sens, propre, les théories des éléments des présocratiques ne sont pas matérialistes, puisque le matérialisme apparaît, dans l'histoire de la pensée grecque, sous la forme du mécanisme atomistique, selon lequel la réalité sensible du monde est engendrée par des combinaisons de particules élémentaires.

De plus, à la différence des présocratiques qui se basent sur les éléments.

Pour Thalès (env.

630-570), le principe originel est l'eau, pour Anaximène (env.

580-520) l'air, pour Xénophane (env.

560-470) la terre, pour Héraclite, le feu.

A la différence, pour Anaximandre le principe n'est pas tel ou tel élément, dont la particularité risque de faire obstacle à sa transformation dans les autres, mais quelque chose de plus fondamental, l'infini, dont il expliquait ainsi le rôle : il n'y a rien qui soit principe par rapport à l'infini, mais l'infini est principe pour tout le reste, qu'il « enveloppe et gouverne ». Pour Anaximandre un principe appelé Apeiron, inengendré et incorruptible, est source de toutes choses, les englobant et les dirigeant toutes, ne se réduisant à aucun élément matériel.

Il est d'une fécondité inépuisable et produit une infinité de mondes.

Avec Anaximandre sont déjà constitués les traits qui demeureront ceux de la vision grecque du monde : idée que le monde est un Tout à la fois un et multiple, où la pluralité des éléments et des puissances est dominée et compensée par une loi abstraite d'équilibre et d'harmonie ; analogie constamment affirmée entre cette loi d'harmonie et la justice qui doit régir les rapports humains ; conception purement rationnelle de cette justice, à laquelle les philosophes classiques donneront une expression mathématique : la justice est l'égalité dans la différence, autrement dit l'égalité de rapports ou proportion, qui consiste en ceci que chaque élément de l'ensemble se voit reconnaître tout le pouvoir, mais seulement le pouvoir que comporte son essence, c'est-à-dire sa perfection relative.

Tout dérangement de cet ordre, aussi bien dans l'ordre cosmique que politique, serait retour au chaos. Conclusion. Anaximandre n'est pas un philosophe matérialiste, que ce soit même au sens impropre des philosophes présocratiques qui se basent sur les éléments, qui ne sont pas eux-mêmes au sens propre des philosophes matérialistes (terme qui ne sera approprié qu'à l'atomisme antique).

Il se base sur un autre principe qui est l'infini, l' apeiron qui est plus fondamental, qui domine et enveloppe les autres éléments.. »

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