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La Peau de Chagrin, H. de Balzac EXTRAIT 1 : PREMONITION ET FANTASTIQUE (Incipit du roman)

Publié le 23/05/2023

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« La Peau de Chagrin, H.

de Balzac EXTRAIT 1 : PREMONITION ET FANTASTIQUE (Incipit du roman) Vers la fin du mois d’octobre dernier, un jeune homme entra dans le Palais-Royal au moment où les maisons de jeu s’ouvraient, conformément à la loi qui protège une passion essentiellement imposable.

Sans trop hésiter, il monta l’escalier du tripot désigné sous le nom de numéro 36. _ Monsieur, votre chapeau, s’il vous plaît ? lui cria d’une voix sèche et grondeuse un petit vieillard blême, accroupi dans l’ombre, protégé par une barricade, et qui se leva soudain en montrant une figure moulée sur un type ignoble. Quand vous entrez dans une maison de jeu, la loi commence par vous dépouiller de votre chapeau.

Est-ce une parabole évangélique et providentielle ? N’est-ce pas plutôt une manière de conclure un contrat infernal avec vous en exigeant je ne sais quel gage ? Serait-ce pour vous obliger à garder un maintien respectueux devant ceux qui vont gagner votre argent ? Est-ce la police, tapie dans tous les égouts sociaux, qui tient à savoir le nom de votre chapelier ou le vôtre, si vous l’avez inscrit sur votre coiffe ? Est-ce, enfin, pour prendre la mesure de votre crâne et dresser une statistique instructive sur la capacité cérébrale des joueurs ? Sur ce point, l’administration garde un silence complet.

Mais, sachez-le bien, à peine avez-vous fait un pas vers le tapis vert, déjà votre chapeau ne vous appartient pas plus que vous ne vous appartenez à vous-même : vous êtes au jeu, vous, votre fortune, votre coiffe, votre canne et votre manteau.

A votre sortie, le JEU vous démontrera, par une atroce épigramme en action, qu’il vous laisse encore quelque chose en vous rendant votre bagage.

Si toutefois vous avez une coiffure neuve, vous apprendrez à vos dépens qu’il faut se faire un costume de joueur. Objectif : L’incipit d’un roman et ses caractéristiques L’étude de celui de la PDC peut être précédée d’un corpus de qqs incipit analysés sommairement pour dégager les caractéristiques d’un début de roman. è Quelles caractéristiques du roman cet incipit met-il en valeur ? Orientations retenues : - Focalisation externe : conserve le mystère sur le héros (en est-il un à ce moment ?) - Apostrophe au lecteur : pris à partie (2P pl le plus souvent COD + questions rhétoriques) + prémonition, annonce de la suite : pacte, référence religieuse - Atmosphère « fantastique » teintée de réalisme (certaine critique de la société): personnification, passivité/dépossession, obscurité/laideur, rapidité, Force supérieure/fatalité è Un roman où le lecteur doit se laisser porter par l’ambiance fantastique et la plume de l’auteur tout en restant attentif aux analyses réalistes de la société de 1830. Virginie ZANINI, professeur de Lettres classiques – [email protected] EXTRAIT 2 : PORTRAIT DU VIEIL ANTIQUAIRE – LE FANTASTIQUE (ch.5-6) Tout à coup, il crut avoir été appelé par une voix terrible, et il tressaillit comme lorsqu’au milieu d’un brûlant cauchemar nous sommes précipités d’un seul bond dans les profondeurs d’un abîme.

Il ferma les yeux, les rayons d’une vive lumière l’éblouissaient ; il voyait briller au sein des ténèbres une sphère rougeâtre dont le centre était occupé par un petit vieillard qui se tenait debout et dirigeait sur lui la clarté d’une lampe.

Il ne l’avait entendu ni venir, ni parler, ni se mouvoir.

Cette apparition eut quelque chose de magique.

L’homme le plus intrépide, surpris ainsi dans son sommeil, aurait sans doute tremblé devant ce personnage qui semblait être sorti d’un sarcophage voisin.

[…] Figurez-vous un petit vieillard sec et maigre, vêtu d’une robe en velours noir, serrée autour de ses reins par un gros cordon de soie.

Sur sa tête, une calotte en velours également noir laissait passer, de chaque côté de la figure, les longues mèches de ses cheveux blancs et s’appliquait sur le crâne de manière à rigidement encadrer le front.

La robe ensevelissait le corps comme dans un vaste linceul, et ne permettait de voir d’autre forme humaine qu’un visage étroit et pâle.

Sans le bras décharné, qui ressemblait à un bâton sur lequel on aurait posé une étoffe et que le vieillard tenait en l’air pour faire porter sur le jeune homme toute la clarté de la lampe, ce visage aurait paru suspendu dans les airs.

