Commentaire composé du passage de la mort d’Emma Bovary
Publié le 16/11/2023
Extrait du document
«
Commentaire composé du passage de la mort d’Emma
Bovary
Texte
Cependant elle n’était plus aussi pâle, et son visage avait une expression de
sérénité, comme si le sacrement l’eût guérie.
Le prêtre ne manqua point d’en faire l’observation ; il expliqua, même à Bovary
que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l’existence des personnes lorsqu’il le
jugeait convenable pour leur salut ; et Charles se rappela un jour où, ainsi près
de mourir, elle avait reçu la communion.
— Il ne fallait peut-être pas se désespérer, pensa-t-il.
En effet, elle regarda tout autour d’elle, lentement, comme quelqu’un qui se
réveille d’un songe ; puis, d’une voix distincte, elle demanda son miroir, et elle
resta penchée dessus quelque temps, jusqu’au moment où de grosses larmes lui
découlèrent des yeux.
Alors elle se renversa la tête en poussant un soupir et
retomba sur l’oreiller.
Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement.
La langue tout entière lui sortit
hors de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de
lampe qui s’éteignent, à la croire déjà morte, sans l’effrayante accélération de
ses côtes, secouées par un souffle furieux, comme si l’âme eût fait des bonds
pour se détacher.
Félicité s’agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien luimême fléchit un peu les jarrets, tandis que M.
Canivet regardait vaguement sur
la place.
Bournisien s’était remis en prière, la figure inclinée contre le bord de la
couche, avec sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans l’appartement.
Charles était de l’autre côté, à genoux, les bras étendus vers Emma.
Il avait pris
ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son cœur, comme
au contrecoup d’une ruine qui tombe.
À mesure que le râle devenait plus fort,
l’ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés
de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des
syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.
Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement
d’un bâton ; et une voix s’éleva, une voix rauque, qui chantait :
Souvent la chaleur d’un beau jour
Fait rêver fillette à l’amour.
Emma se releva comme un cadavre que l’on galvanise, les cheveux dénoués, la
prunelle fixe, béante.
Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moissonne,
1
Cours de soutien 1ère
CAULIER
Mme
Ma Nanette va s’inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.
— L’Aveugle s’écria-t-elle.
Et Emma se mit à rire, d’un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la
face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme
un épouvantement.
Il souffla bien fort ce jour-là,
Et le jupon court s’envola !
Une convulsion la rabattit sur le matelas.
Tous s’approchèrent.
Elle n’existait
plus.
Flaubert - Madame Bovary - Extrait de la troisième partie, chapitre VIII
Introduction
Gustave Flaubert (1821-1880).
Très influencé par Balzac.
Flaubert est un
travailleur acharné qui "accouche" de son œuvre dans la douleur, et témoigne
d'un souci du détail et d'un style de grande qualité.
Madame Bovary fait scandale
à sa sortie.
L'œuvre subira un procès pour immoralité où le rôle du procureur est
tenu par M.
Pinard (qui, quelques années plus tard, prononcera un réquisitoire
contre Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire).
Flaubert sera relaxé.
Cet extrait
est le dénouement.
Acculée par ses dettes, Emma s'est empoisonnée au cyanure.
C'est une scène particulièrement intense, voire choquante.
Problématique : Quelle vision de la mort nous livre Flaubert à travers cette
scène de dénouement réaliste ? Et comment se manifeste l’ironie de Flaubert
dans cet excipit ?
Annonce des axes
I.
Un tableau réaliste de la mort d’Emma
1.
De l'espoir à la mort
2.
Une description réaliste et convulsive
3.
Une lutte entre l'âme et le corps
II.
Un dénouement tragique
1.
Un personnage « maudit »
2.
L'aveugle, figure de la fatalité
3.
Pitié et terreur
III.
Contrepoints ironiques
2
Cours de soutien 1ère
CAULIER
Mme
1.
Une chansonnette au milieu des larmes
2.
Une veillée funèbre quelque peu grotesque
3.
Coquette jusqu'au bout ?
Commentaire littéraire
I.
Un tableau réaliste de la mort d’Emma
Rappelons que d'un point de vue médical, un état critique est le moment où va
se décider l'issue d'une maladie (guérison ou mort).
1.
De l'espoir à la mort
Structure générale du texte (les connecteurs rendent visible chaque partie) :
- Une rémission momentanée : « Cependant » (temporel et logique)
- Une lutte entre la vie et la mort : « Jusqu'au moment où », « Alors »,
« aussitôt »
- Le coup de grâce: « Tout à coup »
Le parcours d'Emma dans cette scène évolue de la « sérénité » à
« l'épouvantement ».
2.
Une description réaliste et convulsive
Description particulièrement réaliste d'un ensemble de symptômes : « haleter »,
la « langue tout entière lui sortit hors de la bouche », des yeux qui « roulent »,
l'« accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux », « la prunelle fixe,
béante ».
Le texte s'achève sur une « convulsion ».
La violence de la description
de Flaubert naît d'une vision réaliste, corporelle, presque médicale, des
symptômes de la mort approchant.
Accélération du rythme des phrases dans la seconde partie.
Enchainement rapide
des connecteurs (« jusqu'au moment où », « alors », « aussitôt ») et
énumération du comportement des différents personnages : « Félicité
s'agenouilla », « le pharmacien fléchit les jarrets », « M.Canivet », « Bournisien
s'était remis en prière », « Charles était de l'autre côté, à genoux ».
La référence aux différentes parties du corps (« poitrine », « langue », « yeux »)
suggère une perte de contrôle de celui-ci.
3.
Une lutte entre l'âme et le corps
Présence constante du champ lexical du religieux : « sacrement », « prêtre »,
3
Cours de soutien 1ère
CAULIER
Mme
« Seigneur », « salut », « communion », « âme », « crucifix », « prière »,
« soutane », « ecclésiastique », « oraisons », « syllabes latines ».
La mort gagne....
»
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