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dossier de recherche sur le conflit du Tigre et de l'Euphrate

Publié le 08/12/2025

Extrait du document

« Vieux de 5000 ans, l’Irak a vu mourir le lac de Sawa au bord de l’Euphrate en avril dernier, un paradis de la biodiversité pour les animaux et un lieu économiquement et socialement vital pour les populations locales.

Aujourd’hui, devenue une nappe phréatique surexploitée, il n’en reste plus une goutte.

Cette surexploitation est le reflet des politiques hydrologiques turques, notamment le GAP (en turc Güneydoğu Anadolu Projesi) qui détourne les débits des eaux des fleuves Tigre et Euphrate. L'eau est un outil majeur de la gouvernance mondiale, elle fait l’objet des relations internationales bilatérales ou multilatérales autour du partage de la ressource, mais il est aussi un enjeu essentiel pour comprendre quelques les conflits inter-étatiques.

En effet, une partie des tensions peuvent avoir soit comme origine ou comme un élément qui l’alimente.

Par le partage de la ressource hydrique et son contrôle, nous parlons alors d'hydro-conflictualité, selon une approche géostratégique et économique. C’est donc le cas des relations entretenues entre la Turquie, l’Irak et la Syrie.

Du fait de l’importance du GAP nous pourrions penser que c’est un conflit essentiellement mené par la Turquie contre l’Irak et la Syrie, cependant il faut noter que les “frères arabes ennemis” (Mutin, 2003) la Syrie et l’Irak, s’opposent aussi violemment entre eux, ce qui s’ajoute aux crises et conflits aggravés par l’ambition de contrôle hydraulique de la Turquie Pourquoi le Tigre et l’Euphrate continuent de diviser la Turquie, l’Irak et la Syrie ? Pourquoi observe-t-on encore aujourd’hui des contradictions et des tensions tant sur le plan économique que sur le plan social ? Pourquoi la situation conflictuelle s’enlise-t-elle ? Au fil de notre approche, au travers de cette recherche, nous tenterons de mettre en lumière les tensions qui résident entre ces pays reliés par une même ressource, en faisant ressortir d’abord les intérêts économiques et sociaux individuels des États envers les fleuves créant un terrain propice aux conflits.

En fin de compte, nous verrons que l’approche envisagée par les États cherche bien à régler les problèmes mais de façon provisoire sans pour autant fournir de réels efforts pour trouver une solution pérenne bénéfique pour l’ensemble des acteurs concernés.

Les trois pays ont eu de nombreuses crises interétatiques aggravant la situation sur le temps long et interrogeant les possibles alternatives de résolution. L’eau du Tigre et de l’Euphrate est une ressource fluviale centrale de la région.

Elle est non pas un bien public mais un bien commun (“common pool resources” terme popularisé par Garrett Hardin dans The Tragedy of the Commons).

Elle est par conséquent non excluable et rivale puisque son utilisation crée une rivalité autour de la ressource.

La gestion régionale du Tigre et de l’Euphrate est le reflet de la possibilité de surexploitation dont parle Hardin où chacun maximise son usage rationnellement mais détruit la ressource collectivement. > En Turquie, le secteur agricole regroupe près de 20% des emplois et place le pays comme le premier consommateur d’eau avec plus de 70% de la consommation.

En traversant de grands domaines géographiques dont notamment la zone montagneuse, le potentiel hydroélectrique est impressionnant où jusqu’à 45% des ressources hydrauliques se retrouvent dans cette zone. > Pour ce qui est de la Syrie, les plateaux situés dans la zone de piémont constituent un environnement favorable aux cultures des sols indispensable à l’alimentation et au maintien de l’ordre social. > Les deux cours d'eau jumeaux représentent près de 90% des besoins en eau de l’Irak : 121% de ses ressources internes (source : Banque mondiale) proviennent de ces fleuves.

La dépendance est alors quasiment totale, surtout sa production céréalière et son activité agricole. Ces volontés de maîtriser les cours d’eau représentent presque une nécessité vitale pour assurer l’alimentation d’une population qui pour les trois pays concernés a triplé en 50 ans passant de 29 millions d’habitants en 1950 à 104 millions d’habitants en 2000. Cette gestion des eaux des fleuves transfrontaliers fait naître une profonde contradiction des acteurs où la Turquie se situe dans une logique d'accumulation tandis que la Syrie et l’Irak en font un bien de survie. Le projet du Sud-Ouest anatolien (en turc Güneydoğu Anadolu Projesi ou GAP) prévoit de mettre en valeur, par le développement agricole (1,8 million d’hectares) et industriel (à partir de l’hydroélectricité), une région historiquement déshéritée en s’appuyant sur de nombreuses grandes infrastructures (22 barrages et 19 centrales hydroélectriques).

