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Aimer, est-ce un sentiment totalement sincère ou est-ce simplement s'aimer soi-même?

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« Introduction : « Aime ton prochain comme toi-même », est-il écrit dans les Évangiles.

Mais est-ce seulement possible ? Peut-on aimer véritablement quelqu'un d'autre que soi-même, d'une manière absolument désintéressée ? Peut-on vouloir le bien d'autrui sans aucune arrière-pensée pour son propre profit ? Aristote s'interroge à ce sujet : lorsqu'on aime quelqu'un, on n'aime jamais que certaines caractéristiques de sa personne, car si elle venait à changer (de physique ou de caractère), on ne l'aimerait plus.

Peut-on alors parler d'un sentiment totalement sincère s'il est dépendant de caractères contingents ? L'amour relève souvent des passions, qui par natures sont déraisonnables et subjectives, alors peut-on parler de sincérité ? Si l'on ne peut s'aimer que soi-même, alors est-ce que c'est soi-même que l'on aime dans l'autre ? 1 ère partie : On n'aime que soi-même -On peut penser que le sentiment amoureux n'est qu'illusion.

L'homme est irrémédiablement seul et l'idée d'un lien amoureux ne serait qu'illusoire.

Ce qu'on appelle l'amour ne serait qu'un sentiment narcissique, car en réalité, on n'aime que soi-même dans l'amour.

En effet, ce qu'on aime, c'est être aimé, c'est la reconnaissance qu'autrui nous apporte.

Pour Hegel, désirer l'autre, c'est désirer être reconnu par l'autre, c'est se ressaisir soi-même dans son rapport à une autre conscience de soi.

Être aimé, c'est alors se sentir exister pour quelqu'un, c'est avoir conscience de soi à travers l'amour que nous porte l'autre.

Lorsqu'on aime, on désire l'autre pour qu'il nous reconnaisse, et ce n'est qu'alors qu'on est sûr d'exister, car on a besoin de la médiation par l'autre. Sartre, dans L'Être et le Néant (1943), montre que c'est autrui qui par sa présence, son regard, me fait prendre conscience de ce que je suis.

L'exemple qu'il prend est fort simple : je fais un geste vulgaire et n'en ai nullement conscience : « ce geste colle à moi, je ne le juge ni ne le blâme ».

Réalisant que quelqu'un était là et m'a vu, j'éprouve alors de la honte.

Autrement dit, écrit Sartre, «par l'apparition même d'autrui, je suis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme objet, car c'est comme objet que j'apparais à autrui ». « Imaginons que j'en sois venu, par jalousie, par intérêt, à coller mon oreille contre une porte, à regarder par le trou d'une serrure.

Je suis seul […] Cela signifie d'abord qu'il n'y a pas de moi pour habiter ma conscience.

Rien donc, à quoi je puisse rapporter mes actes pour les qualifier.

Ils ne sont nullement connus, mais je les suis et, de ce seul fait, ils portent en eux-mêmes leur totale justification.

Je suis pure conscience des choses […].

Cela signifie que, derrière cette porte, un spectacle se propose comme « à voir », une conversation comme « à entendre ».

La porte, la serrure sont à la fois des instruments et des obstacles : ils se présentent comme « à manier avec précaution » ; la serrure se donne comme « à regarder de près et un peu de côté », etc.

Dès lors « je fais ce que j'ai à faire » ; aucune vue transcendante ne vient conférer à mes actions un caractère de donné sur quoi puisse s'exercer un jugement : ma conscience colle à mes actes, elle est mes actes ; ils sont seulement commandés par les fins à atteindre et par les instruments à employer.

Mon attitude, par exemple, n'a aucun « dehors », elle est pure mise en rapport de l'instrument (trou de la serrure) avec la fin à atteindre (spectacle à voir), pure manière de me perdre dans le monde, de me faire boire par les choses comme l'encre par un buvard […]. Or voici que j'ai entendu des pas dans le corridor : on me regarde.

Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est que je suis soudain atteint dans mon être et que des modifications essentielles apparaissent dans mes structures […]. D'abord, voici que j'existe en tant que moi pour ma conscience irréfléchie.

C'est même cette irruption du moi qu'on a le plus souvent décrite : je me vois parce qu'on me voit, a-t-on pu écrire […] ; pour l'autre je suis penché sur le trou de la serrure, comme cet arbre est incliné par le vent.

[…] S'il y a un Autre, quel qu'il soit, où qu'il soit, quels que soient ses rapports avec moi, sans même qu'il agisse autrement sur moi que par le pur surgissement de son être, j'ai un dehors, j'ai une nature ; ma chute originelle c'est l'existence de l'autre.

» Sartre, « L'Etre et le Néant », Gallimard, pp.

305-306. Le texte de Sartre décrit clairement deux états de la conscience.

Dans le premier, une conscience solitaire est occupée, par jalousie, à regarder par le trou d'une serrure ce qui se passe derrière la porte.

Cette conscience est alors entièrement livrée à la contemplation du spectacle jusqu'à s'y fondre; elle est tout entière ce spectacle qu'elle regarde, elle est la série des actes motivés par la jalousie (se pencher, ne pas faire de bruit, regarder).

Cette conscience ne se connaît même pas comme jalouse (ce qui supposerait un recul réflexif): elle est rapport au monde sur la mode de la jalousie.

