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A quoi reconnaît-on une science ?

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« Nombreux sont ceux qui, dans un passé plus ou moins proche, ont invoqué la science pour légitimer leurs idées, leurs actions ou leurs régimes.

L'adjectif « scientifique », accolé au nom de leur doctrine, leur semblait une auréole capable de susciter l'adhésion de tous les hommes. Seulement, la science n'est parfois qu'un alibi, un masque, que le savoir véritable détruit ensuite.

Par exemple, la génétique contemporaine infirme les « théories racistes scientifiques » que Gobineau avait formulées au siècle dernier.

Et le « socialisme' scientifique » professé par Staline et qui devait mener au bonheur inéluctablement a lui aussi montré sa non-scientificité. Distinguer l'idéologie de la connaissance véritable et la croyance du savoir est donc indispensable.

Il nous faut donc rechercher les signes caractéristiques de la science tout en signalant les fausses pistes.

Mais cette entreprise est particulièrement ardue, parce que le nom de « science » est fréquemment usurpé et qu'il est appliqué à de multiples activités qui paraissent complètement étrangères les unes aux autres. 1.

FAUX SIGNES DE RECONNAISSANCE Au premier abord, nous nous croyons bien incapables de déterminer abstraitement et de façon exhaustive les caractères de la science. Toutefois, il nous semble évident que la chimie, la biologie ou l'astromonie sont des disciplines scientifiques et que l'alchimie ou l'astrologie sont des pratiques superstitueuses, et même charlatanesques.

Sur quoi s'appuie ce jugement spontané ? Qu'est-ce qui nous permet presque immédiatement de reconnaître la science et de la distinguer du reste ? A - On la reconnaît à son efficacité ¦ Pour séparer la science de ce qu'elle n'est pas, nous nous sommes peut-être avant tout reportés mentalement aux manifestations les plus éclatantes du savoir scientifique, aux profondes transformations qu'il fait subir à la nature.

On distingue ainsi les sciences de la magie ou de la superstition grâce à un critère très simple : les premières sont efficaces, elles accroissent la domination de l'homme sur le monde matériel, alors que les secondes sont impuissantes.

L'histoire de la science est en effet jalonnée par des résultats tangibles comme le vaccin contre la rage trouvé par Pasteur en 1885 ou comme la machine à vapeur de Denis Papin dont Bergson disait qu'elle apparaîtrait aux siècles futurs comme un tournant dans l'histoire de l'humanité.

Au contraire, aucun alchimiste n'a pu réaliser le Grand OEuvre et transformer le plomb en or.

Les sciences occultes pourraient être alors considérées comme de « fausses sciences » parce qu'elles n'ont aucune action réelle sur le monde naturel et matériel. ¦ L'on note en effet que les sciences sont étroitement liées au progrès des techniques ; elles le favorisent et se mettent bien souvent à son service.

Elles donnent alors naissance aux « arts mécaniques » d'après l'expression de d'Alembert dans son Essai sur les éléments de philosophie ou aux « technosciences » selon la terminologie actuelle.

Descartes, notamment, est le parfait exemple du savant qui attache autant d'importance aux spéculations abstraites qu'aux innovations technologiques.

Il a joué, et joue toujours pour le scientifique le rôle d'un modèle.

Ne formule-t-il pas, dans la sixième et dernière partie du Discours de la méthode, le programme de toute la science moderne, en réclamant un savoir capable de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la la nature » ? Ne place-t-il pas au premier rang de ses préoccupations la développement de la médecine ? ¦ Mais le souci d'efficacité est plus propre à la technique qu'à la science.

Cette dernière est en effet avant tout une quête de connaissance plutôt que la recherche de procédés pratiques.

La science est un « savoir » bien plus qu'un « faire ».

De plus, si l'action matérielle efficace était le signe infaillible de la science, on ne pourrait donner ce nom aux mathématiques pures.

Il nous faut donc chercher un autre critère de scientificité que celui de l'efficience matérielle. B - On la reconnaît à sa méthode ¦ Lorsque nous qualifions une thèse de « scientifique », n'entendons-nous pas par là qu'une vérification en est toujours possible par la voie la plus universelle et la plus simple, celle de l'expérience ? Or, si la connaissance scientifique teste ses explications grâce à l'expérimentation, le savant est aussi celui qui propose des hypothèses.

Et l'hypothèse elle-même ne naît que s'il y a un fait à expliquer.

Ainsi, serait scientifique par excellence la méthode qui commence par l'observation des phénomènes, formule une hypothèse explicative et vérifie enfin cette dernière grâce à l'expérimentation : on reconnaîtrait donc une science à sa méthode. ¦ Néanmoins, le triptyque 1 °) observation 2°) hypothèse 3°) vérification expérimentale n'est pas un signe de reconnaissance parfaitement satisfaisant, car il ne convient pas à toutes les sciences.

Cette méthode en trois temps appartient exclusivement aux sciences de la nature.

Il est par exemple impossible ou erroné de recourir à l'expérimentation pour réaliser des démonstrations mathématiques : les propriétés du triangle ne sont pas établies expérimentalement, mais par une pure analyse de la notion de triangle. De même, le théorème de Pythagore n'est pas démontré par un tracé de craie sur le tableau.

En définissant la science par la méthode expérimentale, nous prenons donc la partie pour le tout.

Nous commettons la même erreur que de nombreux savants du XIXe siècle, qui érigeaient la méthode des sciences de la nature en seul critère de scientificité. C - Ce que suppose notre question ¦ En demandant : « À quoi reconnaît-on une science ? », nous réclamons un signe de reconnaissance capable d'identifier la science à tout coup.

Mais cette question admet tacitement l'existence d'un critère de scientificité unique, elle sous-entend que toutes les sciences ont un dénominateur commun, qu'elles ont des fondements identiques et qu'elles constituent un système cohérent et unifié : la science. ¦ Cependant, si la science est un savoir spécifique, distinct de l'opinion et de la croyance, elle est loin d'être unifiée.

Car les disciplines scientifiques ont des objets aussi différents que la matière inerte, les êtres vivants ou les structures des langues.

En outre, elles suivent des méthodes d'investigation très dissemblables et elles utilisent des procédés de vérification hétérogènes.

On doit se rendre à l'évidence : il est vain de traquer un unique trait caractéristique de la science, nous devons chercher les signes distinctifs de chaque type de science.. »

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