Mais il poursuit également un double objectif géopolitique national et international : intégrer les populations kurdes qui peuplent la zone touchée par le projet et justifier les “droits” du pays face aux demandes futures de la Syrie et de l’Irak. On observe un véritable capitalisme d’État (cf.

William J.

Baumol, Robert E.

Litan, Carl J.

Schramm, Good Capitalism, Bad Capitalism and the Economics of Growth and Prosperity) pour le pays en amont qui fait marcher une logique extractiviste.

Ils intègrent l’eau dans un modèle productiviste orienté vers la croissance qui est alors un bien économique. Le débit de l’Euphrate est fortement impacté à son entrée en Syrie et encore plus en Irak.

Pour les Syriens, l’eau a plus une valeur d’usage que d’échange : il s’agit d’un bien de subsistance, indispensable à l’alimentation et au maintien de l’ordre social.

Pour l’Irak, une forte asymétrie structurelle s’est installée pour le pays en aval.

Le pays se retrouve dans une position de vulnérabilité car tributaire des décisions hydrauliques de ses voisins en amont : selon les projections, l’achèvement des infrastructures pourrait entraîner jusqu’à 70% de réduction du débit naturel de l’Euphrate, menaçant directement la sécurité alimentaire. Malgré un destin hydrologique commun, les pays ont des logiques économiques différentes produisant des externalités négatives dont certains pays comme l’Irak sont plus vulnérables que d’autres.

La réduction du débit provoque désertification, migration interne, effondrement agricole forçant les agriculteurs des pays en amont à forer plus de puits et à assécher davantage des réserves souterraines déjà surexploitées. Les aménagements hydrauliques des pays de l'aval à l’amont ne simplifient pas les rapports entre les pays : ils préparent un terrain conflictuel en créant des situations de dépendance où l’eau devient un moyen de pression sur les États d’aval, qui souhaitent que leurs “droits acquis” soient préservés. Le conflit entre la Turquie, la Syrie et l’Irak rentrerait donc dans la définition d'une "guerre de l'eau", où le dit "or bleue" deviendrait un enjeu, voire une arme dans certaines crises géopolitiques (Blanchon, 2019).

En effet, nous pouvons affirmer que les fleuves Tigre et Euphrate sont utilisés comme un outil de domination par l’Etat turc, pour imposer sa souveraineté face aux pays voisins.

Les deux pays en amont sont très dépendants du débit des deux fleuves, qui sont toutefois contrôlés par la Turquie. Comme exemple, le barrage Atatürk peut absorber jusqu'à 328M3/s, soit un tiers du débit de l'Euphrate à son entrée en Syrie, le débit du fleuve, principal vivier d'eau potable qu'arrive en Irak, est donc très faible.

Même avant le début officiel du projet GAP, des réunions tripartites ont eu lieu pour résoudre la question du partage de l'eau, vu la construction des nombreux barrages tant par la Turquie (Barrage Keban, 1966), comme par la Syrie (Barrage Tabqa, 1968).

Ce dernier a notamment provoqué une vive réaction de la part de l'Irak, qui est en position de dépendance auprès de l'Euphrate qui fournit 37% de ses eaux d'irrigation.

Ces projets l'ont laissé en 1975 moins de 1/3 du débit habituel selon des chiffres officiels.

Après une tentative de médiation et arbitrage commercial saoudien qui a échoué, il est clair que les relations entre les deux pays en amont sont très dégradées, ce qui les empêche de travailler ensemble dans une forme de multilatéralisme pour exercer une pression sur la Turquie.

Comme le montre la multiplicité de réunions tripartites pour le partage de l'eau tant en 1965 et entre 1982 et 1992, qui ont toutes abouti à des échecs et aussi, l'affirmation turque de souveraineté absolue sur les deux fleuves en 1992, et qui considère le Tigre et l'Euphrate comme "appartenant" à la Turquie et non pas au droit international, qui s’est suivi du refus de signature de la convention de l’ONU en 1997 sur l’utilisation des fleuves internationaux.

C’est uniquement des traités bilatéraux en 1946 et 1984, qui servent de référent légal à la Turquie, l'Irak et la Syrie pour leur politique de gestion conjointe des fleuves (le "Traité d'amitié et de coopération voisine" et un "protocole sur l'eau").

Le traité de 1946 stipule que, en théorie, la Turquie doit consulter l'Irak en amont de toute construction sur les deux fleuves, car elle est tributaire de 95% pour ses besoins industriels et de 80% pour les usages domestiques.

Cependant, ces traités sont rarement respectés ou à moitié, car l'Irak a difficilement les moyens de contraindre la Turquie à suivre ces engagements, puisque le pays n’est pas soumis aux règles et normes communes qu’un traité multilatéral et international pourrait avoir.

La Turquie réussit donc à mettre ses voisins dans une situation difficile et de dépendance qui lui permet de s'affirmer comme puissance et d'exercer une claire domination sur eux.... »

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