Peut-on considérer que Le Menteur de Corneille consacre le triomphe des menteurs ?
Publié le 22/04/2025
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08/02/2025
Dissertation sur Le Menteur de Corneille
Peut-on considérer que Le Menteur de Corneille consacre le triomphe des menteurs ?
S’il existe de nombreuses manières de faire rire un spectateur au théâtre, le
mensonge est le ressort privilégié de la comédie, en particulier celles qui abordent les
thèmes de la séduction, du libertinage ou de l’adultère afin de créer des situations comiques
et des imbroglios plaisants, comme par exemple le Dom Juan de Molière.
En effet, bien
qu’au XVIIème siècle, la religion chrétienne confère au mensonge un statut de péché, et que
les moralistes classiques le condamnent comme un vice opposé à l’idéal de l’honnête
homme modéré, simple et naturel, le mensonge demeure un moyen indispensable pour se
conformer aux usages mondains et être admis dans la vie en société.
On le voit bien dans
Le Misanthrope de Molière où le refus des hypocrisies mondaines par Alceste devient
tellement excessif qu’elle le transforme en être asocial condamné à vivre seul, s’exilant de la
société des hommes, et dans Les Caractères de La Bruyère, présentant la cour de Louis
XIV comme un milieu privilégié nécessitant de maîtriser une mise en scène perpétuelle et où
les courtisans ont recours à la flatterie, un jeu social exacerbé par une nécessité de plaire
aux grands et au roi.
La Bruyère écrit d’ailleurs qu’”un homme qui sait la cour [...] sourit à
ses ennemis, [...] parle et agit contre ses sentiments”.
Ainsi, au début du XVIIème siècle, les
personnages de menteur sont en vogue sur la scène théâtrale française, notamment dans
L’Illusion comique de Corneille, où le personnage de Matamore espère, en se parant
d’incroyables exploits imaginaires, conquérir la jeune Isabelle.
Ce personnage de soldat
fanfaron rappelle le Dorante de Corneille dans Le Menteur en 1644, près de dix ans plus
tard.
Les mensonges, qui nourrissent les rebondissements de la pièce, s’enchaînent à partir
d’un quiproquo initial : Dorante, après avoir rencontré deux jeunes femmes aux Tuileries,
pense que celle avec qui il a parlé, Clarice, est la plus belle, car elle s’est montrée très
spirituelle.
Cependant, il la prend pour Lucrèce et tente alors de tout faire pour pouvoir
l’épouser, se mettant à affabuler constamment et auprès de tous.
Si Dorante est le menteur
qui donne son titre à la pièce, les autres personnages, Clarice, Lucrèce, Sabine et même
son valet Cliton exercent tour à tour leurs talents de dissimulation : la comédie de Corneille
est donc une pièce relatant les péripéties non pas d’un unique mais de plusieurs menteurs.
Nous nous demanderons dès lors si “Le Menteur de Corneille consacre le triomphe des
menteurs”.
Et pour ce faire, nous verrons que ce propos est nuançable puisque les
menteurs s’avèrent devenir les prisonniers de leurs propres mystifications, ces dernières
ayant pour répercussion de discréditer leur parole, mais que Corneille met cependant bien
en évidence la gloire d’un mensonge nécessitant des affabulateurs imagination, mémoire et
vivacité d’esprit.
Enfin, nous verrons qu’à travers cet éloge des menteurs, Corneille consacre
surtout le triomphe du théâtre.
Voyons d’abord que le propos selon lequel “Le Menteur consacre le triomphe des
menteurs” n’est pas infondé, mais qu’il est toutefois nuançable.
En effet, cette pièce révèle
que les menteurs, afin de maintenir l’illusion, sont pris dans un engrenage de mensonges
auquel il est difficile d’échapper.
On le voit bien à la scène 5 de l’acte II, lorsque Géronte
annonce à son fils qu’il lui a arrangé un mariage avec Clarice : Dorante, qui confond toujours
Clarice et Lucrèce, s’oppose à cette union et invente alors une histoire rocambolesque dans
laquelle il raconte être déjà marié à Orphise, fille d’Armédon, rencontrée à Poitiers.
Mais ce
mensonge entraîne une série de complications qui ne se dénoueront qu’à la fin de la pièce.
Ainsi, à la scène 4 de l’acte IV, le père de Dorante lui fait part de sa volonté “de voir celle qui
de (ses) ans devient l’unique espoir”, ce qui contraint le héros à élaborer une nouvelle
invention: il affirme ainsi qu’Orphise “est grosse”, “et de plus de six mois” : la ramener à
Paris risquerait de “hasarder sa grossesse”.
Mais, lorsque Géronte souhaite écrire au père
de cette prétendue épouse poitevine, et demande son nom à Dorante, ce dernier, qui a déjà
oublié son récit initial, manque d’être démasqué en le nommant Pyrandre : Géronte répond,
étonné, qu’il lui “a[vait] dit tantôt un autre nom, / C’était, je m’en souviens, oui, c’était
Armédon.” Le héros improvise alors un nouveau mensonge et parvient à s’en sortir :
Armédon est “son nom propre”, et Pyrandre “celui d’une terre, [qu’]il portait [...] quand il fut à
la guerre”.
