Quand les maths débarquent dans les tribunaux
Publié le 21/05/2025
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MSE Tribunal Schneps_MSe 24/04/2016 13:59 Page 1
Quand les maths
débarquent
dans les tribunaux
Leila Schneps
Institut de mathématiques de Jussieu
Les maths débarquent dans les tribunaux ! Grâce aux nouvelles
techniques d’analyse scientifique de tous les types de traces laissées
sur une scène de crime, elles constituent d’ores et déjà un élément
incontournable des procès.
Les résultats des expertises sont de nature probabiliste !
Pourquoi les maths, alors que ce sont entre autres la chimie, la biologie,
la génétique, les sciences de l’ingénieur qui permettent de réaliser les
analyses des indices matériels ? Parce que la plupart du temps ces autres
sciences fourniront des résultats de type probabiliste.
Une empreinte
pourra être identifiée comme provenant d’un certain type de chaussure ;
au vu des traces d’usure, on pourra même effectuer une comparaison
avec la botte du suspect, mais là aussi, à moins d’avoir une trace exceptionnellement détaillée, la comparaison ne donnera en fin de compte
qu’une probabilité d’identité.
Même les analyses ADN, réputées pour produire des résultats
d’identification au-delà de tout doute possible, peuvent donner lieu à de
nombreuses difficultés dans les cas d’échantillons mixtes, dégradés ou
disponibles en quantité très réduite.
Les gendarmes affectés aux analyses
en laboratoire des échantillons d’ADN provenant de scènes de crime
l’affirment : le résultat est suffisamment clair pour indiquer un coupable
au-delà de tout doute raisonnable dans moins d’un cas sur dix.
Vous vous
en souvenez peut-être : de l’attentat d’Omagh de 1998 en Irlande à
l’accusation de meurtre lancée en 2007 contre la jeune Américaine
Amanda Knox, les analyses de faibles traces d’ADN ont donné lieu à des
débats acharnés entre experts incapables de se mettre d’accord.
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Il est donc fréquent qu’un fait concret, scientifiquement établi, apporte
un renseignement sur la culpabilité éventuelle d’un suspect, sans que ni
les experts scientifiques, ni le juge, ni les avocats, ni les membres du
jury, sans parler de l’accusé lui-même ou du public, sachent véritablement
expliquer la portée dudit renseignement.
Oui, le mélange d’ADN trouvé
sur le vêtement du cadavre contient certains allèles en commun avec
ceux du présumé meurtrier.
Oui, l’écriture de l’accusé a des points
communs avec celle de la lettre de menaces.
Mais que peut-on en
conclure ? Quel est le véritable poids de ces preuves, à charge ou à
décharge de l’accusé ?
Bien comprendre la notion d’évènements indépendants
Le système judiciaire s’attend à ce que les membres du jury se fient
à leur seul instinct.
Ce système, en place depuis des siècles, vise à
contrebalancer les effets d’ignorance et de préjugés des individus en les
plaçant au sein d’un groupe hétérogène, afin de parvenir à un jugement
le plus objectif possible.
Mais ce système présente un problème dans les
cas, de plus en plus fréquents, où une thèse (accusation ou défense)
utilise des arguments basés sur des probabilités.
Les probabilités sont
souvent terriblement contre-intuitives, et les penser correctement est un
exercice subtil qui nécessite un certain entraînement.
Voici un exemple frappant pour vous en convaincre.
Pour déterminer
la probabilité que deux évènements se produisent, sachant la probabilité
de chacun d’entre eux, il ne faut multiplier les deux probabilités que
lorsque les deux évènements sont totalement indépendants.
Le sexe d’un
enfant à naître semble être un évènement indépendant de toute autre
naissance (excluons le cas de jumeaux identiques, ou toute autre particularité génétique qui peut influer sur cette question).
Acceptant donc cette
indépendance, proposons l’énigme suivante : vous apprenez par hasard
que votre interlocuteur a deux enfants, dont un garçon.
Quelle est la
probabilité que l’autre enfant soit une fille ?
Si vous répondez immédiatement « Une chance sur deux ! », vous avez
tort.
En effet, les parents de deux enfants sont équitablement répartis en
quatre groupes : GG, GF, FG et FF (G désigne un garçon, F une fille).
