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Aimez et faites ce que vous voulez

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« « Aimez et faites ce que vous voulez.

» N'y a-t-il pas dans cette formule d'autonomie autant et peut-être plus d'exigence et de rigueur que dans les préceptes fondés sur le devoir ? Introduction.

— A force de prêcher le devoir qui réprime tous les élans -spontanés, certains moralistes contemporains, trop imbus des conceptions morales de Kant, lassent et exaspèrent, témoin cette boutade de Paul Valéry : « La morale est une sorte d'art de l'insatisfaction des désirs, de la possibilité d'affaiblir sa pensée, de faire ce qui ne plaît pas et de ne pas faire ce qui plaît.

Si le bien plaisait, si le ma! déplaisait, il n'y aurait ni morale, ni bien, ni mal ».

Paradoxe et charge plus que définition, mais provoqués par un moralisme déprimant qui ne fut que trop répandu. Elle était autrement dilatante la prédication de St Augustin, qui donnait ce mot d'ordre : « ama et fac quod vis » ; aime, et fais ce que tu veux.

Et cependant on devra bien reconnaître que cette morale élargissante et ouverte de l'amour demande et obtient davantage que la contraignante et étroite morale du devoir. I.

— EXPLICATION DE LA MAXIME A.

«Aimez».

— Remarquons-le d'abord, saint Augustin nous dit, non pas : « Aimez Dieu, aimez votre prochain, aimez votre devoir d'état » ; mais absolument : « Aimez ».

Il y a une nuance entre « aimer quelqu'un ou quelque chose » et « aimer », sans complément.

Suivi d'un complément, le verbe aimer a ordinairement un sens faible ou même très faible : c'est ainsi qu'on aime ses occupations coutumières ou un employé ponctuel et docile.

Mais lorsque quelqu'un, pour expliquer l'étrangeté de sa conduite, prononce ce petit mot : « J'aime », c'est un tout autre sentiment qu'il veut exprimer.

L'amour de quelque chose ou de quelqu'un nous stabilise en quelque sorte en nousmêmes : nous aimons ce qui nous assure une existence tranquille et douillette ou en quoi nous pensons trouver le bonheur ; c'est pour nous, en définitive, ce que nous déclarons aimer.

Au contraire, celui qui constate qu'il aime prend conscience de la force qui le porte hors de lui-même, vers un autre : cette sorte d'amour est extatique, au sens étymologique du mot.

Voilà ce que nous suggère cet emploi absolu du verbe aimer. De ce que saint Augustin nous dit absolument : « Aime », il ne s'ensuit pas qu'il nous invite soit à rester indéfiniment les bras ouverts sans jamais rien embrasser, soit à les refermer au hasard sur ce qui se présente.

Dans l'impératif « Aime » est sous-entendu cette réserve de bon sens : tout ce qui est digne d'un tel amour.

Cela ne veut pas dire que nous retombions dans la morale du devoir avec son contraignant réseau d'interdits et d'impératifs : l'amour, comme on dit, ne se commande pas ; on n'aime pas ce qu'on veut ni même toujours ce qu'il serait raisonnable d'aimer, car « le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas ».

Il s'agit seulement de n'accorder ce grand amour qui consiste dans le don de soi qu'à un objet qui ne déçoive pas et auquel on puisse toujours se donner.

Le choix est vaste, et il est laissé à l'initiative de chacun qui se portera vers ce qui répond le mieux à ses aspirations naturelles.

On peut aimer les grands idéaux que sont le vrai, le beau, le bien sous leurs diverses formes.

Mais l'amour s'attache plutôt à des personnes : à des groupes humains personnifiés, comme la famille et la patrie ; à des personnes physiques, comme une fiancée, une épouse, des enfants ; mais alors, pour ne pas retomber dans l'amour vulgaire concentré sur soi-même, les âmes doivent communier dans un idéal commun : « Aimer, ce n'est pas nous regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction». Toutefois, inutile de le dire, saint Augustin songeait surtout à l'amour de Dieu : c'est une substitution d'une morale de l'amour à la morale plus commune de la volonté de Dieu qu'il nous propose, et cette opposition nous rend plus net le changement qu'apporte la formule « ama et fac quod vis ». Les auditeurs massés sous la chaire ont entendu mille fois le rappel des « vérités fondamentales » de la morale chrétienne : Dieu est notre créateur et notre maître ; nous devons donc observer la loi qu'il nous a imposée ; d'autant plus que, juge et justicier, il ne laissera pas impunie la désobéissance à ses ordres...

Pour trop de chrétiens, Dieu n'est qu'un maître — et pour donner à ce mot tout son sens, il faut se rappeler qu'au temps de saint Augustin il y avait des esclaves : c'est un maître armé du fouet.

L'évêque d'Hippone arrache ses auditeurs à' l'obsession de cette divinité de caricature : Dieu est -l'infinie perfection et l'infinie bonté ; il est le plus aimable des êtres ; aimons-le donc.

Pas d'un amour de série, mais d'un amour vraiment nôtre qui soit l'expression authentique de notre âme : l'un aimera sa grandeur et sa puissance, l'autre se complaira dans le mystère de sa nécessité et de son éternité ; ceux-ci le considéreront dans sa transcendance, et ceux-là le verront immanent dans tout ce qui participe de lui ; quelques-uns entreront dans l'obscurité d'une nature qui fait éclater tous nos concepts, mais un plus grand nombre préférera s'arrêter au Verbe incarné avec qui il traitera comme avec un grand frère ou avec un grand ami...

« Aime » est une directive qui nous laisse une grande autonomie. B.

« Faites ce que vous voulez ».

— Cette devise était aussi celle de l'Abbaye de Thélème.

Mais ici elle prend un tout autre sens par suite de l'invitation « Aime » à laquelle la rattache la conjonction « et ».

Normalement, ce petit mot ne fait que lier entre eux deux termes ou deux propositions.

Ici, il établit un rapport de dépendance : c'est parce qu'on aime qu'on peut faire ce qu'on veut, l'amour empêchant l'autonomie de sombrer dans la licence qui menace les Thélémites. Il n'y a aucun danger à laisser la libre disposition de lui-même à celui qui est sous l'emprise d'un noble amour, car il ne veut que le bien de ce qu'il aime.

A-t-on besoin d'encadrer une mère aimante de règles précises déterminant ses obligations et fixant ses heures de service ? Lorsque l'autorité est obligée de rappeler aux parents leurs devoirs de progéniteurs, c'est qu'il n'y a plus d'amour.. »

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