La conscience n'a pas de consistance propre qui lui permette de s'appréhender comme moi; elle se confond immédiatement avec toutes ces choses sur lesquelles elle s'ouvre. Brusquement surgit un autre (j'entends des pas, on me regarde): je suis surpris, il va penser que moi, je suis jaloux.

C'est alors (dans le cadre d'une expérience de la honte d'avoir été surpris) que ma jalousie prend consistance (et par là-même aussi mon être comme jaloux); elle n'est plus seulement une manière diffuse d'agir dans ce monde: elle est cette qualification de ma personne, ce jugement sur moi porté par un tiers.

Je suis quelqu'un, je ne suis plus une pure ouverture sur le monde: on me détermine comme un homme jaloux (on me donne une "nature”, je deviens “quelque chose” sous le regard de l'autre (autrui me chosifie). Mais au moment où je deviens quelqu'un, je suis dépossédé de moi-même: c'est à l'autre de décider si je suis un curieux, un jaloux ou encore un vicieux. -Dans le Phèdre, Platon recourt à un mythe pour expliquer le processus de l'amour : à l'origine, les âmes roulaient dans le ciel en suivant chacune un dieu.

Puis les âmes sont tombées du ciel dans des corps humains.

Cependant, les âmes se rappellent de leur vie céleste et cherchent leur divinité perdue.

L'amour serait alors le frisson qui nous prend lorsque l'on rencontre quelqu'un qui nous rappelle le dieu que l'on a suivi.

L'amour est une réminiscence de l'idéal, du vrai, du beau, du bien.

Pour se faire aimer, on va essayer soi-même d'être divin.

Par conséquent, aimer met en branle un processus de séduction pour atteindre l'être aimé, et qui consiste à prendre soin de soi-même, à chercher à atteindre la perfection pour briller aux yeux de l'autre.

Aimer, c'est donc avant tout s'aimer soi-même, puisqu'il faut être doté d'une certaine estime de soi et d'une confiance qui nous permette d'espérer être remarqué et être aimé en retour. 2 ème partie : On aime par intérêt -Il semble que l'amour soit souvent motivé.

On aime parce que cela nous procure du plaisir et nous fait du bien.

On aime aussi par intérêt car on peut retirer quelque utilité de la personne aimée (ex : on parle de « gages d'affection » : l'amour se traduit par des cadeaux, des attentions particulières, un don de soi…).

L'amour est donc une attention tournée d'abord vers soi, donc aimer, c'est s'aimer soi-même, c'est rechercher son bonheur et son bien. -Aimer, c'est aussi s'attacher à une personne, c'est une relation.

Par conséquent nous sommes impliqués.

Or pour Aristote, l'homme est naturellement porté à rechercher le bien, donc toute action se dirige vers ce que l'on pense être bien pour nous.

Donc, lorsqu'on aime, c'est que l'on pense que ça nous fera du bien. 3 ème partie : On peut aimer absolument de manière désintéressée -Aimer c'est se donner à quelqu'un, et c'est instaurer une relation et des liens d'affection.

On implique donc sa personne et par conséquent on s'expose à des risques (ex : risque d'être malheureux si la personne aimée meurt ou est en danger, si elle n'a pas de sentiments réciproques à notre égard…).

L'amour ne nous met pas en sécurité (on est souvent affaibli par l'amour : il paralyse, cause des chagrins, etc.) et pourtant nous le recherchons.

Il apparaît donc que l'amour n'est pas seulement s'aimer soi-même, mais au contraire, s'oublier soi-même au profit de l'autre (ex : l'amoureux ne pense qu'à la personne aimée, et ce parfois jusqu'à en oublier de s'alimenter ou de dormir). -Aimer, c'est aussi reconnaître qu'on ne se suffit pas à soi-même et que l'on a besoin d'autrui.

C'est donc donner autant de valeur à la personne aimée qu'à soi-même.

Aimer implique une relation de dépendance.

On est prisonnier de l'amour : « Je suis l'otage d'autrui », affirme Paul Ricœur. -Pour Aristote, il est possible d'aimer de manière désintéressée, et non pour rechercher un bien.

C'est ce qu'il nomme « l'amitié pour elle-même ».

Cette amitié ne peut avoir lieu qu'entre deux individus semblables en caractère et en vertu, car dès lors que les personnes sont trop différentes et que la distance est trop grande (distance sociale, culturelle, de caractère…), alors la relation est déséquilibrée et viennent forcément s'immiscer des rapports d'intérêt et d'utilité (ex : on ne peut parler « d'amitié pour elle-même » entre une personne riche et une personne pauvre, car tout deux trouvent des intérêts à cette relation qui sont d'autre nature que l'amitié véritable). Conclusion : On trouve toujours des compensations et un intérêt dans la personne aimée, qui fait que l'on peut douter de la sincérité de l'amour qu'on lui porte.

En effet, on désire avant tout son propre bien, et dans l'amour, nous recherchons d'abord le plaisir et le bonheur pour nous-même.

Pourtant, on s'aperçoit que l'on peut aussi s'abîmer dans l'amour, se perdre soi-même et s'oublier pour l'autre, de telle sorte que l'amour de l'autre prend le pas sur l'amour que l'on porte à soi.

Nous ne recherchons plus notre intérêt mais sommes alors tout entier tourné vers la personne aimée.

Aimer peut donc, dans certaines conditions, certes particulières et rares, être un sentiment totalement sincère et non un amour narcissique.. »

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