Une barbe grise et taillée en pointe cachait le menton de cet être bizarre, et lui donnait l’apparence de ces têtes judaïques qui servent de types aux artistes quand ils veulent représenter Moïse. Les lèvres de cet homme étaient si décolorées, si minces, qu’il fallait une attention particulière pour deviner la ligne tracée par la bouche dans son blanc visage.

Son large front ridé, ses joues blêmes et creuses, la rigueur implacable de ses petits yeux verts dénués de cils et de sourcils, pouvaient faire croire à l’inconnu que le Peseur d’or de Gérard Dow était sorti de son cadre.

Une finesse d’inquisiteur trahie par les sinuosités de ses rides et par les plis circulaires dessinés sur ses tempes, accusait une science profonde des choses de la vie.

Il était impossible de tromper cet homme qui semblait avoir le don de surprendre les pensées au fond des cœurs les plus discrets. Les mœurs de toutes les nations du globe et leurs sagesses se résumaient sur sa face froide, comme les productions du monde entier se trouvaient accumulées dans ses magasins poudreux.

Vous y auriez lu la tranquillité lucide d’un Dieu qui voit tout, ou la force orgueilleuse d’un homme qui a tout vu.

Un peintre aurait, avec deux expressions différentes et en deux coups de pinceaux, fait de cette figure une belle image du Père Eternel ou le masque ricaneur du Méphistophélès, car il se trouvait tout ensemble une suprême puissance dans le front et de sinistres railleries sur la bouche.

En broyant toutes les peines humaines sous un pouvoir immense, cet homme devait avoir tué les joies terrestres.

Le moribond frémit en pressentant que ce vieux génie habitait une sphère étrangère au monde, et où il vivait seul, sans jouissances parce qu’il n’avait plus d’illusions, sans douleurs parce qu’il ne connaissait plus de plaisirs.

Le vieillard se tenait debout, immobile, inébranlable comme une étoile au milieu d’un nuage de lumière.

Ses yeux verts, pleins de je ne sais quelle malice calme, semblaient éclairer le monde moral comme sa lampe illuminait ce cabinet mystérieux. Tel fut le spectacle étrange qui surprit le jeune homme au moment où il ouvrit les yeux, après avoir été bercé par des pensées de mort et de fantasques images.

[…] Il trembla donc devant cette lumière et ce vieillard, agité par l’inexplicable pressentiment de quelque pouvoir étrange ; mais cette émotion était semblable à celle que nous avons tous éprouvée devant Napoléon, ou en présence de quelque grand homme brillant de génie et revêtu de gloire. Objectif : Le genre fantastique et ses caractéristiques La lecture analytique du portrait peut être précédée d’une recherche et/ou d’un exposé sur le Fantastique et surtout sa distinction d’avec le merveilleux.

Pourquoi pas aussi qqs reproductions de peintures fantastiques (Füssli – Munch – Blake) è L’archétype du personnage fantastique Orientations retenues : - Un portrait entre réel et surnaturel… : (les mots qui le désignent) * le vieux sage : marques physiques de vieillesse, sagesse et connaissance de l’homme, références à des clichés du sage (judaïsme : calotte, noir, peseur d’or, Moïse / orient : robe, magasin) à Moïse et Dieu amorce le passage au surnaturel. * un fantôme : un être doté de pouvoirs surnaturels, sans couleur (noir/blanc) ni véritable consistance (comme un cadavre « sarcophage ») sauf dans ses yeux qui semblent le seul lieu vivant du personnage, comme un corps habité.

à l’aspect cadavérique et fantomatique amène l’Enfer. * le diable : champs lexical de la mort (+ rouge et feu de l’Enfer) et référence au mythe de Faust (Méphistophélès), ambiguïté du personnage difficilement définissable. - …présenté du point de vue interne du JH… : * on ne sait pas si le jeune homme est réveillé ou s’il dort encore ; demi-sommeil, ambiguïté. * le JH doute et semble encore attaché à l’univers onirique ; il fait donc appel à des références picturales pour décrire le vieil homme. * L’effet produit sur le JH, ses émotions : il ne sait plus trop où il en est ; peur et surprise mêlée d’admiration à crainte respectueuse ; sorte de prescience. Ce dernier point amène à définir la relation qui s’installe entre le vieil antiquaire et je jeune homme. Virginie ZANINI, professeur de Lettres classiques – [email protected] - … et donnant naissance à une relation fantastique : « Satan » et sa « victime » * Un rapport de force évident : la toute puissance du vieux, la passivité (« être appelé ») donc du JH qui n’est rien comparé à lui. * Le demi-sommeil du JH figure sa place à la frontière de la mort (il est « moribond »), donc proche des divinités qui la contrôlent. * Lumière hypnotique, fascination du JH pour le vieil homme.... »

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