Si
votre interlocuteur a un garçon, c’est qu’il appartient aux 75 % de la population représentés par les groupes GG, GF et FG.
Il y a donc deux chances
sur trois (et non une chance sur deux) que l’autre enfant soit une fille !
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Notre intuition nous fourvoie dès qu’il est question de probabilités.
Dans le cadre d’un procès, souvent tout le monde se fourvoie dans le
même sens… Que de condamnations parce que le jury, aidé seulement
par son intuition, s’est laissé convaincre que deux bébés dans une même
famille ne pouvaient pas être tous les deux victimes de mort subite du nourrisson ! ou que telle infirmière ne pouvait pas avoir été purement par
hasard présente à toutes les morts au sein de l’hôpital où elle travaillait !
Inversement, que de personnes acquittées parce que le jury avait trop
de mal à incarner, dans l’être humain assis devant eux, une puissante
improbabilité théorique d’un évènement ! On pense à cet homme, accusé
du crime d’avoir tiré depuis sa voiture sur deux jeunes gens, mais acquitté
malgré la lourde charge que constituait un taux de poudre résiduelle de tir
deux cents fois plus élevé que celui trouvé typiquement dans une voiture de
chasseur, explication présentée par la défense pour justifier la présence de
ces résidus.
Ou alors à cette jeune mère américaine acquittée du meurtre
de sa fille de 3 ans: elle avait omis de prévenir la police pendant un mois
après la disparition de sa fille, abreuvant ses parents, ses amis et la police
d’un flot de mensonges, facilement démontés ; en outre, son propre père,
ex-policier, avait témoigné avoir senti une forte odeur de cadavre
décomposé dans le coffre de la voiture de sa fille.
La raison de
l’acquittement ? La reconstitution du meurtre présentée par l’accusation
contenait des éléments mineurs non démontrés par des faits avérés, mais
justifiés par un raisonnement probabiliste, qui laissait aux yeux du jury
la place à un doute raisonnable.
La science face au doute : le raisonnement bayésien
Une méthode existe pour incorporer des analyses scientifiques qui ne
donnent qu’un renseignement probabiliste au sujet d’un crime particulier
dans la pensée a priori intuitive d’un membre du jury.
Elle s’appelle le
raisonnement bayésien, et se réalise mathématiquement au moyen de
réseaux bayésiens.
On trouve actuellement des logiciels de réseaux
bayésiens très performants, développés par des chercheurs en statistiques, destinés à être utilisés plutôt pendant la phase de l’instruction ou
au cours du travail d’un expert avec les avocats que devant le jury.
Pour
le moment, ils sont peu utilisés car ils soulèvent surtout de l’inquiétude
et des soupçons de la part des juristes.
Comment ça marche ? Essentiellement, la méthode consiste à proposer
une estimation de probabilité subjective de culpabilité de façon
traditionnelle, intuitive, basée sur la présentation des preuves non
scientifiques, puis d’utiliser la formule de Bayes pour incorporer une
preuve de nature purement probabiliste dans cette estimation, de façon à
la « mettre à jour ».
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La version de la formule de Bayes appliquée
le plus souvent aux preuves scientifiques lors
d’un procès est la dernière formule proposée
en encadré.
Pour comprendre son application
dans des situations vraies, il faut considérer
que l’évènement C correspond à «L’accusé est
coupable », alors que l’évènement T correspond
à « Cette trace précise a été trouvée sur la
scène du crime ».
T peut indiquer, par exemple,
Thomas Bayes
la présence sur la scène du crime d’une fibre
1702–1761.
de laine ou de coton, d’une trace de sang
d’un groupe sanguin donné, d’une empreinte digitale avec certaines
caractéristiques particulières, une trace de chaussure ayant telles particularités qui permettent d’en identifier la taille et la marque, ou alors d’un
échantillon d’ADN.
En général, l’accusé correspondra à la trace laissée, car sinon – s’il
possède un autre groupe sanguin ou un ADN différent ou une taille de
chaussures plus petite… – il ne serait pas l’accusé.
La probabilité
P(T si C) est donc considérée comme ayant la valeur 1, puisqu’elle
mesure la probabilité que si l’accusé est bien le coupable, c’est lui qui
aurait laissé la trace.
La formule de Bayes se simplifie alors :
P(C si T) / P(non C....
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