Cette affabulation lui permet ainsi de sauver la face de justesse.
Il est donc
apparent dans cette scène, que le mensonge initial en entraîne inévitablement d’autres,
puisque Dorante doit maintenir la crédulité de son père.
Mais à mentir constamment, le
héros du Menteur se met en difficulté et il doit se démener à coup de nouvelles affabulations
pour garder la face : on le voit bien à la scène 5 de l’acte III, lorsque Clarice lui révèle avoir
appris que Dorante “se dit marié, puis soudain s’en dédit” afin de courtiser celle qu’il croit
aimer.
Ce dernier prétend alors avoir “feint cet hymen” qu’il a “au besoin inventé” pour
échapper à l’union que son père lui avait arrangé, et ainsi épouser “la belle Lucrèce”.
Dorante n’est pourtant pas le seul à mentir dans la pièce : Clarice l’est également lorsqu’elle
prend l’identité de son amie Lucrèce lors d’un rendez-vous nocturne avec Dorante.
Cependant, contrairement au héros, son mensonge a des répercussions moins importantes,
car il n’en nécessite pas d’autres pour maintenir l’illusion, et ne prend donc pas Clarice dans
une spirale de nouvelles affabulations.
Corneille nous révèle donc qu’à trop mentir, les
mystificateurs peuvent être entraînés dans un engrenage de mensonges intenable qui les
emprisonne.
En effet, pour maintenir l’illusion, ils sont contraints d’accumuler de nouvelles
affabulations et s'enfoncent dans leurs propres fictions.
Les mensonges, se surajoutant, ont alors pour répercussion au fil de l’intrigue de
remettre en cause la vérité.
La Verdad sospechosa, c’est-à-dire La Vérité suspecte, est
d’ailleurs le titre de la pièce espagnole du dramaturge de Alarcon, dont s’est inspiré
Corneille pour écrire Le Menteur.
On voit ainsi, à la scène du balcon, la suspicion de Clarice
face au discours fallacieux de Dorante lors de ses apartés avec Lucrèce.
Elle affirme ainsi
que Dorante “en conte à chacune à son tour”, “ne sait que mentir”, “fait pièce nouvelle”, le
considérant comme un “imposteur” “fourbe” qui élabore des “artifice[s]”.
Clarice, indignée,
refuse désormais de “souffrir une telle impudence” en croyant aux explications de Dorante,
tellement ce dernier ment : elle déclare qu’il “couch[e] d’imposture” et “os[e] jurer / Comme si
[elle] pouvai[t] [le] croire, ou l’endurer”.
Même Cliton, le valet de Dorante, doute de lui, même
lorsqu’il ne ment pas, et affirme, après avoir assisté à la scène du balcon, que “Quand un
menteur la dit (la vérité), / En passant par sa bouche elle perd son crédit”.
C’est bien là
l'expression même de la vérité suspecte puisque Dorante affabule tellement, “en cont[ant] à
toute heure, en tous lieux” des “menteries”, comme le déclare Cliton à la scène 3 de l’acte
IV, qu’il devient difficile de le croire.
Et les propos de Dorante continuent de perdre en valeur
au fil de la pièce : Clarice déclare ainsi à la scène 9 de l’acte IV que “peut-être qu’il dit (la
vérité); mais c’est un grand peut-être” et met en garde Lucrèce contre la fourberie de
Dorante.
Le héros de la pièce de Corneille est donc présenté comme un véritable
mythomane, ce qui a pour conséquence qu’au fil de la pièce plus personne ne le croit, sa
parole est totalement discréditée par l’excès de mensonges.
Cela permet ainsi d’exprimer
que le mensonge est source de nombreuses difficultés : le triomphe total des affabulateurs
est alors nuançable.
Toutefois, bien que les menteurs se révèlent parfois pris dans leur
propres filets, prisonniers d’un engrenage de mensonges discréditant leur parole, Le
Menteur de Corneille ne condamne pas pour autant les mystificateurs : au contraire, l’auteur
semble faire l’éloge de la virtuosité avec laquelle ils affabulent.
En effet, si Corneille se refuse à condamner les menteurs, c’est que leurs
mensonges s’apparentent à de réelles compétences nécessitant de maîtriser l’art du
langage.
A ce titre, Le Menteur consacre le triomphe des menteurs, se prêtant à un jeu de
manipulation nécessitant esprit et créativité.
Outre la brillante capacité d’invention de récits
dont Dorante fait preuve, duper les autres s’apparente pour lui à un véritable défi intellectuel
: cela est exprimé à la scène 4 de l’acte III par Cliton, ayant recours à un champ lexical
laudatif pour valoriser la faculté de son maître à affabuler : Dorante “excell[e] à mentir”, sa
capacité à tromper les autres est présentée comme un “talent” et même un “art”.
Dorante
déclare à son tour que “Le ciel fait cette grâce (l’aptitude....
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